L’équipe masculine, emmenée, entre autres par Maxime Gentges, espère se qualifier pour les J.O de Paris. © belgaimage

« La gymnastique d’élite, c’est comme aller à la guerre: chaque jour est un combat physique à livrer »

Pour réaliser leurs figures, les gymnastes doivent sculpter leur corps au millimètre. Visite d’atelier chez les maîtres à penser des muscles de la gymnastique belge.

Anvers accueille les championnats du monde de gymnastique artistique du 30 septembre au 8 octobre. Sans la championne olympique Nina Derwael, blessée à l’épaule. Egalement privée de Lisa Vaelen, l’équipe féminine belge pourra néanmoins compter sur la Bruxelloise Maellyse Brassart pour décrocher une place dans le Top 12, synonyme de qualification pour les prochains Jeux olympiques de Paris 2024. Une ambition partagée par l’équipe masculine – emmenée, entre autres, par Maxime Gentges, du Gymnastique club Malmedy – qui peut envisager de se qualifier pour la première fois pour le grand rendez-vous du sport mondial.

Sur la route d’Anvers, les fédérations francophone et flamande de gymnastique n’ont rien laissé au hasard, surtout pas le physique. Ces dernières années, une équipe interdisciplinaire a été bâtie autour des gymnastes belges. Les coachs de haute performance Stefan Deckx et Alessandro Colosio en font partie, accompagnés de deux médecins, quatre kinés, un ostéopathe, deux nutritionnistes et deux coachs mentaux. «Cette équipe avait déjà été formée en 2012 autour des filles, et est également créée pour les garçons depuis trois ou quatre ans, précise Stefan Deckx. En plus de ce noyau dur, on échange presque quotidiennement avec des conseillers externes, qu’ils soient professeurs ou spécialistes médicaux. En tout, cela fait une vingtaine de personnes. Une nécessité absolue pour un petit pays, dont le vivier de gymnastes au sommet est très restreint. Nous ne pouvons pas nous permettre d’en perdre à cause de graves blessures par manque de suivi.»

Le vivier de talents belges est faible, il est important que les carrières soient les plus longues possibles.

A quel point le risque de blessures est-il élevé?

Stefan Deckx: Koen Vandamme, l’un de nos coachs, dit souvent que la gymnastique d’élite, c’est comme aller à la guerre. Chaque jour est un combat physique à livrer. Les risques sont importants, car chaque petite erreur peut provoquer une grave blessure. Lors de la réception, le gymnaste doit par exemple encaisser plusieurs fois le poids de son corps. C’est pourquoi il est crucial de mesurer, puis de tenir à jour, tous les paramètres physiques. Plus la synergie est grande entre les exigences physiques et les qualités athlétiques, plus les chances de blessure se réduisent. Hélas, on le voit avec Nina Derwael, on ne peut pas tout éviter, mais même les scénarios de revalidation sont préparés.

Alessandro Colosio: Un gymnaste, c’est comme une Formule 1. Il faut relier entre eux des dizaines de petits circuits. C’est à la fois difficile et chronophage et ce, dès le plus jeune âge. Pourtant, il faut pouvoir garder ce bolide plusieurs années sur le circuit. C’est pour ça qu’on est sans cesse en quête de connaissances, sur tous les aspects et dans d’autres sports. On se force à penser «out of the box». Celui qui ne fait que copier les autres n’avance pas.

Pouvez-vous déjà détecter chez un enfant de 7 ans s’il a la capacité pour devenir un gymnaste d’élite?

S.D.: Sélectionner des enfants à cet âge-là est très difficile, et même déconseillé. Ce n’est qu’après la puberté qu’on sait comment un garçon ou une fille se développera en taille et en force musculaire. La maturité physique est plus importante que l’âge.

A.C.: On peut toutefois détecter des indices plus tôt, comme la souplesse et la flexibilité. Après 12 ans, il est difficile d’encore les améliorer. La proprioception est aussi importante. Comment l’athlète maîtrise-t-il la position de son corps et de ses membres? A quelle vitesse apprend-il de nouveaux mouvements? Un enfant de 12 ans peut déjà réussir des exercices complexes s’il s’est entraîné plus que la moyenne, mais s’il apprend difficilement, cela peut le stopper dans son évolution future.

S.D.: Même si ces conditions sont réunies, les autres pièces du puzzle doivent aussi pouvoir s’imbriquer. Des aspects sont cruciaux: le plaisir que prend l’enfant à s’entraîner de nombreuses heures chaque semaine, le soutien de ses parents ou sa faculté à être plus ou moins facilement entraîné.

