La déferlante
En quelques années, la drogue des » people » est devenue celle de » M. Tout-le-monde « . Parce qu’avec Bruxelles, entre autres, comme plaque tournante importante, les cartels sud-américains inondent l’Europe de poudre à prix cassé. Et que beaucoup ignorent la gravité de la dépendance et des risques auxquels ils s’exposent.
Bien avant que Delarue ne fasse son mea culpa de consommateur invétéré (voir pages suivantes), la cocaïne est, depuis un quart de siècle au moins, une banalité parmi les vedettes et la cohorte de noctambules internationaux. Contrairement à Johnny Hallyday qui confessera, en 1998, sa consommation, les people français qui y touchent – parfois flanqués d’image de gendre idéal – restent foncièrement discrets. Ce n’est pas le qualificatif qui vient à l’esprit dans le business US des seventies, la cocaïne y apparaît, en portions caricaturales, frisant le volume du gâteau d’anniversaire, sur les collines hollywoodiennes ou dans les » parties » de Manhattan. C’est l’époque où des gens comme Martin Scorsese font exploser le compteur blanc. La petite cuillère en argent en pendentif est mode : plus pratique que d’étaler la poudre sur un plateau pour le renifler dans un billet de (forcément) cent dollars roulé en paille nasale. Le groupe californien Fleetwood Mac devient l’incarnation de la coke-music : quand ils enregistrent, en 1976, leur gigantesque succès commercial Rumours, les cinq musiciens sont tellement accros qu’ils pensent sérieusement à mettre le nom de leur dealer en remerciement sur la pochette d’un album, se vendant à 40 millions d’exemplaires ! Le batteur, Mick Fleetwood, tox pendant vingt-cinq ans, précisera à propos du fournisseur : » Malheureusement, il s’est fait descendre avant la sortie du disque. »
Comme les tee-shirts Cocaïne – parodie du sigle de l’autre Coke, la boisson pétillante – Keith Richards popularise également le supposé glamour poudreux au gré des années – jusqu’à sa récente déclaration d’avoir sniffé les cendres de son père, qu’il démentira ensuite – ce qui n’empêchera pas, chez d’autres, les cloisons nasales brûlées (et remplacées par des plaques de métal) ni les multiples overdoses. Parmi les victimes directes : l’extraordinaire Blues Brothers, John Belushi (1948-1982), le bassiste des Who, John Entwistle (1944-2002), le guitariste des Pretenders, James Honeyman-Scott (1956-1982), l’acteur-star River Phoenix (1970-1993) et le cinéaste allemand Rainer Werner Fassbinder (1945-1982).
De 50 à 125 euros le gramme
En Belgique, la drogue n’arrive en force qu’à la fin des années 1970 et suit le même parcours nocturne/business, dans un premier temps élitiste par ses circuits de consommation et son prix (100-125 euros le gramme) : les lunettes WC de certaines boîtes bruxelloises servent de plateau pour les lignes. Au Plan K, les groupes rock veulent leur dose, sorte d’attestation de la réussite. C’est plus chic que le speed (amphétamines), au moins aussi dangereux. Sylvie a travaillé dans ces endroits : » La cocaïne était parfaitement dans la ligne « glam » des années 1980, le grand jeu de se prétendre irrésistible, magnifique, follement intéressant. La coke se prenait dans de beaux appartements, dans le milieu des antiquaires, de la nuit et de la pub qui, elle, veut toujours suivre le courant. On en achetait un gramme à quatre, comme on aurait commandé une bouteille de champagne : cela fait planer un peu mais, le lendemain, tu es lessivé. » Sylvie a laissé cela à ses 20 ans, âge approximatif de ses enfants, qui ne prennent pas de la coke. Pense-t-elle. Même si le prix défie désormais toute inflation : 50 euros le gramme.
PHILIPPE CORNET
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