La star et l’universitaire: sous la casquette de coach Kompany
L’ancien Diable Rouge est en route vers la Premier League et sur le chemin d’une carrière de coach prometteuse. Promenade balisée au cœur de la méthode Kompany.
C’est une histoire qui s’écrit avec les pieds. Peut-être aussi avec des gants. Ceux d’Arijanet Murić, le gardien kosovar, en sont l’inévitable incipit. Sans doute parce que rien ne raconte mieux l’évolution du Burnley Football Club que les passes de son dernier rempart. L’an dernier, en Premier League, son prédécesseur Nick Pope culminait à 67% de passes longues. Un an plus tard et une division plus bas, Murić n’allonge que 24% de ses ballons. Le virage est brutal. Il provoque forcément son lot de secousses. Comme un oracle, Vincent Kompany avait d’ailleurs prévenu ses nouveaux joueurs dès son premier discours dans le costume de manager de Burnley: «Vous devez être patients. Cela peut être frustrant, parce que vous allez recevoir un tas d’informations. Mais il y aura un moment où tout viendra naturellement.»
« Vinnie » rêve d’une équipe capable de marquer à tout moment, peu importe le chemin.
Pour beaucoup d’habitués des gradins de Turf Moor, le déclic s’est produit le 15 octobre dernier. Dans son stade, garni d’un peu plus de 18 000 spectateurs, Burnley enfile quatre buts à Swansea. Le deuxième part des pieds de Murić, remonte méticuleusement le terrain et se conclut sur un centre de l’ancien carolo Anass Zaroury qui permet à Jay Rodriguez de faire trembler les filets. La large victoire est à la fois une démonstration et un avertissement. Avant ce samedi d’automne, les Clarets n’avaient remporté que six de leurs quatorze premiers matchs. Depuis, ils ont gagné 19 fois en 25 sorties et largement décollé vers les sommets du Championship, la deuxième division anglaise. Leur succès face à Middlesbrough ce vendredi 7 avril leur a même assuré un retour en Premier League, avec encore six rencontres à disputer.
Les doutes des premières semaines se sont évaporés, et la casquette de Vincent Kompany est devenue un symbole dont les répliques se vendent à la boutique du stade. L’un des derniers bastions du «kick and rush», ce style anglais à l’ancienne fait de longs ballons et de duels musclés, s’est transformé en un nouveau satellite du football prêché en Angleterre par Pep Guardiola, coach depuis 2016 d’un Manchester City dont Kompany a longtemps été le capitaine. De quoi alimenter les regrets à Anderlecht, raviver les rêves de Premier League à Turf Moor et faire grimper la cote d’un Bruxellois élu «Manager of the month» à quatre reprises depuis octobre.
La figure d’autorité
En posant les crampons au nord de Manchester, dans la foulée de son divorce mauve, Vincent Kompany s’est installé dans son fauteuil favori: celui de grand patron. S’il ne délie pas lui-même les cordons de la bourse, l’ancien Diable Rouge officie comme un manager au sens britannique du terme, pilotant la gestion sportive et contactant même en personne les joueurs qu’il voudrait voir rejoindre son équipe. Les discours sont minutieusement préparés et pourtant, les mots comptent peu. La voix qui les prononce suffit. «Je ne l’avais jamais vu qu’à la télévision, rembobine Sergio Gómez, venu d’Espagne à l’été 2021 pour ambiancer le flanc gauche d’Anderlecht. Quand il m’a appelé, c’était impressionnant. On parle quand même d’un joueur historique de Manchester City, un emblème d’Anderlecht et de la sélection belge.»
Belge et défenseur, lui aussi, Ameen Al-Dakhil est convaincu dès les premiers mots de l’opportunité de quitter Saint-Trond pour traverser la Manche. Kompany est son idole et le veut absolument. «Tout ce qu’il dit à un joueur est considéré comme sacré», entend-on chez l’un de ses collègues. Un statut dont l’ancien capitaine de la sélection a forcément conscience, et dont il sait user pour charmer un joueur, qu’il est capable d’appeler n’importe quand et, surtout, assez souvent. «Vincent m’appelait tous les jours», raconte ainsi, à l’Algemeen Dagblad, l’arrière gauche Ian Maatsen, prêté à Burnley par Chelsea alors qu’il était également convoité par Feyenoord, le grand club de Rotterdam. Lyle Foster, lui non plus, ne résiste pas au chant de la sirène à casquette: comment ne pas avoir envie de jouer pour Kompany quand il se déplace jusqu’aux tribunes confidentielles de Westerlo pour admirer vos qualités?
