La soudanite
Après des mois d’incubation, de suées soudaines, de crises de delirium touchant les hautes sphères politiques affaiblies comme on sait par les » affaires « , elle a fait sa joyeuse entrée épidémique dans le royaume. Elle ? La soudanite, pardi ! Consultons illico la Faculté : Soudanite, subst. fém., méd. : fièvre tropicale, d’étiologie variée (paludisme, dysentrie, intoxication par l’opium) qui s’associe à des troubles psychiques. » Vous savez, mon cher, là-bas, il se gagne une maladie qui fait voir les choses sous un autre angle qu’en Europe : ça s’appelle la soudanite… et la soudanite ferait faire de vilaines et féroces choses ! » (Goncourt, Journal, 1894) (1)
De vilaines et féroces choses, en effet… Comme de s’accointer, tout à coup sans le moindre état d’âme, avec des régimes mis, croyait-on, au ban d’infamie des nations. Pire : d’inviter les barbouzes de ces tyrannies afin qu’ils identifient, trient et confondent quelques dizaines de damnés de la terre échoués chez nous. Ainsi pourrait-on plus aisément » nettoyer « , selon les propos orduriers et évidemment dûment pesés du secrétaire d’Etat N-VA à… l’Asile, remballer la » racaille » à Khartoum, Kaboul ou ailleurs, dût-elle en crever et, surtout, dissuader d’autres bataillons de pouilleux de transiter par notre Cocagne. Le Premier ministre et les Affaires étrangères avaient donné leur feu vert. Le gouvernement est » comme un seul homme » derrière son kärcherisateur. D’ailleurs » on fait la même chose en France et ailleurs « , argument à demi-vrai et lourdement infantile. Pourquoi pas la Turquie ou la Corée du Nord tant qu’à faire ?
L’historien et ancien ministre libéral Hervé Hasquin a évidemment raison : cette pratique crapuleuse rappelle plus Vichy la collabo que le Berlin nazi. Le photomontage d’Ecolo J déguisant le secrétaire d’Etat N-VA en soudard national-socialiste (plutôt chemise brune que SS, d’ailleurs) était donc malhabile. J’ai souri (jaune) tout de même : les jeunes engagés en politique ont encore des dents pour mordre où ça fait mal ! Mais quel raffut, quelle volée comme si c’était faire… trop d’honneur sinon le lit électoral du dauphin de Bart De Wever. Lequel, président inoxydable, soit dit en passant, venait tout juste de décréter que son parti allait désormais se concentrer sur » l’économie, la sécurité et… l’immigration » et laisser un peu tomber le communautaire. Ben tiens : sur ce plan-là, la N-VA au pouvoir quasi absolu rue de la Loi, a pratiquement déjà tout bouffé de l’intérieur à la façon des termites.
Peu de boucan, par contre, pour remarquer que le MR n’avait toléré que l’un de ses retraités pour appeler un chat puant un chat puant. Personne d’autre, ni président(e), ni excellence, ni député(e), ni honnête homme ou femme, ni intellectuel(le) se réclamant du libéralisme politique pour dénoncer cette dérive, cette contamination, cette complicité objective. Bref, cette banalisation des idées et des pratiques insanes par des alliés cyniques et, je le répéterai sans jamais me lasser, fascistoïdes… Et pour le CD&V la même chose, comme on disait vilainement naguère.
La soudanite, vous dis-je. La grande et courageuse Meryl Streep, parlant d’un autre président à la dérive, formulait ainsi la chose : » Cet instinct pour humilier, quand il est sublimé par une personnalité publique, par quelqu’un de puissant, ça pénètre notre vie à tous, c’est comme donner la permission à tous de faire la même chose. » De féroces et vilaines choses.
(1) La Soudanite est aussi un (excellent) roman de Patrick Girard (Calmann-Lévy, 2002) relu par un hasard inouï un soir désoeuvré de l’été dernier.
Luc Delfosse
» Peu de boucan pour remarquer que le MR n’avait toléré que l’un de ses retraités pour appeler un chat puant un chat puant »
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