La bonne fée Gavalda

Marianne Payot Journaliste

Phénomène de librairie, elle publie, après quatre ans de silence, La Consolante, tiré à 300 000 exemplaires. Un roman au grand cour qui devrait combler ses fans. et les libraires.

Le rendez-vous n’a pas été pris, mais la rencontre a bien eu lieu. Impromptue. Au 19 de la rue Racine, dans le vie arrondissement de Paris, un matin de février. Car, pour l’heure, Anna Gavalda n’attend personne nulle part. Surtout pas les journalistes. L’information est tombée, sous la forme d’un communiqué :  » Avant, j’étais jeune et docile, je ne savais pas dire non [à] Aujourd’hui, je suis vieille et revêche et voudrais n’en faire qu’à ma petite tête (de linotte ?) [à]  » Ainsi soit-elle.

Rue Racine, donc, au premier étage de la jolie librairie-maison d’édition le Dilettante, la trentenaire Anna Gavalda s’active ferme, malgré sa  » vieillerie « . A sa gauche, des piles et des piles de La Consolante, le petit frère tant attendu d’Ensemble, c’est tout (2004), son roman millionnaire, hymne d’espoir aux paumés de notre temps sauvés par leur richesse intérieure et la fraternité ; à sa droite, quelque 600 enveloppes dûment libellées aux libraires de France et de Navarre. Stylo et crayons de couleur en main, la romancière va enchaîner, le poignet solide, les dédicaces. Une pratique peu courante et hautement appréciée par les récipiendaires. Les libraires, ou le nerf de la guerreà

Ce sont eux qui ont conforté le faramineux succès des ouvrages gavaldesques et convaincu Dominique Gaultier, patron du Dilettante, de fixer le tirage du dernier-né à 300 000 exemplaires. Du rarement vu pour un auteur français ! Et une belle gageure pour un livre si compliqué à fabriquer, avec ses 640 pages serrées, ses cahiers cousus et sa couverture à rabat – un luxe, cher à son auteur et qui aura  » coûté  » près de 500 000 euros ! Ce sont eux, aussi, qui auront l’insigne honneur de la recevoir, lors d’un véritable tour de France.

Tant pis pour les médias ! Malgré les sourires, la nouvelle ermite de Melun est intraitable. Les interviews se feront uniquement par e-mail. Et pas question de baguenauder hors de la trame romanesque !  » Bien sûr, les journalistes sont vexés, convient Dominique Gaultier. Mais il faut la comprendre : elle s’est sentie trahie, notamment par Paris Match, qui a publié des photos de ses enfants et a relaté le vol de son ordinateur comprenant les premiers chapitres de son roman. « 

On prête à ce mentor un fort ascendant sur la romancière. Mais qui est vraiment dépendant de qui ? Comme les autres couples  » petits éditeurs-auteurs fortunés  » – Fred Vargas-Viviane Hamy et, dix ans durant, Paulo Coelho-Anne Carrière – l’attelage Gavalda-Gaultier est fragile : depuis Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part (1999), une bonne dizaine de poids lourds de l’édition auraient, selon la rumeur, essayé d’exfiltrer la poule aux £ufs d’or. Pourtant, la romancière est restée fidèle.  » Parce que je suis le meilleur « , explique, mi-sérieux, mi-facétieux, Dominique Gaultier, sorte de paterfamilias à l’humour déstabilisateur. Version Gavalda :  » Nous ne parlons jamais d’argent, jamais de business, jamais de bandeaux rouges, ni de courses aux prixà mais seulement de littérature. Et je sais que si mon prochain manuscrit ne lui plaît pas, eh bien, il ne le publiera pas. C’est aussi simple que cela, et c’est rassurant.  » A voir.

On le savait, Anna Gavalda, 37 ans, est une chic fille. Grande banlieusarde, ni bégueule ni mondaine, fille de parents divorcés et divorcée elle-même, mère de famille, bonne s£ur, mauvaise cuisinière, gourmande, fine, drôle, blonde, le cheveu court, en jean avec une pointe de cachemire. Bref, le quasi-portrait-robot de ses lectrices, ou de leurs voisines. Avec un petit zeste d’androgynie en plus. Malgré la gavaldamania et les millions d’euros, alimentés par les versions cinématographiques d’Ensemble, c’est tout (Claude Berri, 2007) et de Je l’aimais (Zabou Breitman, sortie à venir), cette fan de Sempé n’a pas chamboulé sa vie – à part l’embauche d’une gouvernante-nounou et l’achat d’une belle maison de ville à deux étages avec jardin clos, près de l’église de Melun. Et, si elle a flanché passagèrement, tâtant, ici, des défilés de mode, confiant, là, ses secrets de beauté, elle n’a pas succombé aux sirènes du cirque médiatico-publicitaire, qui auraient pu la déguiser en mascotte de la carte Visa Premier ou en effigie de spas en vogue. Trop peur de se couper de son  » fonds de commerce « , des parkings de supermarché aux maisons de campagne pleines d’enfants.

