L’Amblève, fille de l’Est
Encaissée, sauvage, plutôt claire, l’Amblève a toutes les qualités. A commencer par la variété. Le long de l’eau, les sites touristiques alternent avec une nature intacte. Les paysages se font tantôt escarpés, tantôt plus aimables. Une diversité qui ne l’empêche pas de tresser un lien cohérent entre l’est et l’ouest de l’Ardenne liégeoise
Des occasions de visiter l’Amblève
26 et 27/7 : Deigné Fleuri û Infos : 04 360 82 21.
22 au 24/8 : Festival du conte de Stavelot û Infos : 080 88 05 20.
30 et 31/8 : Harzé (Aywaille) : fête nationale du fromage belge. Infos : 04 384 50 15.
6 et 7/9 : journées du contrat de rivière en Wallonie (promenades guidées, expos, animations…). Infos : 080 86 20 24.
Deux vagues bleues sur un panneau blanc, surmontées des mots Die Amel. Il faut être informé pour savoir que ce petit pont de pierre enjambe en fait l’Amblève, encore germanophone à cet endroit. Car, hasard de la géographie, la rivière qui a vu la déroute des troupes allemandes, fin 1944, prend sa source au c£ur des cantons de l’Est, dans la forêt qui surplombe le village de Heppenbach. Le cours d’eau n’est alors qu’un ruisseau de moins de deux mètres de largeur. Ce petit serpent d’eau a pourtant fait courir les foules aux siècles passés, à l’affût d’une hypothétique pépite d’or. Car la rivière, dans son parcours supérieur, traverse l’ » Eldorado belge « . Un nom séducteur qui désigne, en fait, la zone aurifère la plus importante de Wallonie. Les spécialistes pensent même qu’à l’époque celtique, le bassin était intensément orpaillé par des chercheurs d’or qui s’y ruaient avec frénésie. Mais rien n’indique s’ils y ont débusqué de vrais trésors… ou quelques minuscules paillettes, comme c’est parfois le cas de nos jours.
Dans ce tronçon très sauvage, la rivière convoitée se faufile discrètement dans le paysage. Pas facile d’en suivre le cours. Mais qu’importe… Ici, c’est plus la vallée qui séduit que l’Amblève en elle-même. Derrière les reliefs coiffés de conifères s’étendent des pâtures pointillées de vaches et de fermes. Les collines jouent des avant et des arrière-plans pour élargir le champ de vision et donner l’impression d’une vue très étendue, sans cesse renouvelée. Bellevaux-Ligneuville, Reculémont : le panorama se découvre depuis la route des crêtes qui mène à Stavelot… et à ses » Blancs-Moussis « . Ces personnages mutins à la cape blanche et au long nez rouge déambulent dans l’ancienne cité abbatiale le troisième dimanche avant Pâques : une manière de singer les moines de la ville qui, jadis, ne pouvaient assister au carnaval.
L’Amblève arrose ainsi la cité stavelotaine, longe le local des Blancs-Moussis, puis se métamorphose peu à peu. » Au fil de l’eau, entre les cantons de l’Est et la région d’Aywaille, tout change. Le sol, le paysage, les mentalités et même le climat, qui devient moins rude « , explique Christine Heinesch, coordinatrice du contrat de rivière de la région. » L’Amblève joue le trait d’union entre les Communautés. C’est notre seul contact entre l’Est et l’Ouest « , ajoute Jean-Pol Bleus, président du contrat de rivière.
Devenue latine, la rivière rejoint la petite ville de Trois-Ponts. Où, contrairement à ce que l’on pourrait croire, elle ne passe pas sous trois ponts… La ville est en fait sillonnée par trois rivières : le Baleur, la Salm, et, bien sûr, l’Amblève. A la confluence de ces deux dernières, un curieux rocher pleure nuit et jour un amour impossible : le thier des c£urs fendus. Selon la légende, l’avare Grégoire Corbion refuse obstinément de marier sa nièce Henriette, trop heureux qu’il est de rester usufruitier des biens de la jeune fille. Eperdument amoureux, Joseph Fawtai se prête à toutes les épreuves pour obtenir la main de la belle. Mais, pour la dernière épreuve, Grégoire organise une course entre Joseph et un rival jusqu’en haut de la montagne. Joseph remporte le défi, mais tombe mort en touchant le rocher. Henriette en a » le c£ur fendu « . Son torrent de larmes se noie dans l’Amblève… et vient grossir le flot de la chute d’eau toute proche : la célébrissime cascade de Coo.
