La Sambre, arythme des bateliers

Cette rivière souffre d’une lourde réputation industrielle. Pourtant, en amont de Charleroi, c’est un cours d’eau tranquille et verdoyant qui s’offre aux promeneurs. Dans son lit, elle accueille tantôt de petits yachts, tantôt de grosses péniches.

Descente au rythme des bateaux pour découvrir une vallée presque ignorée des touristes

(1) Le circuit vélo  » Ravel 3  » relie Erquelinnes à Charleroi, via la haute Sambre.

(2) La Sambre est divisée en haute, moyenne et basse Sambre. Chacun de ces tronçons bénéficie d’un contrat de rivière différent. .

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6/9 : journée de pêche éducative (à l’occasion de la journée des contrats de rivière) û Infos : 071 20 29 44.

6/9 : croisière sur la haute Sambre û Infos : 071 56 22 81

En cette matinée estivale, le port hennuyer d’Erquelinnes est particulièrement calme. Une quarantaine de bateaux se balancent doucement dans le bassin. Et seul le claquement au vent de leur pavillon  » noir-jaune-rouge « , pour la plupart, perturbe le silence. Des petites embarcations qui donnent peine à croire qu’elles flottent encore, d’autres qui font rêver par leur luxe et leur ligne ; quelques péniches enfin, amarrées nonchalamment entre les yachts voisins. Sur la berge, Michel Schouteeten, le capitaine de port, rafistole une pièce de bois sur son établi.  » J’accueille les visiteurs, je place les bateaux, j’entretiens les lieux. Je suis disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, été comme hiver, explique-t-il. La plupart des bateaux sont ici à l’année. Les propriétaires viennent le week-end pour lever l’ancre et faire un tour en famille.  »

Aux portes du port de plaisance, la Sambre esquisse ses premiers pas en Belgique. C’est en effet à Erquelinnes que la rivière française, née sur le plateau de Fontenelle, dans le département de l’Aisne, change de nationalité. Elle entame ainsi un parcours des plus contrastés en Wallonie. Un trajet qui la mènera des vallées souriantes et champêtres de la Thudinie aux décors industriels du bassin de Charleroi. Car la Sambre n’est pas seulement cette rivière noirâtre qui se faufile tant bien que mal à l’ombre des hauts-fourneaux carolos. Sinueuse et verdoyante, celle qu’on appelle alors la haute Sambre dessine, en amont de Charleroi, ses plus beaux méandres. A travers une campagne très peu touchée par l’industrialisation, la rivière creuse son chemin dans la plaine. Çà et là, les villages viennent s’agripper au serpent argenté. Tantôt un clocher, tantôt un château attire l’attention des promeneurs : des lieux, des monuments pour la plupart inconnus des touristes. Un décor bucolique à découvrir à pied, à vélo (1) ou, encore mieux, en bateau. Car la Sambre est, avant tout, accueillante aux navigateurs de tout poil. Et si la rivière, dans sa partie supérieure, n’est plus accessible aujourd’hui qu’aux petites embarcations, faute de dragage des boues, il fut un temps où les péniches sillonnaient même la haute Sambre : l’âme de ces familles de bateliers plane encore sur la Thudinie.

Au pays des péniches

A la sortie d’Erquelinnes, les yachts qui commencent à descendre la rivière traversent la première écluse de leur parcours. Ils en franchiront au total dix, jusqu’à Charleroi. Au loin, l’église gothique de Solre-sur-Sambre pointe déjà son clocher. Le village est également célèbre pour son château fort du xiiie siècle, l’un des plus beaux du Hainaut. Hélas, le bâtiment, devenu privé, ne se visite plus. Dans le méandre suivant, c’est au tour du clocher à bulbe de Saint-Martin, à Merbes-le-Château, de marquer l’horizon. La haute Sambre, paresseuse, égrène ainsi lentement son chapelet de villages et arrive à l’écluse de Labuissière. Le sas s’ouvre, le bateau entre dans le bac. L’éclusier referme la porte à tour de bras et ouvre l’autre, en aval. Le yacht sort du sas, remercie  » le gardien de la porte  » dans un français approximatif et poursuit son cours.  » Avant, je travaillais à l’écluse d’Aulne, un peu plus bas, se souvient Fabrice Paternotte, le jeune éclusier. Une cinquantaine de péniches de 350 tonnes passaient chaque semaine. C’était plus amusant. Je connaissais bien les bateliers et on discutait toujours un peu. C’est même comme ça que j’ai rencontré ma femme : elle était batelière. Maintenant, avec les yachts, le contact est plus distant et il y a beaucoup moins de passage.  » Aux commandes de son écluse, Fabrice est le centre du village. Car Labuissière, coupée par la Sambre, s’organise vraiment autour de sa rivière. Sur ses berges, les anciens prés de fauche inondés de la réserve naturelle locale accueillent une flore et une faune très riches. Grèbes huppés, hérons cendrés et canards se reposent dans ces marais paisibles, à l’abri du courant.

