Le grand bal des diplomates

Des  » poids lourds  » de la diplomatie belge changent de poste. On recrute pour étoffer les rangs dégarnis de la  » Carrière « . Et la Belgique prépare son entrée au Conseil de sécurité de l’ONU. Trois raisons d’explorer les coulisses du département de Karel De Gucht

La décision doit être prise en octobre prochain à l’ONU, mais il n’y aura pas de suspens : en 2007-2008, la Belgique occupera l’un des dix sièges réservés aux membres non permanents du Conseil de sécurité. Une charge à laquelle elle se prépare depuis près de deux ans. Et qui conduira à renforcer les effectifs de notre représentation permanente à New York. Par ailleurs, dans trois mois s’achèvera une procédure de sélection de nouveaux diplomates, ouverte en 2005 après plusieurs années sans recrutement. Il y a urgence : de nombreux postes sont à pourvoir dans nos 102 ambassades et représentations permanentes. Mais, pour l’heure, c’est le  » mouvement diplomatique  » de l’été prochain qui agite surtout le petit monde des Affaires étrangères. D’autant que la tournante verra, cette année, plusieurs grosses pointures de la diplomatie changer d’affectation. C’est l’occasion d’évoquer les grandeurs et misères du métier…

Champagne et baisemain

Champagne et petits-fours, ronds de jambe et baisemains. Il y a des clichés qui ont la vie dure. Comme celui qui assimile la diplomatie à un cortège de mondanités.  » C’est vrai que nous avons un tas d’obligation sociales « , reconnaît Raoul Delcorde, ambassadeur de Belgique à Stockholm, qui vient de publier Les Mots de la diplomatie(L’Harmattan) , un vade-mecum de la Carrière, avec un grand C.  » Pourtant, ajoute-t-il, s’y dérober serait une faute professionnelle. Les réceptions permettent de récolter des informations, de faire passer des messages, de développer des relations avec les décideurs du pays.  »

On dit aussi que le métier ne sert quasiment plus à rien à l’ère des communications ultrarapides…  » La diplomatie n’est plus le privilège exclusif des diplomates, admet l’ambassadeur. Les chefs d’Etat et les ministres se téléphonent et se voient sans cesse. Mais, pour que ces contacts aient de la substance, ils doivent être préparés. L’ambassade a un rôle de veille. Elle doit renseigner le ministre des Affaires étrangères sur les vues et les intentions de ses interlocuteurs. Ainsi, c’est notre ambassade à Pékin qui devra informer le cabinet De Gucht sur l’évolution de la position de la Chine aux Nations unies dans le dossier du nucléaire iranien.  »

On recrute pour la  » Carrière  »

Même si la diplomatie n’est plus ce qu’elle était, elle suscite encore des vocations. Au dernier concours de recrutement, lancé l’automne dernier, ils étaient plus de 2 000 à rêver d’embrasser la profession. Une épreuve de présélection sur la base d’un questionnaire à choix multiples sur des sujets internationaux a été organisée pour opérer un premier écrémage, qui s’est révélé dévastateur. A la sortie, il ne restait plus que 200 candidats environ. Pour une trentaine de postes à pourvoir. Le recrutement était gelé depuis plusieurs années pour cause de réforme Copernic dans l’administration et parce que Louis Michel, prédécesseur de De Gucht à la tête des Affaires étrangères, avait pris l’initiative d’un projet de fusion des carrières. Pour palier le manque d’effectifs dans les postes et l’administration centrale, le ministre voulait pouvoir puiser dans un vivier plus large, qui rassemblerait diplomates, chanceliers, attachés de la coopération et agents de la carrière intérieure, qui ne quittent pas l’administration. Le Conseil d’Etat a rejeté le texte. Mais, assure-t-on aux Affaires étrangères, un concours commun devrait finir par voir le jour.