L’âge auquel le gymnaste peut atteindre le haut niveau est-il différent chez les filles et les garçons?

A.C.: Chez les garçons, la force a plus d’importance que chez les filles. La construire prend du temps, ils atteignent donc le haut niveau plus tard. Les filles parviennent plus vite à maturité physique, et ont déjà beaucoup de flexibilité et de souplesse à un jeune âge. C’est pourquoi elles peuvent déjà atteindre le top international à 16 ou 17 ans. Un peu comme en natation, où les filles sont capables de briller très jeunes sur les épreuves de brasse, parce que la technique y est déterminante. Quand on remarque qu’une gymnaste a ces qualités, de coordination et de souplesse, cela n’a aucun sens d’attendre: ce serait, d’une certaine façon, gaspiller ses chances. D’autant plus qu’après la vingtaine, elles deviennent moins flexibles et conservent donc difficilement le même niveau.

S.D.: En soi, la longueur de la carrière varie peu entre les hommes et les femmes. Seul le départ est différent. Une gymnaste de plus de 20 ans est déjà «expérimentée», alors que c’est l’âge auquel beaucoup de garçons parviennent au sommet. La durée d’une carrière dépend également d’autres facteurs: la gravité d’éventuelles blessures, la gestion du stress, le plaisir, sans oublier l’aspect financier. Un gymnaste ne sera jamais riche, mais il faut pouvoir payer les factures. En Belgique, vu l’étroitesse de notre vivier, il est important qu’on puisse, sans forcer, rendre les carrières les plus longues possibles. Dans un grand pays, on peut presque changer toute l’équipe après chaque olympiade. Nous, pour bâtir une bonne équipe, nous devons combiner les plus âgés et les plus jeunes. Pour les championnats du monde à Anvers, nos gymnastes seront issus de trois cycles olympiques: 2012 à 2016, 2016 à 2020, et depuis 2020. Ça nous permet aussi de faire bénéficier les plus jeunes de l’expérience des anciens.

Beaucoup de gymnastes sont de petite taille. Simone Biles et Kohei Uchimura, les meilleurs au monde, mesurent respectivement 1,42 mètre et 1,62 mètre. Est-ce indispensable?

A.C.: Sur de nombreux aspects, c’est un atout qui permet à l’athlète de pivoter et sauter plus rapidement autour de son axe et dompter la gravité. Cependant, imposer une limite de taille à 1,80 mètre nous fait perdre nombre de talents. A certains agrès, comme le cheval d’arçons, ce n’est pas problématique. Par contre, pour briller sur le concours complet, être grand sera un obstacle. Parce qu’il faut être très explosif, fort et souple, et bénéficier d’une excellente condition physique. Cela dit, les gymnastes qui excellent dans toutes les disciplines restent des exceptions.

Comment équilibre-t-on la force et la flexibilité?

S.D.: Cet équilibre entre les deux est très important. En faisant beaucoup d’entraînements de force, on devient plus lourd et moins flexible. Si les séances sont axées sur la souplesse, les muscles deviennent moins réactifs. C’est une balance constante, tout au long du parcours de développement d’un gymnaste. Cet équilibre varie aussi en fonction des années: un jeune athlète ne peut pas suivre le même schéma de force à la salle de fitness qu’un autre, cinq ans plus âgé. Certainement pas lors de la période où il ou elle travaille sa justesse technique. Certains sont même si naturellement musclés qu’ils doivent à peine travailler la force.

Maellyse Brassart pourrait permettre à la Belgique de décrocher une place dans le Top 12.
Maellyse Brassart pourrait permettre à la Belgique de décrocher une place dans le Top 12. © belgaimage

A.C.: Ce n’est pas non plus une question de simple développement musculaire, comme pour un bodybuilder. Le plus important, c’est la synergie et l’équilibre entre les muscles. Savoir quels sont les muscles qu’un gymnaste utilise plus ou moins souvent. Ensuite, il faut surtout travailler, à la salle de fitness, les muscles qui sont le moins sollicités lors de la pratique sportive, ou qui grandissent le moins vite. Sans cela, il y a un déséquilibre. Pour chaque gymnaste, la balance est différente et dépend aussi de la discipline dans laquelle on se spécialise ou affine son style. A la barre fixe, par exemple, certains se focalisent plus sur les figures en vol alors que d’autres préfèrent les mouvements à la barre, qui demandent des épaules plus flexibles.

S.D.: C’est pour ça que le dialogue avec les entraîneurs est important. Quel exercice veulent-ils faire avec quel gymnaste, et à quelle échéance? Sur la base de ces informations, nous pouvons élaborer un programme physique qui s’adapte à la morphologie, à l’âge et à l’expérience d’un gymnaste, en parallèle de la période spécifique de préparation d’une compétition.