Des chiens dans la cascade
Sacro-saint lieu du tourisme dans la région, pèlerinage obligé des voyages scolaires, rendez-vous des amateurs de parc d’attractions, de baraque à frites et de truite en plat du jour… On en vient à oublier que le lieu est avant tout voué à sa cascade. Et ce n’est pas étonnant ! Car, au xixe siècle déjà, Coo attirait les touristes. L’étape faisait partie des circuits » amusement » pour les curistes de Spa. Et les mendiants du coin profitaient des attroupements autour de la rivière pour se donner en spectacle, en jetant des chiens dans la cascade. Le roi de Suède tenta même d’y jeter une vache ! Plus tard, un arrêté communal mettait fin à ces pratiques. Mais le lieu continue à se développer. Et pourtant, cette cascade n’est pas naturelle. Elle est l’£uvre des moines de l’abbaye de Stavelot. Ils auraient recoupé un méandre très resserré de l’Amblève ( lire p. 28) pour réduire les risques d’inondations locales lors des crues, et provoqué ainsi ce flot tumultueux qui attire, chaque année, près d’un million de visiteurs !
La rivière se déchaîne sous l’objectif des photographes, puis repart, comme si de rien n’était, à l’ombre des arbres. Direction : La Gleize, où résonne encore l’écho des combats de la bataille des Ardennes. C’est non loin de là que les Américains sont parvenus, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, à stopper la dernière offensive de l’armée allemande. Un musée rappelle ces heures victorieuses.
Au-delà de Stoumont, la rivière s’encaisse dans la vallée. Depuis le point de vue dit du Congo, en surplomb du cours d’eau, les collines semblent vouloir étouffer l’Amblève et la faire dis- paraître. La végétation luxuriante domine tout, puis se dissipe petit à petit, à l’approche du cours inférieur de la rivière.
Le diable en rit encore
En aval de Stoumont et de Lorcé, le lit du cours d’eau s’encombre de multiples rochers arrondis par l’érosion. L’Amblève se glisse en mugissant dans cet insolite chaos minéral. Ce sont les Fonds de Quarreux. » Le lieu est superbe, à condition de fuir la saison des frigo-box ! » plaisante Jacques Lilien, directeur de la Maison du tourisme Ourthe-Amblève. A certaines périodes, en effet, les berges se couvrent de touristes plus occupés à élire la meilleure pierre de pique-nique qu’à s’interroger sur ce paysage étrange. Une curiosité naturelle que les anciens expliquaient par une saute d’humeur du diable en personne. Un meunier aurait passé un pacte avec Satan pour obtenir un moulin en haut de la colline dominant les fonds. Mais l’imprudent n’aurait pas tenu sa propre promesse, provoquant ainsi la colère du démon. Le moulin du meunier aurait volé en éclats et ses débris seraient tombés dans le cours d’eau.
A quelques pas de ces affres diaboliques, le Ninglinspo rejoint l’Amblève sur la rive droite Ce ruisseau torrentueux vaut vraiment la peine qu’on s’y attarde. Il se faufile dans les bois, sur une pente très raide au fond d’une étroite vallée en » V » et creuse des bains dans le quartzite : de grandes cuves de teinte rosée, complètement lissées par l’érosion.
Non encore rassasiée de curiosités géologiques, l’Amblève descend de l’Ardenne pour rejoindre Remouchamps et son viaduc autoroutier qui balafre le paysage, mais surtout sa grotte. Le sol de cette zone calcaire est, en effet, très perméable et l’eau se glisse un peu partout dans les profondeurs. Aux alentours de Deigné – petit village remarquablement fleuri une fois par an -, le Vallon des Chantoirs avale ainsi les eaux de surface. Chaque cavité est reliée à la grotte de Remouchamps et participe à la formation d’une rivière souterraine : le Rubicon. Non loin de là, sur la Heid des Gattes (la vallée des chèvres), pousse une plante unique au monde : la joubarde d’Aywaille. Ses fleurs pourpres font le bonheur des promeneurs en été… pour autant que la plante ait échappé à l’appétit vorace des ruminants du cru.
Dernier clin d’£il à la géologie, l’Amblève passe à hauteur de Sprimont et de sa carrière. Le musée de la Pierre, installé dans une ancienne centrale électrique, rappelle le passé carrier de la région, réalisations à l’appui. Il suffit de regarder les verres en pierre presque opalins pour se convaincre du savoir-faire des artisans.
Au pied du camping du » Confluent « , à Comblain-au-Pont, l’Amblève vient gonfler le cours de l’Ourthe, dont elle est le principal affluent. La transition est-ouest est accomplie au terme d’un parcours de 85 kilomètres émaillés de surprises naturelles et humaines. Fanny Bouvry
Photos : Marc Fasol
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