La guerre aux pigeons

Fiente acide qui dégrade les monuments, vecteurs de maladies et premier pollueur des villes : les chefs d’accusation à l’égard des pigeons sont nombreux… Réduire leur nombre est une priorité dans la plupart des villes. Mais comment s’y prendre ?

A cause des pigeons, nous avons dû rénover l’Hôtel de ville trente ans trop tôt « , peste Jean-Pierre Van Gorp, échevin des Travaux publics à Schaerbeek. Depuis une dizaine d’années, le problème de la surpopulation des pigeons se fait de plus en plus pressant dans toutes les grandes villes du globe. C’est qu’ils en font des dégâts, ces volatiles bien peu nocifs en apparence !

Voilà pourquoi Schaerbeek compte installer 4 ou 5 pigeonniers urbains dès l’an prochain. Le principe est simple : il s’agit d’y attirer les 5 000 oiseaux nuisibles de la commune en leur offrant, sur un plateau gîte, nourriture et nid de reproduction, les trois éléments clés de leur bien-être. Les pigeons réfractaires se verraient forcer la patte par des faucons pèlerins qui incarnent, pour les pigeons, le diable personnifié.  » Ces faucons sont dressés à leur faire peur, pas à les tuer « , tempère Van Gorp, tout en reconnaissant que certains d’entre eux sont  » tellement effrayés qu’ils meurent de crise cardiaque « . Avec cette initiative, on entre dans une nouvelle ère moins radicale de la lutte contre les pigeons. Oubliée l’éradication barbare : il s’agit désormais de les concentrer pour mieux contrôler leur reproduction et leur alimentation. Car la femelle sait se montrer très productive : dans un bon millésime, elle peut fournir huit couvées de deux £ufs ! Mais comment limiter les naissances ?  » En remplaçant une partie des £ufs par des leurres !  » répond Van Gorp. Cette méthode ne convainc néanmoins pas tous les spécialistes. Philippe Clergeau, écologue français et expert en gestion des populations invasives, déclarait récemment au journal Le Monde que l’animal, loin d’être bête, se rend compte de l’environnement peu fertile dans lequel il vit et qu’il cherchera naturellement à trouver un gîte plus propice à la procréation.

L’abondance actuelle d’oisillons est entre autres activée par le milieu urbain qui permet à cette espèce de faire bonne pitance : pains, graines, fonds de casseroles… L’oiseau n’est pas bien difficile ! Malgré l’interdiction, dans la plupart des villes, de nourrir ces animaux sur la voie publique, les contrevenants restent nombreux :  » Il y a des personnes âgées qui croient bien faire, mais aussi des musulmans qui se basent sur le coran qui dit qu’aucune nourriture ne peut être jetée , que tout doit revenir à la nature « , explique l’échevin schaerbeekois.  » Dès qu’il y aura ces pigeonniers pour les nourrir légalement, ajoute-t-il, nous n’aurons plus de scrupules à punir ceux qui le feraient ailleurs.  »

Alimentation fertilisante

Ce qu’il mange, l’oiseau doit nécessairement l’évacuer. Avec 12, 5 kilos de fiente annuels par pigeon, il y a de quoi souiller pas mal de bâtiments. Et comme ce cher volatile est d’un naturel sans-gêne, il n’hésite pas à investir tous les endroits correspondant à son logis naturel : les falaises. Une corniche, une toiture ou encore une maison abandonnée le contentent aisément. La ville de Thuin, malgré ses 15 000 habitants, connaît assez bien le problème. En avril 2003, le beffroi, reconnu patrimoine mondial par l’Unesco, a dû subir des travaux de rénovation.  » Avant de commencer, nous avons dû chasser les pigeons logés sous la toiture et vider 25 tonnes de fiente ! On s’est alors rendu compte que les poutres avaient été gravement abîmées par les excréments « , raconte l’échevine Marie-Eve Van Laethem. Expulsés du monument, les oiseaux ont aussitôt envahi la ville. Au grand dam des habitants qui ont dû faire face à ce déménagement et à l’accroissement des nuisances qui en a découlé. Ils ont alors proposé, via un programme de participation citoyenne à la décision, que soit construit un pigeonnier similaire à celui de Schaerbeek, afin d’accueillir les quelque 400 pigeons que compte la ville.

Un mal universel

La Belgique est loin d’être la seule confrontée à ces nuisances. D’autres pays, comme la France, la Grande-bretagne et surtout la Suisse, ont également combattu ce problème avant nous. Ainsi, le maire de Londres, Ken Livingstone, a récemment bravé les quolibets en interdisant le nourrissage de ces volatiles à Trafalgar Square. C’est que les  » rats ailés « , comme il les appelle, font partie intégrante du décor de la place.  » Ken le Rouge  » a en tout cas réussi à réduire le nombre et les nuisances des pigeons. Mais, en la matière, la Suisse tient incontestablement la place de pionnière. A Bâle, l’installation d’un pigeonnier, au début des années 1990, a permis en un peu plus de quatre ans de réduire de moitié les nuisances et la population des ramiers, inspirant sans aucun doute Thuin et Schaerbeek… D’ailleurs, aujourd’hui, les deux projets belges reçoivent l’approbation des sociétés de défense des animaux, comme Gaia, et d’ornithologie, comme Aves. Et ce, même si l’utilisation de faucons à Schaerbeek laisse perplexe Emile Clotuche, un biologiste d’Aves.  » Ça peut marcher, mais ça va coûter un os, car les pigeons chassés reviendront vite. La preuve à la cathédrale des Saints-Michel et Gudule, où une colonie de pigeons niche à quelques mètres d’un couple de faucons. Il faudrait donc utiliser 2 ou 3 fauconniers à temps plein.  »

Malgré cette critique, minime, le pigeonnier reste plus acceptable et plus efficace que d’autres méthodes. La capture et le gazage par CO2, utilisés il y a quelques années encore, sont non seulement cruels, mais aussi totalement inefficients, puisqu’il ne faut que quelques mois pour que la population se recompose. Une autre méthode, utilisée à Venise dont la place Saint-Marc compte encore plus de pigeons que de touristes, prête, elle, à sourire. Cinq mille pigeons ont été transportés vers la Sicile. Résultat : quelques jours plus tard, fidèles à leur nature, les  » pigeons voyageurs  » étaient de retour…  » Il faut vraiment être idiot pour faire ça, se gausse Emile Clotuche. N’ont-ils jamais entendu parler de colombophilie ? » L’électrorépulsion – des fils électriques autour des bâtiments – présente un double désavantage : son coût élevé et le fait que le problème n’est que déplacé, puisque les pigeons s’installent ailleurs. Elle s’avère néanmoins utile pour protéger les monuments remarquables des fientes acides.

Une chose est sûre : la réduction à néant des populations de ramiers ne doit plus être au programme. C’est aussi l’avis de Françoise Sion, responsable d’Ethologia, une association qui s’occupe des relations Homme/animal dans les villes.  » Il est ridicule de vouloir les exterminer. Ce sont des animaux domestiqués et les relations entre l’homme et les animaux sont positives. Il ne faut pas interdire le nourrissage, car il est ancré dans notre symbolique sociale, mais il faut aider ceux qui veulent les nourrir à le faire correctement !  » Et d’espérer que, désormais, le charmant volatile respectera l’adage  » Chacun chez soi ! « . l

Jérôme Durant

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