«Son statut et son nom font que tu as un respect particulier pour lui», surenchérit l’ailier Benson Manuel dans la DH Les Sports+. Vincent Kompany est la véritable star de son club, et sait s’entourer d’hommes qui lui sont fidèles. Son adjoint Floribert Ngalula, l’entraîneur des gardiens Jelle ten Rouwelaar, le préparateur physique Bram Geers ou même l’ancien joueur Craig Bellamy, plus réputé outre-Manche pour ses frasques extrasportives que pour ses talents d’entraîneur: tous seraient probablement très loin de Barnfield, le centre d’entraînement des Clarets, si «Vinnie» ne les avait pas emmenés dans ses valises. Un rapport de force qui installe un respect à toute épreuve, une autorité naturelle et, surtout, une hiérarchie cristalline.
Les lignes claires
L’histoire ne dit pas si Vincent Kompany est un grand lecteur de Hergé. Les faits montrent, par contre, que le coach de Burnley est un adepte de la ligne claire. Dès son arrivée à Barnfield, il a insisté pour que l’un des terrains d’entraînement soit tracé avec des lignes qui délimitent les espaces à occuper, par chaque joueur et à chaque moment. Sur le terrain comme à l’extérieur, le manager instaure des règles limpides. «Quand on perd le ballon, on presse tous ensemble pendant dix secondes pour essayer de le récupérer», admet le chevronné Ashley Barnes dans L’Equipe. L’incarnation d’un cadre de travail où tout semble se chronométrer, exepté les heures du patron.
Ceux qui ont côtoyé «Vinnie» aiment raconter, le sourire au coin des lèvres, que même le moment où le responsable du matériel ramasse les cônes disposés sur le terrain d’entraînement est planifié. Lors de sa période mauve, Kompany exigeait que son staff soit présent à Neerpede – le centre d’entraînement d’Anderlecht – dès 7 heures pour peaufiner la séance du jour, systématiquement présentée aux joueurs à l’aide d’une vidéo explicative. Tout est structure, méthode et organisation. Les joueurs boivent naturellement les paroles d’un défenseur devenu légende à Manchester City, et s’abreuvent plus encore quand les résultats suivent. «Tu arrives au club le matin en sachant qu’à midi tu seras devenu un meilleur footballeur que la veille. C’est une belle sensation», résume Ian Maatsen.
Les joueurs, mais aussi le staff, ne sont pas avares en heures supplémentaires dans un quotidien parsemé de vidéos individualisées, de planification pour la progression des joueurs et de débriefing permanent de chaque action effectuée sur le «training ground». Tous sont conditionnés par un biotope où le roi de la jungle laisse beaucoup de responsabilités et de liberté à chacun, sachant que son autodiscipline faite d’exigences majeures entraînera naturellement dans son sillage tous ceux qui auraient trop peur de décevoir sa confiance. Interrogé par The Daily Mail sur les routines de son boss, Craig Bellamy résume le sentiment ambiant chez les Clarets: «Je me sens encore un peu en retard sur son éthique de travail. Je travaille dur. Douze ou quatorze heures par jour. Mais Vincent est phénoménal. Il m’impressionne. Je ne sais pas quand il dort. Sérieusement. Je ne sais pas quand il en aurait le temps. Si j’apprends qu’il dort trois heures par nuit, je serais choqué. Il travaille en permanence.»
L’universitaire en crampons
Au-delà de l’image du workaholic, plutôt répandue sur les bancs de touche, c’est surtout la façon de travailler qui interpelle chez le coach Kompany. Bien plus que le «combien», la différence se marque sur le «comment». Lors de ses retours en Belgique pour obtenir la licence Pro, dernier diplôme de son cursus d’entraîneur, l’ancien défenseur consacre l’essentiel de son temps de dialogue avec deux profils atypiques de sa promo: Edward Still et René Marić. Le premier est l’un des rares entraîneurs de l’élite belge (il coache Eupen) à ne pas avoir un passé de joueur professionnel, formé à la fonction autant par les terrains de football amateur et les gradins des stades que par les années d’université. Quant au second, un Allemand qui valide ses diplômes du côté belge de la frontière, il est entré dans le milieu par l’intermédiaire de son blog Spielverlagerung, a tapé dans l’œil de professionnels grâce à ses analyses exceptionnellement détaillées et affiche aujourd’hui des passages comme adjoint à Salzbourg, Dortmund ou Leeds sur son CV. En commun, les trois hommes ont une passion intarissable pour le jeu et une volonté presque maladive de comprendre chacun des mécanismes qui dirigent les pieds et les neurones de leurs joueurs.
