La véritable histoire des Schtroumpfs et de leur créateur Peyo

Nés en 1958 à Bruxelles sous le crayon de Peyo, les petits lutins bleus et leur univers merveilleux ont conquis des millions de lecteurs et de spectateurs, y compris aux Etats-Unis. Mais qui était vraiment leur papa ? Le créateur des Schtroumpfs, qui est d’abord celui de Johan et Pirlouit mais aussi de Benoît Brisefer, n’avait jamais eu les honneurs d’une biographie. La voici, enfin. Peyo l’enchanteur (éd. Niffle) rend hommage à un merveilleux conteur qui dut devenir, par la force des choses, un homme d’affaires. Avant d’être dévoré par son propre succès. Une épopée d’autant plus passionnante qu’elle a pour toile de fond l’écurie Spirou des années 1960 et 1970 : c’est l’époque où une poignée de dessinateurs – Roba, Franquin, Morris… – offrent à l’histoire de la bande dessinée humoristique (et pas toujours si enfantine que cela ) quelques-unes de ses plus belles pages d’anthologie.

The Smurfs en Angleterre, I Puffi en Italie, Smerfy en Pologne, Los Pitufos en Espagne, Strumparnir en Islande, Smrkci en Slovénie… Quarante-cinq ans après leur première apparition dans les cases du journal Spirou, les Schtroumpfs comptent parmi les plus grands succès commerciaux de la bande dessinée. Pourtant, à leur début en 1958, le Bruxellois Pierre Culliford, alias Peyo, ne réservait à ses farfadets qu’un rôle très secondaire dans La Flûte à six trous, le neuvième album des aventures de Johan et Pirlouit. Univers médiéval, à la fois réaliste et merveilleux, le monde du jeune page Johan laisse toute liberté à Peyo pour développer son remarquable sens du scénario et mettre en valeur son grand art du découpage de l’action. Les dimensions épiques des aventures des deux personnages fétiches du dessinateur, ainsi que les mémorables scènes de batailles qui parsèment leurs albums, mettent surtout en exergue un trait d’une grande clarté, un dessin qui va à l’essentiel.

La suite est connue : nés par hasard, comme personnages accessoires, les Schtroumpfs crèvent rapidement l’écran. Eux qui empruntent à un imaginaire sans frontières – les gnomes et les farfadets sont présents dans nombre de mythologies – dépasseront même en notoriété Astérix le Gaulois, à l’humour trop franchouillard.

Pourtant, on connaît mal Peyo. C’est donc avec d’autant plus d’appétit que l’on découvrira le livre Peyo l’enchanteur, qui paraît ces jours-ci, et dont nous vous offrons en primeur plusieurs extraits (lire en p. 52 ). Signée par notre confrère Hughes Dayez, cette biographie était plus qu’attendue. En effet, alors que des milliers de pages, souvent redondantes, ont été écrites sur Hergé, alors que de nombreux livres ont été consacrés à presque tous les grands auteurs de la bande dessinée classique, Peyo était l’éternel oublié de ces initiatives éditoriales, exception faite d’un très sérieux mais confidentiel dossier des Cahiers de la BD.

La réparation que propose Dayez est digne d’intérêt à plus d’un titre. Sur la forme, d’abord, puisqu’elle paraît aux éditions Frédéric Niffle, petit éditeur bruxellois dont la qualité du travail graphique n’est plus à démontrer. Sur le fond, ensuite, car elle évite les deux pièges traditionnels de la littérature BD : l’hagiographie bêtifiante et sans recul ou, à l’opposé, l’exégèse intello qui voit du Klee dans la moindre tache de couleur et attribue un sens ésotérique caché au plus insignifiant des dialogues.

Chaînon manquant

Rien de tout cela ici. Seulement une biographie archi-documentée, mais résolument populaire, qui parle de l’homme tel qu’il était, tout en le replaçant dans le contexte de l’époque : les années 1960 et 1970, celles où Spirou et Tintin imposent, dans leurs genres respectifs, l’école belge de la bande dessinée qui, par la suite, mais par la suite seulement, accouchera de la BD franco-belge, sous l’impulsion de Pilote et des auteurs pour adultes.

L’hommage est justifié. Peyo, comme le souligne Dayez, est le chaînon manquant entre deux géants de la bande dessinée : d’un côté, il y a Hergé et sa grande rigueur narrative, mais aussi son studio, un système très narcissique où le maître a bien du mal à reconnaître ouvertement le talent de ses proches collaborateurs (Peyo aura la même difficulté, alors qu’il déléguera vite le dessin à des seconds couteaux) ; à l’autre extrémité, il y a le modèle Walt Disney, dont l’£uvre va exploser grâce au développement du merchandising, cette déclinaison commerciale des personnages et de leur univers à travers toute une série de produits dérivés (figurines, jouets, vêtements, etc.).

Peyo est donc bel et bien à la croisée d’Hergé et de Disney, même s’il l’est sans doute parfois à son corps défendant : c’est Kellogg’s, la célèbre marque de céréales, qui lui proposera de faire de ses Schtroumpfs des petites figurines promotionnelles – peu de personnages de BD auront réussi avec une telle aisance leur naissance en trois dimensions ! -, mais c’est Peyo qui va montrer la voie du merchandising aux autres auteurs… Jusqu’à en devenir prisonnier et, en fin de compte, victime.

Le grand intérêt de cette biographie réside d’ailleurs dans son honnêteté. La famille Culliford mérite, à ce propos, un coup de chapeau. Elle aurait pu s’asseoir sur certains épisodes où l’homme est montré tel qu’il était, généreux certes lorsqu’il s’agissait de régaler une table de copains, mais infernal pinailleur, voire franchement mesquin, lorsqu’il s’agissait de rédiger un contrat. Les proches de Peyo auraient pu proposer une version lénifiante d’une success story à la belge, menée avec bonhomie par un heureux papy moustachu. La vérité est plus nuancée : passé les années dorées, Peyo va peu à peu se faire étouffer par ses petits lutins bleus – toujours cette obsession de plaire à un public qui en redemande… – et sombrer dans des ennuis de santé qui le feront mourir plus tôt que de raison, le matin de Noël 1992, sans qu’il ait eu la force de créer un nouvel épisode de la plus chère de ses séries, Johan et Pirlouit.

Mais les farfadets sont immortels. En schtroumpf pour l’aventure… ! l

Vincent Genot et Stéphane Renard

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