Le Grand Vaniteux
Le truand Patrick Haemers fut, un temps, assez populaire, en Flandre. Jeroen Wils, chef des infos télévisées à VTM, lui consacre un livre qui corrige le tir : le Grand Blond était surtout un grand égoïste.
Après s’être penché successivement sur la Sûreté de l’Etat, la section meurtre de la PJ, le métier de détective privé et l’affaire Pandy (qui fera l’objet d’un film au tournage prévu, en 2009, en Hongrie et au Canada), Jeroen Wils, 40 ans, l’éditeur en chef de Het Nieuws – les infos télévisées de la chaîne privée flamande VTM – s’attaque au mythe Haemers (1). A travers un récit qui épouse le modèle » raconté » des True Crime – ces docu-fictions anglo-saxons qui basent la relation du destin d’un tueur sur les faits authentiques et le dossier judiciaire -, le journaliste tente de cerner la personnalité de celui qui fut longtemps considéré, par une bonne part du public flamand, comme une figure » héroïque « .
Le Vif/L’Express : Comment expliquer le » succès » d’un fugitif sans foi ni loi, violeur, braqueur, preneur d’otage et meurtrier ?
Jeroen Wils : Haemers a mené une véritable vie de » cinéma « . Entre ses 17 ans et son suicide en prison, à l’âge de 40 ans, il commet tous les forfaits imaginables. Pour beaucoup, déjà bien avant son arrestation au Brésil ( NDLR : en mai 1989, après l’enlèvement de l’ancien Premier ministre Paul Vanden Boeynants), il apparaît comme un » gentleman » : il est grand, il est beau, il a les yeux bleus et un sourire dont il ne se départ jamais, notamment lors des nombreuses interviews qu’il accorde depuis ses geôles.
Mais il est très loin d’incarner un Robin des bois moderne…
Haemers ne vole pas l’argent des riches pour le donner aux pauvres. Il l’utilise uniquement pour son propre plaisir. Ce n’est pas un gars sympathique : c’est un big spender, oui, qui évolue dans un monde de luxe, mais qui est totalement égoïste. Son père, qui a fait fortune dans le textile, et qui était souvent absent, arrosait déjà copieusement ses fils. Les drogues, les grosses cylindrées deviennent vite les passions de Patrick. Mais pour les assouvir, il lui faut toujours plus…
Vous écrivez qu’il représente le » dernier truand typiquement belge « .
C’est exact. Depuis l’ouverture des frontières, le grand banditisme (braquages , tigerkidnappings…) est désormais l’apanage de bandes étrangères, originaires surtout de l’ex-bloc de l’Est, qui s’enfuient une fois leur crime commis. Pour un gangster, belge ou autre, c’est devenu moins risqué de mener sa carrière dans un pays étranger.
Celle de Haemers prend un tournant à 26 ans. En 1978, il est condamné pour un viol collectif. Une sanction qui catalysera la suite, selon vous…
Il prend trois ans ferme. Cette peine, lourde, est prononcée par un juge qui veut faire un exemple, dans le cadre d’une campagne concomitante axée contre la violence faite aux femmes. Haemers est furieux. Il déploie sa haine de la justice…
Et son rapport aux femmes, également vicié.
Haemers fait tourner la tête à nombre d’entre elles, mais il les respecte peu. Sauf Denise Tyack, qu’on appelle Sabrina dans le milieu (4 000 francs l’heure) et qui deviendra son épouse adorée. Avec un mot qu’il adresse au ministre de la Justice ( » Wathelet, je t’em… « ), c’est à elle qu’il laisse sa dernière lettre en cellule. A ce moment, il n’en peut plus : son image héroïque s’est écroulée, son lieutenant Philippe Lacroix, beaucoup plus intelligent que lui, a fui sans intention de le faire échapper. Alors ce fier se suicide.
Une fin sans mystère, donc ?
Le public s’est posé des questions, mais l’affaire est entendue : il s’est bien donné la mort en prison. En revanche, qu’il ait pu incarner le » Géant » parmi les tueurs du Brabant wallon est une supposition qui reste de mise : il subsiste pas mal de doutes, mais zéro preuve…
(1) Jeroen Wils, Bloed zonder tranen. Het gangsterleven van Patrick Haemers. Manteau, 368 p.
Entretien : Valérie Colin
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