La sensation gantoise Gift Orban devrait permettre à ses dirigeants d’amasser prochainement les millions. © getty images

La Pro League prospecte dans le Grand Nord

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Chaque participant aux play-offs du championnat belge compte au moins un joueur venu d’un club du nord de l’Europe. Analyse d’un phénomène.

C’est comme si le ciel voulait donner sa bénédiction. Un vent froid qui s’éternise, des gouttes glaciales qui persistent et des températures qui donnent parfois au printemps belge des airs de Grand Nord. A l’aube des play-offs, la Belgique grelotte encore et sourit forcément à ceux qui slaloment entre les congères. Pour huit des 18 clubs de l’élite, la saison entame ses prolongations. La présence au sein de leur noyau d’au moins un joueur directement venu de Scandinavie pour poser les crampons dans un vestiaire belge n’est peut-être qu’une heureuse coïncidence. Plus certainement, le résultat d’une source de talents à laquelle les meilleurs clubs belges aiment s’abreuver.

Le nord de l’Europe sert souvent de première étape pour les talents africains.

Plutôt tourné vers le marché sud-américain ces dernières saisons, Genk s’est pourtant offert les services de Rasmus Carstensen contre trois millions d’euros l’été dernier. Il faut dire que dans le Limbourg, le filon nordique a fait jaillir quelques pépites: le Norvégien Sander Berge (désormais à Sheffield United), le Danois Joakim Mæhle (vendu à l’Atalanta, en Italie), le Norvégien Kristian Thorstvedt (parti à Sassuolo) et le buteur géant Paul Onuachu, arrivé du club danois de Midtjylland et revendu cet hiver contre 18 millions d’euros à Southampton, ont à eux quatre permis d’injecter plus de 60 millions d’euros dans les caisses du Racing. De quoi faire saliver la concurrence au sein d’un championnat qui vit essentiellement des plus-values qu’il réalise dans l’import-export de talents.

Parmi les huit participants aux play-offs, on dénombre ainsi quinze joueurs directement issus des pays nordiques (Islande, Finlande, Suède, Norvège et Danemark), en attendant le transfert déjà acté du Suédois Jacob Ondrejka vers l’Antwerp l’été prochain. Sept d’entre eux sont des «locaux», huit ont utilisé le nord du continent comme tremplin vers des championnats plus huppés en Europe après des débuts sur le sol africain. C’est là, dans la trajectoire de joueurs comme le buteur de l’Union Saint-Gilloise Victor Boniface, le milieu de terrain de Bruges Raphael Onyedika ou la sensation gantoise Gift Orban, que se situe le véritable cœur de la cible belge.

Les raisons d’une étape

Arrivé à la fin du mois de janvier, ce dernier facture déjà quatorze buts après seize apparitions sous la tunique bleue et blanche des Buffalos. La confirmation d’un pari audacieux de la part de Samuel Cardenás, directeur du recrutement de Gand, qui a fini par convaincre Michel Louwagie – le manager du club – de débourser plus de trois millions d’euros pour un joueur qui n’avait que six mois en deuxième division norvégienne au compteur. Avec des statistiques certes exceptionnelles (19 buts et sept passes décisives en 24 apparitions), mais des doutes légitimes quant à sa faculté d’adaptation dans le championnat belge.

Le risque d’une acclimatation délicate semblait, lui, déjà écarté. Plongés dans une vie scandinave assez similaire à la réalité de l’ouest de l’Europe, quelques contraintes en plus et quelques degrés en moins, les talents arrivés d’Afrique entrent souvent dans le radar national une fois installés dans un club nordique. Non seulement pour se rassurer sur leur faculté d’adaptation à la vie sur le Vieux Continent, mais surtout pour ajouter aux impressions visuelles d’un scouting sur place ou en vidéo la base statistique recueillie avec des détails très précis lors des rencontres professionnelles en Europe, alors qu’elle reste rudimentaire dans les ligues africaines. Dans le cas de Gift Orban, c’est ainsi le voyage annuel vers l’Afrique de Torgeir Bjarmann, responsable du recrutement du club norvégien de Stabæk, qui fait office de déclencheur en novembre 2021. Engagé pour une somme dérisoire, le buteur nigérian rapportera très vite plus de trois millions au club basé à Bærum, dans la banlieue d’Oslo.

L’histoire de Simon Adingra raconte à merveille les carrières mises sur des rails entre l’Afrique, le nord, puis la grande Europe.
L’histoire de Simon Adingra raconte à merveille les carrières mises sur des rails entre l’Afrique, le nord, puis la grande Europe. © BELGAIMAGE

La facture est faible par rapport au prix de revente déjà envisagé par Gand, mais n’est pas pour autant à la portée de toutes les bourses belges. Comme sur tout marché porteur, les prix décollent, surtout quand la puissante Premier League anglaise vient directement se servir dans l’assiette nordique sans attendre le passage par une ligue intermédiaire. Cet hiver, deux ans après son arrivée à Molde (Norvège), l’Ivoirien David Datro Fofana a immédiatement pris la direction de Chelsea pour plus de dix millions d’euros. De quoi faire grimper les enchères partout dans le secteur.

Le rêve et les rails du Nord

Dans un club du calibre de Charleroi, plutôt habitué aux bonnes affaires sous le million d’euros, le marché du nord de l’Europe est considéré comme hors budget même si les Zèbres restent à l’affût de certaines opportunités, comme des joueurs proches de leur fin de contrat. Même pour Genk, pourtant capable de dépenser de façon plus conséquente, certains profils deviennent inatteignables. C’est le cas de l’ailier ivoirien Simon Adingra, longtemps dragué par les Limbourgeois mais finalement engagé par les Anglais de Brighton contre huit millions d’euros l’été dernier, puis prêté dans la foulée à l’Union Saint-Gilloise, aujourd’hui rival du Racing dans la course au titre.

L’histoire de Simon Adingra raconte à merveille les carrières mises sur des rails entre l’Afrique, le nord, puis la grande Europe. Fondée en 1999 par Tom Vernon (ancien recruteur de Manchester United en Afrique), la Right to Dream Academy est basée au Ghana et détecte, puis rassemble en son sein, des talents d’Afrique de l’Ouest. En décembre 2015, l’académie s’est offert le club danois de Nordsjælland, où elle envoie ses meilleurs joueurs pour les emmener à la conquête de l’Europe puis les revendre contre des montants à sept ou huit chiffres. Une trajectoire épousée par Adingra, mais également par le milieu de terrain ghanéen Abu Francis, débarqué cet été au Cercle de Bruges en provenance de Nordsjælland.

Malgré des échecs retentissants, principalement du côté d’Anderlecht – Bubacarr Sanneh ou Mustapha Bundu ont coûté dix millions à eux deux sans jamais réussir en Belgique – la filière du nord semble encore avoir de beaux jours devant elle en Jupiler Pro League. Parce qu’après avoir empilé les buts, les Nigérians Gift Orban et Victor Boniface devraient permettre à leurs dirigeants d’amasser les millions.

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