Le capitalisme dans l’après- Covid
Le philosophe Alain Badiou décèle après la crise sanitaire une désorientation du monde. Le journaliste Eric Le Boucher craint même une irruption de la barbarie. L’un et l’autre ciblent le capitalisme. Mais divergent sur ce qu’il faut en faire.
Où va le monde post- Covid? Le philosophe Alain Badiou, dans Remarques sur la désorientation du monde (1), et le cofondateur du site d’information Slate, Eric Le Boucher, dans Echec à la barbarie (2), dressent un constat plutôt alarmant de l’état de la société française et européenne. Mais les dysfonctionnements identifiés après la crise sanitaire et la montée de la défiance envers la politique peuvent aussi servir de révélateurs pour forger un mieux-être.
Alain Badiou définit la désorientation comme « le sentiment d’un désordre général, d’un brouillage des consciences, d’une incertitude générale en ce qui concerne le futur, proche ou lointain ». Le phénomène toucherait tant la laïcité que l’enseignement, l’écologie que le féminisme contemporain, et même la contestation, qu’elle émane des gilets jaunes ou des militants antivax. Cette dernière protestation suscite en particulier son incompréhension: « On ne peut vivre en société de façon minimalement raisonnable si on trouve « normal », au nom de la liberté individuelle, de devenir le centre d’une contagion étendue avec risque de morts. » Le philosophe communiste va même jusqu’à regretter qu’Emmanuel Macron n’ait pas signé l’obligation de la vaccination et s’étonne que lui soit fait le reproche de l’auto- ritarisme. Non, pour Alain Badiou, le réel adversaire est « le système capitaliste, ses inégalités pathologiques et sa « démocratie fallacieuse » ». « Ainsi, la désorientation organisée par l’idéologie dominante pour protéger nos vrais maîtres, à savoir la grande bourgeoisie capitaliste, finit pas reconstituer la plus vieille et la plus dangereuse des catégories politiques, à savoir le nationalisme, qui ne « protège » le moi qu’ au prix de l’exaltation collective d’une identité aussi agressive que fictive », énonce le philosophe.
Le moment est venu de cesser d’être catastrophiste pour devenir solutionniste.
En ligne de mire, Eric Zemmour et son succès dans la campagne électorale présidentielle. « Ce qu’il faut surtout souhaiter, c’est que la visible fatigue des institutions étatiques « démocratiques » et, en particulier, l’inertie avérée des « gauches » occidentales, profitent, non à la venue au pouvoir d’une sorte de fascisme réinventé, mais à un nouveau départ du communisme. »
Place aux solutions
Plus pessimiste encore est l’inventaire des pathologies de la société dressé par Eric Le Boucher dans Echec à la barbarie. Les laissés-pour-compte du capitalisme, l’individualisme, l’émotion, la postvérité, la peur, la méritocratie retournée, la trahison des politiques et les médias guidés par le buzz sont, pour le journaliste économique, autant de « forces maléfiques de l’irraison » qui risquent de faire basculer le monde dans la barbarie. Il dénonce aussi le capitalisme débridé mais pas au point, comme Alain Badiou, de vouloir lui substituer le communisme. Il voit, certes, dans la gestion de la crise de la Covid « un rebasculement historique »: « Le curseur entre capital et travail, positionné à droite depuis les réformes Reagan-Thatcher, est en train de repartir dans l’autre sens, vers la gauche. » Mais, pour Eric Le Boucher, il « suffit » que l’Etat déplace le capitalisme vers « la vie ». De même, le « choc climatique » sera absorbable si les efforts de la science sont encouragés à y trouver des parades. « Le moment est venu de cesser d’être catastrophiste pour devenir solutionniste », exhorte Eric Le Boucher.
(1) Remarques sur la désorientation du monde, par Alain Badiou, Tracts Gallimard, 64 p.
(2) Echec à la barbarie, par Eric Le Boucher, Grasset, 162 p.
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