Le feuilleton Teulé
Au lieu de cheminer avec François Villon ou Paul Verlaine, Jean Teulé aurait pu devenir mécanicien. S’il n’avait eu, dans la classe de troisième de son collège, un professeur de dessin attendri par son profil de grand duduche, vrai cancre certes, mais fin gribouilleur. Le fils de la concierge de la mairie échappa donc à la voie de garage. Quelques années encore, nouvelle providence : le dessinateur André Barbe l’entraîne à L’Echo des savanes, temple de la BD des années 1970-1980. Teulé découvre un monde à sa mesure, iconoclaste et sans frontières.
Mais c’est onze ans et onze albums plus tard, en 1987, que se présenta l’occasion de sa vie : Bernard Rapp l’engage comme chroniqueur pour son Assiette anglaise. Le bédéiste acquiert là un capital sympathie et un savoir-faire cathodique qu’il fait aujourd’hui encore fructifier pour » vendre » ses livres. Car la télé n’aura été qu’une parenthèse avant qu’il ne trouve sa voie dans l’écriture. » Vous devriez écrire un roman « , lui a conseillé un jour Elizabeth Gille, éditrice chez Julliard. » Ah oui ? Et cela représente combien de rédactions ? » lui répond en substance l’ancien mauvais élève. Grand amateur de poésie, découverte par l’intermédiaire de Léo Ferré, il relève, à 38 ans, en 1991, le défi avec Rainbow pour Rimbaud…
Ainsi va la vie de Jean Teulé, jalonnée d’agréables – et décisives – rencontres. Le compagnon de Miou-Miou a l’amitié heureuse et sait bien la rendre. » Il n’a pas changé, témoigne Florence Cestac, l’auteure de BD. Il est toujours autant à l’écoute ; je lui connais des jaloux, mais pas d’ennemis. » C’est que, après les flops (L’£il de Pâques, Balade pour un père oublié…), l’ami des poètes et des paumés est devenu une valeur sûre de sa maison d’édition, enchaînant les succès depuis 2004 et son Ô Verlaine ! Tout, désormais, sourit à l’auteur au style pas toujours très académique, les romans historiques (Je, François Villon) comme les respirations fantaisistes (Le Magasin des suicides, 63 000 exemplaires vendus). Quant à son ouvrage consacré à M. de Montespan, l’un de ces personnages maudits qu’il affectionne, il surfe sur la vague. Déjà plus de 40 000 exemplaires vendus, et les droits d’adaptation en passe d’être cédés à Antoine de Caunes et Daniel Auteuil.
C’est donc à un cocu au grand c£ur que l’écrivain doit sa dernière fortune. Une trouvaille, il est vrai, que ce Gascon au destin insensé, » séparé mais inséparable » de la belle et spirituelle Athénaïs de Montespan, maîtresse attitrée de Louis XIV. Dans une langue fort imagée, qui mêle joliesses du xviie siècle et familiarités du xxie, Teulé recrée avec entrain les m£urs invraisemblables de la noblesse d’alors. Affreux, sales et méchants… tels apparaissent les » talons rouges « , qui défèquent sans pudeur, trompent sans états d’âme, trahissent sans vergogne, à l’image de leur maître à tous, Louis XIV. Le marquis cornu Louis Antoine de Montespan n’a rien d’un saint homme, mais sa révolte contre le fait du prince va peu à peu le transformer en quasi-révolutionnaire.
Une évolution que l’auteur restitue fort justement, explorant les recoins de l’Histoire avec une dextérité de vieux routier. Jamais avare d’une pirouette, Teulé s’en inquiète, d’ailleurs : » Je commence à être malin, à savoir faire, or il faut avoir les mains moites pour écrire. » Alors ? Finis les romans historiques ! Dès septembre, il publiera, chez Dargaud, avec sa complice Florence Cestac, une BD sur la vie de Charlie Schlingo, un dessinateur déjanté à souhait. Et après ? Les yeux bleus se perdent dans les rêveries : » J’attends l’inspiration. Je vais humer, regarder autour de moi. » Ou bien faire une rencontre ?
Le Montespan, par Jean Teulé. Julliard, 336 p.
Marianne Payot
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