A l’approche de Thuin, le royaume de la batellerie, la rivière creuse son lit dans une colline abrupte. Le paysage, de plus en plus pittoresque et vallonné, offre de superbes points de vue. Mais, avant d’arriver dans  » la capitale des péniches « , la haute Sambre longe encore Lobbes. La ville se gausse d’abriter la doyenne des églises belges : la collégiale Saint-Ursmer, dont une grande partie des plans daterait de l’époque mérovingienne, vers l’an 700. Quelques virages et le beffroi de Thuin s’impose dans le décor verdoyant. La rivière longe le chantier naval et arrive au c£ur de la cité.  » En automne, le chantier naval va fermer ses portes. C’était le dernier de la région « , se désole Rudice Dagnelie, de l’Ecomusée de la batellerie ( lire l’encadré page 32).  » C’est un peu l’âme de Thuin qui disparaît. A une époque, il y avait cinq chantiers dans la ville. Ils construisaient même les péniches ici. Plus tard, ils se sont limités aux réparations. Aujourd’hui, il n’y a plus de péniches, donc plus de chantier « , soupire Rudice Dagnelie avec nostalgie. A l’image de ce batelier pensionné, toute la ville de Thuin vit de ses souvenirs du bord de l’eau. Et ce n’est pas étonnant car, en 1936, non moins de 1 104 chefs de famille étaient bateliers à Thuin ! Un chiffre qui faisait de la cité la deuxième ville batelière du pays, après Anvers. Durant la guerre, de nombreux bateaux ont brûlé et Thuin n’a plus jamais retrouvé son activité débordante d’antan. Mais la cité est restée l’élue de nombreux marins d’eau douce. Et, aujourd’hui encore, au c£ur de la ville basse, dans le quartier du Rivage, 50 % des habitants sont d’origine batelière. Sur l’éperon rocheux qui domine cette ville basse dédiée aux péniches, les larges demeures de pierre de la ville haute surveillent la rivière. Nid d’aigle protégé par sa muraille, la cité a gardé, là-haut, ses allures médiévales.  » Dans le temps, Thuin était la résidence de tous les gros propriétaires de Charleroi. Il y a même eu un casino au début du xxe siècle « , explique Paul Piette, propriétaire du gîte du Bas-Marteau, à Thuin.

A la sortie de la ville, la Sambre replonge en pleine nature, entre bois et champs. Il faut dire que le sol de la région est particulièrement propice à l’agriculture. La rivière campagnarde traverse le charmant hameau de Hourpes et arrive à la célèbre abbaye d’Aulne. Majestueux, l’édifice, passé aux Cisterciens en 1147, dresse ses vestiges sur la berge du cours d’eau. Fine dentelle minérale nimbée d’une clarté presque irréelle, sa grandiloquence témoigne de la richesse passée de cette  » maison de Dieu « . Elle aurait été fondée en 657 par saint Landelin, un brigand repenti. Un personnage légendaire qui a d’ailleurs donné son nom au village voisin : Landelies. Là, les yachts peuvent, comme à Erquelinnes, jeter l’ancre pour sommeiller au port de plaisance. Petit à petit, la rivière tranquille perd de son pittoresque pour s’approcher du Pays noir et de ses faubourgs industriels.

En aval de Landelies, plusieurs sites d’un grand intérêt géologique bordent cependant le cours d’eau. On peut notamment observer, sur le massif de la Tombe, des  » ripple-marks « . Ces petites rides asymétriques dessinées sur la pierre prouvent que, durant les deux derniers millions d’années, la Sambre a creusé son lit par enfoncements successifs. A la hauteur de Marchienne-au-Pont, des carrières font également le bonheur des amateurs de géologie.

A cette hauteur, la haute Sambre achève son parcours et quitte le parc naturel du même nom, qui n’est cependant pas encore reconnu comme tel. Le canal de Charleroi-Bruxelles file vers le nord et la Sambre canalisée s’élargit pour accueillir les péniches de 1 350 tonnes (2).

Changement de ton. La rivière verdoyante entre dans l’agglomération de Charleroi. Les arbres qu’elle reflétait un peu plus haut cèdent la place aux cheminées. Çà et là, la fumée enveloppe la rivière d’un voile rougeoyant. Au loin, les terrils ponctuent le paysage. Le décor devient presque surnaturel.

Charleroi ( lire ci-contre), Marcinelle, Montignies-sur-Sambre, Châtelineau… La Sambre devenue basse poursuit sa route, chargée de péniches et enserrée dans ses berges de béton. Progressivement, toutefois, elle s’éloigne des industries. Les fumées de Jemeppe-sur-Sambre se dissipent à l’horizon. Le paysage verdoie à nouveau sur les berges de la rivière, qui traverse alors les campagnes du Namurois. A Floreffe, la Sambre recueille les eaux du Wéry sous le regard impérieux de l’abbaye de Floreffe. Un peu plus loin, elle salue le château de Flawinne. Puis, au terme d’un parcours de 190 kilomètres, la rivière rejoint la Meuse, au pied de la citadelle de Namur. La Sambre, trop souvent assimilée à un cloaque industriel, est bien davantage qu’une rivière triste. Mieux qu’un simple détour, elle vaut une belle journée de découverte. lFanny Bouvry et Photos : Marc Fasol

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