En fait, la jeune femme  » aux six zones de carte Orange « , comme elle aimait naguère se présenter, a arpenté moult chemins de traverse. Fille aînée de soixante-huitards, elle aura connu une joyeuse éducation folklorique à la campagne, du côté de Nogent-le-Roi (Eure-et-Loir), rythmée par Lou Reed et Bobby Lapointe ; puis, vers ses 14 ans, sur sa demande, une plongée dans l’étonnante demeure (aux 13 enfants !) de sa tante ; enfin, étudiante en littérature, un séjour dans un foyer de jeunes filles parisien.

Un brin de légèreté et beaucoup de travail

Dans la légende gavaldienne, on trouve aussi, indissociable des empathies de son lectorat, une kyrielle de petits boulots :  » potiche  » dans les Salons, vendeuse chez un fleuriste, caissière à Monoprix, jeune fille au pair outre-Atlantique. Elle en aura profité pour observer, écouter, questionner sans relâche, comme elle ne cessera de le faire plus tard, au risque de gêner ses interlocuteurs. Autant de confidences qui nourriront ses personnages. A 23 ans, elle se range, momentanément. Se marie à un vétérinaire et tente d’enseigner le français à des élèves de sixième, dans un collège catholique de Melun. En 1999, elle trouve un éditeur, puis met au monde une petite fille, Félicité, se sépare, donne sa démission :  » Je n’étais pas très bonne en accords de noms composés et en directives de l’Education nationale, mais j’étais gaieà « 

La gaîté, un brin de légèreté et beaucoup de travail : tels sont les ingrédients de la recette Gavalda. Avant de camper ses héros, elle s’imprègne de leur univers. A l’américaine. Lit beaucoup d’ouvrages techniques, enquête sur place – dans les cuisines, les hôpitauxà – visionne des films. Du coup, ses personnages, ses décors et ses dialogues sonnent juste, ses lecteurs sont ravis ( » Elle me comprend « ,  » Elle me parle « ), d’autant que les bons sentiments affluent, que les désespérances se tassent.  » Elle fait du replâtrage social « , commentait hier le psychiatre Christophe André.  » Elle devrait être remboursée par la Sécurité sociale « , analyse aujourd’hui, un rien goguenard, le journaliste Frédéric Ferney.

Avec La Consolante, un peu plus noir peut-être, mais tout aussi réconfortant, rien ne devrait changer. L’amour qui se délite, l’amitié qui prend des coups, les familles qui se recomposent, les relations frère-s£ur indéfectibles, les brisés au grand c£urà Tout y est. Au centre de l’action, Charles, architecte parisien de 47 ans, jonglant avec les chantiers, les décalages horaires, sa compagne, très Chanel, et sa fausse belle-fille, en pleine adolescence. Un train-train somme toute banal, stoppé net par l’annonce de la mort d’Anouk, à 63 ans. Anouk ? L’ancienne voisine, la mère de son ami d’enfance, Alexis, perdu de vue depuis longtemps.

L’on comprend vite que la mystérieuse Anouk a charpenté la vie du bâtisseur. Originaire d’une famille glauquissime, jolie mère célibataire excentrique, cette infirmière miracle de la Pitié-Salpêtrière émerveille le petit Charles. Et puis il y a Nounou, vieux travesti décati métamorphosé en divine baby-sitter. Plus tard, entraîné dans le tourbillon de la vie, le brillant architecte délaissera Anouk. Aujourd’hui, Charles a le blues honteux. Il part à la recherche d’Alexis et rencontre Kate, 36 ans, à 400 kilomètres de Paris.  » Face lumineuse  » d’Anouk, elle est une sorte de mère courage, à la tête d’une véritable ménagerie – chiens, chevaux, lama, poules et enfants qui ne sont pas d’elle. Un paradis champêtre, loin des hypocrisies de son foyer du ve arrondissement. Charles est ferré. Il est temps pour lui de se réconcilier avec lui-mêmeà

Efficace, La Consolante a un joli titre, hommage à la partie de pétanque qui compte pour du beurre, trouvé dans l’urgence, comme le dessin de la couverture, tracé par l’auteur elle-même, et se lit avec plaisir. Il peut même vous aider à trouver des amis (tentez sa lecture dans le métro ou dans le train), vous faire oublier vos propres peines et susciter les railleries des critiques. Anna Gavalda prête le flanc, elle le sait. Pas sûr qu’elle n’en soit pas affectée. Seule certitude : l’attente sera longue devant son stand au Salon du livre de Paris, et les 300 000 exemplaires seront vite écoulés. l

La Consolante, par Anna Gavalda. Le Dilettante, 640 p. (en vente le 11 mars).

Marianne Payot

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