La perle des îles

Marianne Payot Journaliste

Avec son quatrième roman, la Mauricienne Nathacha Appanah devrait balayer les cours les plus endurcis. Avis de cyclone littéraire.

Elle a l’élégance d’un oiseau des îles. On l’imagine en sari à l’île Maurice, mais la voilà, mince, traits fins, démarche souple, arpentant le VIIe arrondissement parisien vêtue en trentenaire universelle, jean et chemisier. Malgré son métier de journaliste, qui l’a plus habituée à poser des questions qu’à y répondre, Nathacha Appanah déroule bien volontiers son parcours. Et c’est tant mieux. Car, avec son quatrième – et lumineux – roman, la jeune femme de l’océan Indien devrait s’envoler.

Quelque peu à l’étroit dans la collection Continents noirs de Gallimard – une jolie cage réservée aux francophones de l’outre-mer – elle vient de se poser sur les branches des éditions de l’Olivier. Une aubaine pour l’éditeur, qui a déjà réimprimé à deux reprises Le Dernier Frère. Les libraires – formidables accélérateurs de bonnes nouvelles – ont, dès le début de juin, donné le  » la « . Une rumeur amplifiée par l’obtention du prix du Roman Fnac, à la fin d’août, et par les sept contrats de traduction (avec l’Italie, l’Allemagne, les Pays-Bas…) conclus avant même la sortie du livre en France.

Nathacha Appanah sourit, presque timidement. Mais derrière le plissement des yeux perce une force imposante, la sérénité de l’évidence. Comme si le trajet effectué devait mener à cette reconnaissance. C’est à Maurice, donc, que cette arrière-petite-fille d' » engagé  » indien a vu le jour, en 1973. Un paradis pour touristes, mais une terre de souffrances et de labeur pour tous ceux qui, à l’instar de ses aïeux, travaillent dans les champs de canne. En trois générations, la famille grimpe (sa mère est institutrice ; son père, consultant dans l’industrie sucrière) et n’entend pas en rester là.  » Il y a une blague, chez nous, raconte la romancière, pour reconnaître un Mauricien. Quand il revient d’un examen avec 98 points sur 100, ses parents lui demandent : « Où sont passés les deux points manquants ? » La sélection est terrible. « 

Alors, Nathacha, petite fille sage, travaille fort à l’école, y apprend l’anglais et le français, tout en parlant le créole à la maison. A 13 ans, elle lit, bouleversée, L’Etranger, de Camus.  » Le vertige, l’admiration totale.  » C’est une évidence : le français sera sa langue d’écriture,  » la peau de [son] imaginaire « . Passent les années, l’apprentissage obstiné du journalisme. De bourse en stage, elle se retrouve à Grenoble, en octobre 1998. Entre deux postes, elle se lance dans le roman avec Les Rochers de poudre d’or (Gallimard, 2003), histoire ressuscitée des Indiens de Maurice ; publie bientôt Blue Bay Palace et La Noce d’Anna, des succès d’estime. Un jour, en vacances dans sa famille, elle tombe sur un article relatant l’existence, durant la Seconde Guerre mondiale, d’un camp regroupant 1 500 juifs d’Europe de l’Est refoulés de Palestine en 1940 et déportés à l’île Maurice, alors colonie britannique. Cette incroyable découverte sert de trame à ce nouveau roman.

L’union de deux enfances terrifiantes

Le tour de force de Nathacha Appanah réside dans la justesse de ton de son narrateur, Raj, un vieil homme de 70 ans qui se souvient de ses 9 ans.  » Une vie de boue et de cendres  » scandée par les cyclones et les malheurs : le père, déraciné, abruti de travail et d’alcool, qui cogne sur les siens, les deux frères tant aimés qui disparaissent le même jour, la fuite de la famille loin des champs de canne… Le père se retrouve gardien d’une drôle de prison de Blancs  » pâles et chétifs « . Parmi eux, le petit David. Raj s’enflamme pour l’orphelin aux boucles d’or. Une belle amitié naît. Deux enfances terrifiantes s’unissent. Le lecteur est sous le choc, ébloui par la pureté de la phrase, la tenue du récit, la violence des sentiments. l

Le Dernier Frère, par Nathacha Appanah. L’Olivier, 212 p.

Marianne Payot

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