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La vie, l’amour, la mort
A 84 ans, Claude Lelouch signe un cinquantième film qui tente assez naïvement de faire la synthèse de son cinéma: L’Amour c’est mieux que la vie.
Quand, en 1960, sort son premier long métrage, l’autoproduit Le Propre de l’homme, on peut lire cette formule cinglante dans Les Cahiers du cinéma : « Claude Lelouch, retenez bien ce nom, vous n’en entendrez plus jamais parler. » Et pourtant… Six décennies plus tard, Lelouch est toujours là. Il nous reçoit un après-midi de janvier dans son grand bureau du Club 13, son repaire niché au coeur du 8e arrondissement parisien où une salle de cinéma privée côtoie un restaurant et un karaoké. Le prétexte? Un nouveau long métrage, son cinquantième, au titre lelouchien en diable: L’Amour c’est mieux que la vie. Soit le premier volet d’une trilogie dans lequel deux copains (Ary Abittan et Philippe Lellouche) décident de payer une professionnelle (Sandrine Bonnaire) pour offrir une ultime histoire d’amour à leur ami mourant (Gérard Darmon).
Ce nouveau film m’a en quelque sorte été soufflé, il y a longtemps déjà, par Jacques Brel.
« Ce film m’a en quelque sorte été soufflé, il y a longtemps déjà, par Jacques Brel, que j’avais fait tourner dans L’Aventure c’est l’aventure, raconte le réalisateur. Un jour, Brel est venu dans ce bureau où nous nous tenons aujourd’hui. C’était quelques mois à peine avant son grand départ. Il se savait gravement malade. Je lui sers une bière et je le vois la déguster comme jamais. Alors je lui dis: « Mais qu’est-ce qu’elle a, ta bière, Jacques? Elle a l’air extraordinaire. » Il me répond que c’est peut-être la dernière qu’il boit, et il ajoute: « Depuis que je fais les choses pour la dernière fois, enfin j’apprécie la vie. » Alors je me suis dit qu’un jour, il fallait que je fasse un film autour de ça. Dans L’Amour c’est mieux que la vie (1), Gérard Darmon se retrouve dans la même position que Jacques Brel ce jour-là. Depuis qu’il se sait condamné, il déguste les choses et son ultime histoire d’amour, il va l’apprécier comme jamais. C’est un film sur la force du présent. »
Fausse bonne idée de ce nouveau long métrage: Lelouch y relie certains personnages à des figures plus anciennes et emblématiques de son cinéma. Par exemple, celui incarné par Sandrine Bonnaire se révèle être la fille de ceux joués par Nicole Courcel et Lino Ventura dans L’Aventure c’est l’aventure, tandis que celui interprété par Gérard Darmon se trouve être le fils du personnage campé par Robert Hossein dans Les Uns et les autres. Des séquences de ces films restés célèbres établissent, par flash-backs, les différents liens de parenté et suggèrent l’idée d’une grande famille traversant toute la filmographie lelouchienne. « J’ai pensé que ce cinquantième film était pour moi une sorte d’anniversaire que je voulais fêter avec moi-même, commente le réalisateur. J’avais envie de mettre au propre soixante ans d’observation. Je veux dire que j’ai eu le sentiment, à un moment donné, que je n’avais fait qu’un seul film. Et que tous les personnages de ma filmographie appartenaient à une famille, que j’ai essayé de reconstituer. Au départ, je voulais le faire en un seul long métrage. Mais je me suis aperçu qu’il durerait six heures. J’ai dû me résoudre à le faire en trois parties. Dans le deuxième volet, je parlerai de l’incroyable fertilité du chaos, parce que je crois que tout ce qui nous arrive de pire est positif, que toutes les catastrophes sont utiles, elles nous permettent d’avancer. J’ai plus appris de mes échecs que de mes succès. La troisième partie, elle, sera sûrement mon dernier film. Il s’appellera Finalement et servira de grande conclusion. Mais une conclusion optimiste, parce que j’aime la vie et j’ai envie de la faire aimer au plus grand nombre à travers mes films. C’est d’ailleurs ce que m’a souvent reproché la critique: mon optimisme. Pour moi, la vie est comme la météo. A un moment donné, quand la pluie cesse, le soleil revient. »
Autodidacte et amateur
Ce n’est pas tant son optimisme béat que ses éternelles formules toutes faites (sur le bien et le mal, le bonheur et le drame, le courage et la peur, les hommes et les femmes… ) que l’on reproche à Claude Lelouch. Ainsi encore de L’Amour c’est mieux que la vie, qui évoque par endroits un véritable festival d’aphorismes creux. « Je n’ai plus de temps à perdre avec le temps », y déclare, par exemple, assez ridiculement un Gérard Darmon particulièrement cabotin. Ou encore: « J’ai décidé de progresser au lieu de vieillir. » Petite philosophie de comptoir que le cinéaste français se gargarise d’ailleurs d’avoir fait sienne: « Je suis un vrai autodidacte de la vie. J’ai plus appris dans la cour de récré que dans les salles de classe. Moi, je suis jeune depuis très longtemps (sourire). Dans ma tête, je ne suis qu’un adolescent. Je n’ai d’ailleurs fait que des films d’adolescent. Je suis toujours un cinéaste amateur. Je ne suis rien d’autre qu’un observateur. En ce sens, je suis plus un metteur en vie qu’un metteur en scène. Je travaille avec un grand scénariste qui s’appelle la vie. Et ce scénariste s’invite dans tous mes films. »
Et d’ajouter, soudain plus songeur: « Très honnêtement, si j’avais lu le scénario de ma vie, je n’y aurais pas cru. Mais en vivant cette existence minute après minute, elle devient crédible. J’ai 84 ans aujourd’hui, je sais très bien qu’on va bientôt m’appeler. Mais je n’ai pas peur de la mort. Je ne fais pas le fanfaron, je touche du bois. Par contre, j’ai le trac. Comme tous les gens qui savent qu’il va se passer quelque chose d’important. Et pour moi, la mort est quelque chose de très important. J’ai tous mes copains qui partent, en ce moment: Johnny Hallyday, Francis Lai, Bernard Tapie, Jean-Paul Belmondo… Ça fait beaucoup. Mais je ne suis pas triste qu’ils soient partis, parce que j’ai l’intime conviction qu’on est recyclé, que le meilleur de chacun d’entre nous est conservé. Notre part de rationnel nous dit qu’on est mortel, notre part d’irrationnel, qu’on est là pour toujours. Et en vieillissant, on a davantage envie de faire confiance à sa part d’irrationnel qu’à sa part de rationnel. Parce que le rationnel fait de nous des trouillards. »
(1) Dans les salles depuis le 19 janvier.
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