 » Le profil des nouveaux diplomates a changé, confie Delcorde. En général, ils passent le concours d’entrée à 30-35 ans plutôt qu’à 25 et beaucoup ont déjà exercé un métier avant de rejoindre la diplomatie : ils étaient banquiers, avocats, professeurs… Cette expérience leur donne une plus grande maturité. Ils ont parfois déjà appris à gérer une équipe. En revanche, ils ont moins le goût de l’aventure et plus d’exigences qu’autrefois. La plupart sont mariés et les épouses ont une profession en Belgique. Le département a dès lors du mal à trouver des candidats valables pour certains postes éloignés, en Afrique notamment. Il ne peut promettre aux nouvelles recrues qu’elles passeront leurs trente années de métier dans un rayon de 500 kilomètres autour de Bruxelles !  »

Les postes convoités

Les diplomates ne restent, en général, pas plus de trois ou quatre ans au même endroit : c’est la règle de la mobilité géographique. Un bail considéré comme largement suffisant par la plupart de ceux qui ont été envoyés dans des capitales à hauts risques comme Bogota, en Colombie (insécurité), Islamabad, au Pakistan (l’ambassadeur s’y déplace en voiture blindée) ou Harare, au Zimbabwe (régime dictatorial, rationnement, inflation galopante…). De même, Kaboul (Afghanistan) et Abidjan (Côte d’Ivoire) figurent sur une liste des postes les plus  » durs  » établie par les Affaires étrangères. Même si l’Iran est l’un des pays phares de l’actualité internationale, on ne se bouscule pas non plus pour décrocher Téhéran où, raconte un diplomate,  » les nerfs sont mis à rude épreuve « . Les plus optimistes parleront de  » postes à challenge « . Les autres de  » pays difficiles « .

Les fonctions les plus en vue, elles, se retrouvent sur trois axes. 1. L’axe transatlantique : ambassadeur à Washington, représentant permanent auprès de l’Otan, à Bruxelles, ou auprès des Nations unies, à New York ou à Genève. 2. L’axe européen : représentant permanent auprès de l’Union européenne et, dans le secteur bilatéral, ambassadeur à Paris, Londres, Berlin, La Haye… 3. L’axe africain : ambassadeur à Kinshasa, Kigali, Bujumbura. Passé oblige, la Belgique entretient avec l’Afrique centrale des liens particuliers. Le Congo, où se préparent, avec l’aide de la communauté internationale, les premières élections libres depuis les années 1960, est bien sûr un cas particulier : Johan Swinnen, ambassadeur à Kinshasa, est certainement le diplomate en poste à l’étranger qui a vu défiler, ces derniers mois, le plus de ministres et autres officiels venus de Belgique.

Un grand  » mouvement diplomatique  »

La transhumance annuelle, qui voit quelques dizaines d’ambassadeurs changer de poste, est une période d’agitation, de rumeurs et de stress dans le petit cercle de la diplomatie belge.  » No comment « , s’empresse-t-on de répondre aux Affaires étrangères, quand on évoque ce grand secret plus ou moins bien gardé. Chaque diplomate exprime ses choix par ordre de préférence, expose sa situation familiale, mentionne des contre-indications pour sa santé. Mais le mouvement réserve parfois des surprises. Un spécialiste de l’Asie est envoyé au Mexique, un habile négociateur se retrouve dans un pays en guerre… Une loi non écrite prévoit que les diplomates rentrés à l’administration centrale, à Bruxelles, lors de la rotation précédente, soient servis les premiers. Certains diplomates font toute leur carrière dans le secteur multilatéral : ils passent de l’Otan à l’ONU et de l’ONU à l’Union européenne… D’autres préféreront les postes bilatéraux, plus nombreux, où l’on peut accumuler les découvertes d’autres cultures. Enfin, il y a ceux, plus rares, transférés d’un secteur à l’autre.

Le prochain  » mouvement diplomatique  » aura lieu cet été, mais il se décide ces jours-ci.  » C’est l’un des plus importants depuis longtemps, avec une quarantaine de postes concernés, dont plusieurs parmi les plus prestigieux « , glisse un habitué de la rue des Petits Carmes, siège du ministère. Réuni le 21 mars à Val Duchesse, à Bruxelles, le comité de direction des Affaires étrangères n’a pas tout tranché. De plus, ses propositions, résultat d’arbitrages politiques et linguistiques, doivent être soumises à Karel de Gucht et les décisions ne seront définitives qu’après la signature royale et la remise des lettres de créance.

