L’autre mur

Philippe Cornet Journaliste musique

Trois décennies après sa sortie, The Wall, conte parano et théâtral, luxueusement réédité, définit encore une forme de trauma au-delà du rock.

Après The Dark Side of the Moon et Wish You Were Here en 2011, The Wall est le troisième album du Floyd à subir le traitement du box Immersion. Sac à bonbons pour adultes dépensiers, le coffret, vendu autour de 100 euros, contient toutes sortes d’artefacts, dont trois billes et une écharpe siglées The Wall, et pas moins de 7 CD/DVD. On connaît l’histoire : le 6 juillet 1977, lors d’un concert devant 60 000 spectateurs au stade olympique de Montréal, Roger Waters, excédé par le comportement d’un spectateur hystérique, lui crache dessus…  » Le lendemain est venue l’idée de construire un mur entre la scène et le public pour exprimer ce ressenti d’aliénation et de séparation « , explique le Floyd en chef, dans le très révélateur documentaire joint au package. Il veut alors bâtir l’ultime métaphore de l’isolement : initialement, le mur doit même rester dressé pendant toute la durée du show, mais la proposition s’avère trop radicale. Le dispositif pharaonesque révèle, au fil du spectacle – en deux parties, comme le disque -, le groupe et ses névroses. Projections d’images inquiétantes et mortifères, marionnettes géantes difformes : le prototype de Waters tient moins du biotope humain que de la prédation animale théâtralisée. The Wall charrie les traits de son auteur principal – la mort du père pendant la Seconde Guerre mondiale – et rappelle l’isolement dans lequel Syd Barrett, créateur initial du Floyd, s’enfermera irrémédiablement. On mesure l’ironie d’une entreprise fustigeant la non-communication absolue alors que l’ambiance intra-muros du groupe devient elle-même irrespirable : Waters vire le claviériste Richard Wright, compagnon d’armes depuis près de quinze ans, et le récupère ensuite comme simple musicien pigiste…

îuvre au noir

Musicalement, le double LP, qui sort le 30 novembre 1979, ignore complètement son époque punk/new wave : les morceaux sont pour la plupart longs et pâteux, ballades funambules ou d’une pesanteur caoutchouteuse visant l’hypnose primale ( Confortably Numb). Waters & C° s’avèrent inspirés dans leurs grincements, pondant même un tube via un titre pop-disco sur le conditionnement de l’éducation scolaire ( Another Brick in the Wall, Part 2). L’un des réels bonus du présent coffret tient dans l’incorporation des 2 CD de Work in Progress où les démos de Waters – compositeur essentiel du travail – dévoilent déjà toute l’âme du futur disque, coproduit par Bob Ezrin. C’est un strict mélodrame que le Floyd propose au public de la toute fin des seventies : la réponse commerciale sera colossale, le disque se vendant à plus de 30 millions d’exemplaires. Par contre, la logistique démente du projet freinera le live : de The Wall, le Floyd ne donnera que 31 représentations dans cinq villes. Il faudra attendre Berlin, en 1990, pour un remake signé Waters, celui-ci reprenant les rênes de son £uvre au noir, lors d’une récente et triomphante tournée mammouth, en cours jusqu’à l’été 2012. Ironie même pas conceptuelle : le disque parti d’un crachat dans un stade canadien retrouve aujourd’hui les mêmes espaces démesurés pour exprimer l’aliénation. Avec le recul cependant, la plupart des constats orwelliens du disque ne sont plus de la fiction.

Box Immersion the Wall, chez EMI.

Philippe Cornet

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