Vincent Kompany réfléchit comme un universitaire. Il questionne. L’objectif de sa démarche n’est alors pas de changer d’avis – ceux qui sont parvenus à remettre ses idées en question se comptent sur les doigts d’une main – mais d’avoir une explication approfondie du raisonnement qui mène l’autre à de telles conclusions. Une attitude qui ne surprend pas au sein de son staff, dont chaque membre a l’habitude d’être interrogé sur une posture à l’entraînement, une décision à prendre en vue de la composition du prochain match ou la réussite d’un exercice proposé aux joueurs. Kompany compile les avis, construit le sien, puis tranche en solitaire.
A Barnfield, où l’architecte Kompany a le crayon libre pour esquisser le Burnley du futur, les méthodes sont également scientifiques. Une évolution qui cadre bien avec les infrastructures de très haut niveau dont dispose le club, digne des grosses écuries de la Premier League anglaise. Dès ses débuts sur les bancs de touche, Vincent Kompany s’est ainsi révélé comme un adepte des méthodes de Raymond Verheijen. Le Batave, préparateur physique de sa sélection nationale lors de l’Euro 2000 alors qu’il n’a même pas atteint la trentaine, est vu comme un précurseur à l’heure de permettre aux joueurs de tourner à plein régime sur la pelouse. Passé par plusieurs clubs de l’élite anglaise, Verheijen inverse l’aphorisme affirmant qu’on s’entraîne comme on joue. Peu de travail sans ballon, des séances intensives de nonante minutes pour se calquer sur le rythme des matchs, le tout soutenu par une batterie de chiffres avancés par le Néerlandais qui aime répéter que «si vous imposez des convictions, on vous attendra au tournant, mais si vous avancez des faits, on vous donnera du temps.»
Compartimenter pour mieux régner
Après l’avoir fait mûrir à Anderlecht, c’est avec une méthode désormais rodée et une confiance gonflée par ses derniers résultats que Vincent Kompany est arrivé à Turf Moor. Les certitudes étaient encore plus grandes que celles d’un homme déjà convaincu au moment de multiplier les casquettes de joueur, de coach et d’inspirateur du projet chez les Mauves. «Le plus important, c’est que tout le monde soit à bord», s’est-il contenté de dire face à ses joueurs à l’heure de l’embarquement sur le paquebot des Clarets, désormais proche du terme de sa croisière vers la Premier League. Comme si la fin de son aventure bruxelloise, marquée par les divergences de vue avec la direction, l’avait conforté dans l’importance d’être le seul à poser les mains sur le gouvernail.
Au sein de l’équipage, chaque membre du staff a une mission précise, une case dans laquelle entrer et d’où il ne doit surtout pas sortir. Vincent Kompany est le seul à bénéficier d’un passe-partout. Celui qu’il utilise, par exemple, pour donner des conseils de positionnement, d’orientation du corps ou de distance avec l’attaquant lorsqu’il travaille individuellement avec l’un de ses défenseurs. Parce que même si c’est une tâche qu’il pourrait déléguer, il n’y a sans doute pas grand monde qui explique mieux l’art de défendre que l’un des quatre défenseurs à avoir reçu le titre de «Premier League Player of the Season» en trois décennies.
Il faut dire que, paradoxalement, défendre n’est pas le cœur du projet de Vincent Kompany. «Ma passion, c’est de marquer des buts», livre-t-il à ses joueurs dès les premières phrases de son discours inaugural chez les Clarets. En privé, «Vinnie» rêve d’une équipe capable de marquer à tout moment, que le ballon soit dans les pieds de son ailier gauche ou entre les gants de son gardien. Peu importe le chemin, pourvu qu’il soit balisé.
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