Toutefois, un coin du voile est levé sur la rotation 2006. Deux  » grands formats  » étiquetés CD&V sont appelés à échanger leurs postes : l’actuel ambassadeur de Belgique à Washington, Frans Van Daele, deviendrait représentant permanent auprès de l’Otan, tandis que l' » atlantiste  » Dominique Struye de Swielande rejoindrait la capitale américaine. L’ambassadeur à Berlin, Lode Willems (SP.A), reviendrait à  » Bruxelles  » et son successeur en Allemagne serait Mark Geleyn (CD&V), actuel directeur général des relations bilatérales au sein de l’administration. L’ambassadeur de Belgique à Londres, Thierry de Gruben, part à la retraite et serait remplacé par Jean-Michel Veranneman de Watervliet, aujourd’hui en poste à Tel Aviv. Quant à Frank De Coninck, grand maréchal de la Cour, il partirait pour Rome, auprès du Saint-Siège.

Jan De Bock (SP.A), qui est à la tête de la représentation permanente auprès de l’Union européenne depuis l’été 2002, verra son terme prolongé d’un an. Mais son adjointe, Geneviève Tuts, s’en irait, souffle-t-on de bonne source. Sa nomination comme n° 2 de la représentation avait fait grincer des dents. Car la magistrate avait été propulsée à ce poste sans être passée par le concours diplomatique. Et après avoir été la directrice adjointe du cabinet de Louis Michel…

Retour de la politisation

En Belgique, on est diplomate de carrière. Geneviève Tuts est l’une des rares exceptions à la règle. Le terme carrière indique bien qu’il s’agit d’un parcours : on commence comme attaché d’ambassade, puis on est nommé deuxième secrétaire, premier secrétaire, conseiller, ministre-conseiller. Ce n’est qu’après avoir fait ses preuves en poste et à l’administration centrale qu’on se voit confier la direction d’un consulat général ou d’une ambassade. Mais ce n’est pas comme cela partout.  » Aux Etats-Unis, indique l’ambassadeur Raoul Delcorde, le président offre des ambassades à de riches hommes d’affaires et autres sympathisants qui l’ont soutenu dans sa campagne électorale : c’est le spoil system, le système des dépouilles. Résultat : 40 % des ambassadeurs américains ne sont pas de la Carrière. Ces parachutages, très rares en Grande- Bretagne et en Allemagne, ont existé en France, sous François Mitterrand.  »

Si la Belgique ignore le spoil system, passer quelque temps au sein du cabinet du Premier ministre ou du ministre des Affaires étrangères est ce qu’on appelle un formidable  » accélérateur de carrière « . Quand il est arrivé aux Affaires étrangères, en 1999, Louis Michel avait promis de ne pas  » repeindre la maison en bleu « . Mais la politisation des nominations a vite repris ses droits, surtout depuis 2003. A l’époque, le bouillant ministre libéral, hostile à la guerre en Irak et, un moment, favorable à la loi de compétence universelle, n’avait pas apprécié le comportement de certains diplomates sociaux-chrétiens flamands, attachés aux liens transatlantiques.

Lors du  » mouvement diplomatique  » de l’été 2004, on a en tout cas pu constater que des postes importants avaient été attribués à des membres du cabinet de Louis Michel : Johan Verbeke, ex-chef de cabinet, a été nommé ambassadeur auprès de l’ONU à New York, poste clé où il a été chargé de préparer la participation belge au Conseil de sécurité ; Vincent Mertens de Wilmars s’est retrouvé à Moscou ; et Geneviève Tuts a été nommée, on l’a vu, auprès de l’Union européenne. Peter Moors, ancien conseiller diplomatique de Guy Verhofstadt, est, lui, devenu ambassadeur à Athènes. Le comité de direction propose, mais le ministre reste maître du choix final.  » En général, il procède à deux ou trois changements par rapport aux noms qui lui sont soumis « , affirme un homme du sérail. Que fera dès lors Karel De Gucht (VLD) ? Le quotidien flamand De Standaard lui prête l’intention de mettre le  » mouvement diplomatique  » 2006 à profit pour renforcer le  » label libéral  » dans la haute hiérarchie.

Olivier Rogeau

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