« Le bouwmeester doit être un facilitateur »
Pour Philippe Meilleur, président du conseil national de l’Ordre des architectes, la désignation d’un maître-architecte wallon pourrait aider à faire éclore des projets publics de qualité, à condition d’en baliser le rôle.
Que pensez-vous de la potentielle désignation d’un maître architecte pour la Wallonie?
Il y a à peu près deux ans, le ministre Willy Borsus (NDLR: MR, en charge de l’Aménagement du territoire) nous avait posé la question. A l’époque, nous avions répondu que cela nous semblait positif mais ne pouvait pas se faire dans n’importe quelles conditions. Nous pensons toujours aujourd’hui que cela permettrait de donner une vision architecturale à l’échelle wallonne, même si la cohérence qui est souvent évoquée ne doit certainement pas être synonyme d’appauvrissement. La désignation d’un maître-architecte n’est toutefois pas la seule option.
Quelles seraient les autres solutions?
La réflexion pourrait émaner de l’administration, puisqu’elle dispose de fonctionnaires délégués qui s’appuient eux-mêmes sur des architectes en interne. On pourrait aussi étendre le débat à des professionnels extérieurs. Cela s’est fait à une époque, avec un groupe interne à la Région wallonne qui a fait appel à des architectes de l’Ordre, des associations et à des professionnels de la construction pour une série de questions relatives à l’examen de textes comme le CoDT (NDLR: le Code de développement territorial). Aujourd’hui, cette task force ne se réunit plus, mais le débat pourrait très bien avoir lieu par ce canal-là, ou par un groupe d’étude similaire. A l’Ordre des architectes, nous prônons plutôt la désignation d’un collège d’experts: cela nous paraît plus en phase avec la complexité de la Région et la variété de ses paysages, bien plus importante encore qu’en Flandre ou qu’en région bruxelloise.
Un collu0026#xE8;ge d’experts nous parau0026#xEE;t plus en phase avec la complexitu0026#xE9; de la Ru0026#xE9;gion et la variu0026#xE9;tu0026#xE9; de ses paysages.
Quel devrait être le rôle d’un maître-architecte ou d’un collège d’experts équivalent, et où doit-il s’arrêter?
Pour moi, il doit être un facilitateur, c’est-à-dire un interlocuteur connaissant le métier et capable d’expliquer aux maîtres d’ouvrage publics comment, par exemple, monter un dossier pour transformer un bâtiment communal. Il doit aussi permettre d’entamer les réflexions en amont. C’est quelque chose qui manque chez nous: quelle programmation, quels besoins, quels budgets? Selon nous, le bouwmeester ne peut pas intervenir dans les marchés privés. C’est le cas à Bruxelles, mais ce n’est apparemment pas prévu en Wallonie, puisque la déclaration de politique régionale fait référence aux projets publics.
Même si cet argument divise le monde académique, l’architecture est parfois invoquée comme un moteur de redéploiement d’une région ou d’un bassin de vie. A juste titre, selon vous?
On le constate dans d’autres pays: en France, Lille l’a fait au début des années 2000, en s’appuyant sur quelques projets de grande ampleur. Bordeaux a fait de même et s’est complètement transformée. Dans beaucoup de pays, les exemples ne manquent pas pour démontrer que l’architecture, quand elle est bien utilisée, peut être au centre du dynamisme d’une région. Il est toutefois clair que les choix posent parfois question.
Pensez-vous que le clivage fréquent et souvent passionnel sur la place de gestes architecturaux dans le cadre de vie bride, en amont, la créativité de certains projets?
Cela doit indéniablement jouer. Il est certain qu’un promoteur immobilier avec un objectif de rentabilité n’a aucun intérêt à introduire trois fois une demande de permis. Même des architectes travaillant sur des projets de plus petite ampleur peuvent être tentés de ne pas trop se battre pour les faire aboutir. Trop souvent, on cède encore à la facilité et à la banalisation en Wallonie. Il est regrettable de devoir parfois se résoudre, en 2022, à une architecture passe-partout afin de ne pas déranger.
La réflexion évolue-t-elle malgré tout positivement?
Davantage encore dans la ruralité, il y a toujours cette peur de promouvoir un geste fort, bien trop souvent combattu. Dans les villes, cela commence à changer. On l’a d’abord vu à Liège, avec le débat sur la gare de Calatrava, qui a fait couler beaucoup d’encre mais semble aujourd’hui unanimement appréciée. Namur et Charleroi bougent elles aussi depuis quelques années. Mais de manière générale, le changement est encore trop lent.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici