L’arme Gazprom

L’arme énergétique a-t-elle remplacé la dissuasion nucléaire ? La décision de la Russie, le 3 mars, de réduire de 35 % ses livraisons de gaz à l’Ukraine rappelle aux Européens les heures noires de décembre 2005 et de janvier 2006. Quand, pour faire plier Kiev, Gazprom, le premier gazier mondial, avait fermé les vannes. L’Union européenne avait, alors, pris conscience de sa dramatique dépendance envers le gaz russe (22 % de ses approvisionnements).

Viviane de Castel, enseignante et chercheuse à l’Institut supérieur européen de gestion, n’a aucun doute :  » L’énergie sert à peser sur les Etats qui entravent la volonté de Poutine de retrouver la puissance et les limites de l’ex-URSS.  » En Ukraine, la Russie aurait, ainsi, rappelé aux partisans de la révolution Orange qu’il ne faisait pas bon s’émanciper. Elle ne s’est pas, non plus, empressée de dépanner la Géorgie sécessionniste et elle a mené, sans états d’âme, une véritable guerre du pétrole contre la Biélorussie.

Le pouvoir politique n’est pas près d’abandonner un tel secteur géostratégique. En 2005, il a représenté 150 milliards de dollars et 30 % des rentrées fiscales, selon Guy Maisonnier, de l’Institut français du pétrole. Et, depuis, les prix ont flambé. D’où la forte reprise en main de ces dernières années.

Aujourd’hui, l’Etat contrôle plus de 50 % de Gazprom. Le bras armé gazier – dont Rosneft est l’équivalent pétrolier – a servi, en 2006, quand Poutine a lancé l’idée d’une organisation des pays exportateurs de gaz. Une réunion au Qatar, des relations suivies avec l’Iran et un rapprochement avec l’Algérie : les Etats consommateurs se sont vus, tout de suite, étranglés. Même si, dans les faits, le cartel des prix est difficile à mettre en place. La domination de Gazprom s’exprime aussi par l’entrée dans le capital de sociétés de transport et de distribution des pays importateurs.

Voire par des prises de contrôle, à l’instar de celle, fin janvier, du plus grand groupe pétrolier serbe, NIS. Catherine Locatelli, chercheuse au CNRS, tempère :  » L’offensive de Gazprom est, avant tout, industrielle et commerciale. Pourquoi la Biélorussie ne paierait-elle pas les mêmes prix que les autres Etats étrangers ?  » Il s’agit, en effet, de valoriser les exportations qui rapportent trois fois plus que le gaz vendu sur le marché intérieur russe. Confrontée à la concurrence de poids lourds comme l’Algérie, l’Iran, le Nigeria et la Norvège, la Russie s’est engagée, à marche forcée, dans une politique de diversification de ses débouchés (vers l’Asie et les Etats-Unis) et de valorisation de son énergie.

Mais les effets de muscles ne doivent pas faire oublier que le Kremlin ne peut pas faire n’importe quoi qui diminuerait ses rentrées de devises. Devant le péril, vrai ou supposé, certains producteurs humiliés, comme l’Azerbaïdjan, ou les pays clients essaient déjà de contourner Moscou. Conscient de sa mauvaise image de marque, Gazprom s’est aussi lancé dans une vaste campagne de communication. l

Georges Dupuy

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