La vie aquatique

Ysaline Parisis Journaliste livres

L’aventureuse Catherine Poulain entre en littérature avec Le grand marin. Un premier roman qui embarque sur les bateaux de pêche en Alaska. Humble et impressionnant.

Sa vie ressemble au CV d’un auteur américain des grands espaces. Ces écrivains pour qui l’imagination ne vaudra jamais l’expérience engrangée, venus à l’écriture par la voie la moins académique qui soit : la vie. Labourer le réel dans tous les sens, par tous les temps, et en ramener matière à roman : à 56 ans, Catherine Poulain a été employée dans une conserverie de poissons en Islande et sur les chantiers navals aux Etats-Unis, travailleuse agricole au Canada puis barmaid à Hong Kong. La voilà désormais écrivaine avec Le grand marin, premier roman inspiré par l’une de ses innombrables vies – celle qui la vit s’engager, dix ans durant, sur des bateaux de pêche en Alaska. Traversé parune certaine idée de l’extrême biographique, le livre est l’histoire de Lili, femme-moineau à la volonté trempée dans l’acier, petite Française qui décide un beau jour de tout plaquer pour gagner le Grand Nord et embarquer sur le Rebel, bateau de pêche à la palangre qui chasse la morue noire ou le flétan. D’abord moquée par les marins, mais dure à l’effort et à la douleur, la  » greenhorn  » (la bleue) devra défendre sa place à bord et gagner le respect des hommes en se pliant aux lois du pont et plus encore à celles, insondables, de la nature.

Huis clos en plein air

 » Risquer de perdre la vie, mais au moins la trouver avant.  » Lignes de pêche qui risquent constamment d’emporter une jambe ou un bras, gros temps, récifs, violence abêtissante des gestes répétés, chutes à la mer, froid qui tue, silencieusement : égrenant les menaces les plus quotidiennes, le roman travaille une tension palpable – cernée de dangers qui engagent jusqu’à sa continuation, la vie s’électrise, s’aiguise, s’hallucine.  » Manquer de tout, de sommeil, de chaleur, d’amour aussi […], jusqu’à n’en plus pouvoir, jusqu’à haïr le métier, et que malgré tout on en redemande, parce que le reste du monde vous semble fade, vous ennuie à en devenir fou.  » C’est le goût du risque : une drogue qui rend chaque retour au port plus douloureux pour des marins à qui la mer fait oublier jusqu’à l’odeur des feuilles, de l’humus.

Dans un récit initiatique qui alterne les phases de silence (le grand calme noir de ces nuits passées seule à naviguer face à l’horizon) et de rugissements (déferlante de poissons, cris des hommes) comme les flux et reflux d’une mouvante humanité, Catherine Poulain fera aussi advenir une histoire d’amour entre Lili et Jude, palangrier mutique aux yeux jaunes et à la présence magnétique – ce grand marin.

Vider un flétan de ses entrailles, hurler de douleur et d’épuisement, manger un coeur de poisson encore palpitant, voir le sel brûler son visage et durcir ses cheveux : le récit montre la lutte recommencée des corps contre leurs limites, poursuivant un enjeu romanesque fascinant – quelque chose comme une quête d’invulnérabilité, perdue d’avance.

Baignant dans des odeurs de gasoil, de marée putride et de caoutchouc humide, mais régulièrement sublimé par des visions de nuit éternelle ou par la soudaine majesté d’un oiseau en vol, Le grand marin est un roman de contrastes – un huis clos en plein air, qui convoque infatigablement les sens. Fait de phrases courtes et sèches, il progresse dans une économie de moyens et un lyrisme a minima. Une humilité stylistique qui vient aussi du monde qu’il convoque. Ainsi, quand Lili demande aux marins, devant un horizon inattendu de sublime :  » Est-ce que c’est une aurore boréale ? « , la réponse fuse, sans appel – leçon de modestie vitale autant que d’écriture :  » Non. C’est le ciel c’est tout.  »

Le grand marin, par Catherine Poulain, éditions de l’Olivier, 384 p.

Ysaline Parisis

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