L’importance de la condition physique en gymnastique est-elle sous-estimée?

S.D.: Certainement. Le public ne voit les gymnastes qu’en compétition, lorsqu’il font des exercices entre cinq secondes et une minute. On pourrait penser qu’une bonne condition n’est pas nécessaire. Mais dans un grand tournoi, le stress est très élevé et cela nécessite beaucoup d’énergie. Pour réussir ces mouvements complexes avec fluidité en quelques secondes, il faut les répéter des centaines de fois, lors de semaines où on peut cumuler trente heures d’entraînement. Pour récupérer d’une telle intensité, une bonne condition physique est nécessaire. Cela limite également le risque d’erreurs, et donc de blessures. Les mouvements sont parfois si difficiles qu’ils impliquent une énorme concentration, ce qui est impossible à atteindre en cas de fatigue physique.

Comment travaillez-vous cette condition?

S.D.: La gymnastique est un enchaînement de mouvements multi- fonctionnels. On invite donc les gymnastes à courir, rouler à vélo, ramer… Des séances lors desquelles ils utilisent différentes parties de leur corps et pour lesquelles on tient compte des entraînements de gymnastique qu’ils pratiquent en parallèle. Cela n’a pas beaucoup de sens de les faire courir dix kilomètres, avec l’impact important que ça a sur les muscles et les articulations. C’est pourquoi on travaille surtout la condition physique au départ d’un cycle d’entraînements visant un grand tournoi. Les dernières semaines doivent être consacrées à la maîtrise parfaite des routines techniques.

La proprioception se travaille-t-elle aussi?

S.D.: Bien sûr. Surtout pour améliorer l’interaction entre les yeux et le cerveau, et celle entre le cerveau et le corps. En gymnastique, chaque mouvement est si rapide qu’on ne peut pas tout voir parfaitement. Il faut donc travailler sur les connexions entre le regard et la maîtrise du corps et du cerveau. On fait, par exemple, des exercices les yeux bandés, ou avec un seul œil ouvert. Avec du bruit autour ou dans le silence absolu. Tout ça les invite à développer leur perception et à ressentir leurs muscles et leurs articulations.

La nutrition est-elle capitale pour atteindre un poids idéal? Peser trop ou trop peu, est-ce pénalisant?

A.C.: Vu les exigences physiques de la gymnastique, avec les nombreuses heures d’entraînement hebdomadaires et la fatigue musculaire que cela engendre, il est crucial de fournir au corps l’énergie fonctionnelle nécessaire: assez de glucides pour pouvoir encaisser les heures de pratique, et assez de protéines pour régénérer les muscles. Le schéma nutritionnel est évidemment adapté à chaque gymnaste, en fonction des heures et de l’intensité des séances. C’est un aspect dont on parle régulièrement avec nos nutritionnistes, et pour lequel nous avons énormément appris d’autres sports où les heures d’entraînement sont nombreuses, comme le cyclisme ou le marathon.

S.D.: On pense souvent que le poids d’un gymnaste doit être le plus bas possible, or c’est faux. Il s’agit surtout du poids optimal. Bien sûr, des kilos supplémentaires peuvent entraîner de plus grandes séquelles à la réception, mais d’un autre côté, il faut aussi remettre du carburant dans la machine quand elle doit être capable de porter à plusieurs reprises le poids de son propre corps. Si l’apport nutritionnel est insuffisant, le corps cherchera cette énergie ailleurs, et puisera dans les muscles. Le corps sera moins fort, plus vulnérable, et tout ça fera décoller le risque de blessures.

Les gymnastes belges aux Mondiaux d’Anvers

Equipe féminine

Maellyse Brassart (Gym Passion Herseaux)

Jutta Verkest (Gymflex vzw)

Fien Enghels (Turnkring Geraardsbergen)

Yléa Tollet (De Gympies Keerbergen)

Erika Pinxten (TK Sta Paraat- P.H.H. Hasselt vzw)

Margaux Dandois (réserves, Oefening Geeft Kracht Duffel)

Equipe masculine

Maxime Gentges (Gymnastique Club Malmedy)

Glen Cuyle (Gym Izegem)

Nicola Cuyle (Gym Izegem)

Noah Kuavita (Silok Deurne)

Luka Van den Keybus (Gymteam Sint-Niklaas)

Victor Martinez (réerves, Gymnastique Club Malmedy)

Les qualifications messieurs auront lieu le 30 septembre dès 12 h 15, les qualifications dames le 2 octobre, dès 10 heures.

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