Peyo et ses Schtroumpfs, un succès commercial international qui a parfois éclipsé son art. © © PEYO

L’art de Peyo

Le succès commercial des Schtroumpfs lui fit longtemps de l’ombre. Une superbe rétrospective à la Fondation Folon, à La Hulpe, vient rappeler à quel point Peyo fut d’abord un extraordinaire raconteur d’histoires.

Attention, chefs-d’oeuvre ! S’il est une exposition de bande dessinée que les amateurs, et les autres, se doivent de visiter cette année, ne cherchez plus, on l’a trouvée. Elle se tient jusqu’à la fin des grandes vacances dans la ferme du château de La Hulpe, occupée depuis sept ans par la Fondation Folon, laquelle a eu la merveilleuse idée de proposer à Véronique Culliford, la fille de Peyo, d’ouvrir ses archives et de donner à voir, enfin et pour la première fois, de nombreuses planches originales réalisées par son père, dès 1945. Et si, bien sûr, on y croise moult Schtroumpfs, ceux-ci ne sont, pour une fois, pas les stars de l’événement ; c’est bel et bien leur auteur que l’on redécouvre ici. Et quel auteur !  » De tous les auteurs de BD que j’ai pu rencontrer, Peyo était sans conteste le meilleur raconteur d’histoires « , disait de lui Yvan Delporte, rédac’ chef de Spirou et coscénariste, entre autres, des Schtroumpfs noirs.

Une évidence pour tous ceux qui ont lu Johan et Pirlouit, Benoit Brisefer ou les premiers albums des Schtroumpfs, et pour tous ceux qui prendront le temps de venir admirer ses originaux et quelques documents rarement ou jamais vus : si Franquin reste à jamais le meilleur dessinateur de sa génération et de cette fameuse  » école de Marcinelle « , Peyo, lui, en était le meilleur narrateur. Un narrateur qui, aujourd’hui encore, fait de l’ombre à ses confrères : en matière de lisibilité, de pureté du trait ou de densité, on n’a jamais fait mieux que Peyo.  » Nous tenions vraiment à remettre en avant l’art de Peyo, qui a parfois été oublié, éclipsé par l’énorme succès commercialdes Schtroumpfs, les seuls personnages de la bande dessinée franco-belge au retentissement réellement international « , nous a expliqué José Grandmont, membre du studio Peyo et cocommissaire de cette rétrospective admirable en compagnie d’Hugues Dayez, l’autre grand spécialiste de Peyo, dont il a écrit, il y a presque quinze ans, la seule biographie le concernant (Peyo l’enchanteur, paru en 2003 chez Niffle).  » Nous voulions montrer ici à quel point il a été un artisan exceptionnel avant d’être un auteur à succès, éclipsé voire écrasé par celui-ci. Or, il a appris à manier l’art de la BD comme personne : découpage, maîtrise des contrastes, lisibilité, Peyo reste un maître, un incroyable perfectionniste, qui dirigeait tous ses talents vers un seul objectif : raconter des histoires, le mieux possible « .

L’ombre de Disney et Hergé

Les débuts de Pierre Culliford, dit Peyo, né en 1925 à Schaerbeek, ne furent pourtant pas de tout repos : des années de vache enragée où celui qui voulait devenir animateur de dessin animé, comme ses amis Morris ou Franquin, subit d’abord bien des échecs, à commencer, dès 1947, par le refus de Hergé de l’accueillir dans Tintin. Des années pendant lesquelles Peyo va multiplier les projets : des dessins préparatoires pour un film d’animation, Le Cadeau à la fée, qui tiens, tiens, mettaient en scène de gentils petits lutins, ou des débuts de série, comme Terry ou Captain Coky, un récit de piraterie qui va surtout lui permettre de perfectionner et son dessin, et sa façon de raconter son histoire. On observe ainsi, dans la première des trois salles qui lui sont consacrées, une même planche recommencée à cinq reprises pour atteindre la meilleure narration.  » Une rareté, poursuit José Grandmont, parce que l’on possède très peu d’à-côtés du travail de Peyo : très peu de crayonnés, pratiquement pas de recherches : lui qui était en quête du dessin utile a dû jeter à la poubelle des milliers de croquis, pour ne garder que ses planches définitives au trait noir ; là où Franquin multipliait les petits dessins pour obtenir le bon, Peyo notait plutôt une idée.  » Un travail d’orfèvre et de perfectionniste qui lui permettra, enfin, en 1952 et avec un coup de pouce de Franquin, de passer la porte de Spirou et d’y entamer les aventures médiévales et humoristiques de Johan et Pirlouit, saupoudrées d’heroic fantasy. Treize albums que les amateurs considèrent toujours comme des merveilles, pourtant éclipsés par leur spin-off que furent les Schtroumpfs. Ceux-ci apparaissent en effet en 1958 comme des personnages secondaires de La Flûte à six trous, neuvième aventure de Johan et Pirlouit rapidement rebaptisée La Flûte à six schtroumpfs face au succès des lutins bleus. Lesquels déborderont également rapidement des miniformats inventés par Yvan Delporte dans Spirou, premier écrin de leurs histoires en solo. Le début d’un succès international mais énergivore pour Peyo, rapidement obligé de s’organiser en studio pour faire face aux demandes et à ses propres envies.

Artisanat et rythme industriel

Outre les Schtroumpfs et Johan et Pirlouit, Peyo crée Benoît Brisefer comme un pied-de-nez aux héros des comics américains, multiplie les gags en demi-planches de Poussy, ou se lance dans Jacky et Célestin, mais se voit de plus en plus obligé de déléguer décors, crayonnés ou demandes d’un marketing naissant aux jeunes auteurs qui se succèdent dans son studio, parmi lesquels Walthéry, Wasterlain, Gos, Derib ou De Gieter. Les années 1980 feront passer ses Schtroumpfs dans une autre dimension, avec leur adaptation en dessins animés par les studios américains Hanna Barbera. L’artisan pointilleux bravera dès lors un rythme industriel qui fera le succès de ses créations mais lui coûtera sa santé : Peyo, épuisé par le diabète, meurt en 1992 à l’âge de 64 ans. Ses Schtroumpfs sont depuis des stars internationales – un nouveau film d’animation produit par Sony vient de sortir, le studio poursuit la production des albums, et l’année 2018 sera très Schtroumpfs pour leur 60e anniversaire, avec une grande expo d’ores et déjà programmée à Tour & Taxis, à Bruxelles. Mais on retiendra surtout celle-ci, qui redonne à Peyo l’aura qui est la sienne : celle d’un des grands génies de la bande dessinée.

Peyo. A Retrospective : à la Fondation Folon, à La Hulpe, jusqu’au 27 août prochain. www.fondationfolon.be

Par Olivier Van Vaerenbergh

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