La bible du porno américain

Philippe Cornet Journaliste musique

Rédigé à la manière d’une enquête serrée, The Other Hollywood, enfin traduit en français, raconte le porno US  » par ceux qui l’ont fait « . Manies sexuelles, ravages de la cocaïne et liens mafieux. Bienvenue dans une industrie à 10 milliards de dollars l’année…

A priori, la lecture de 761 pages sur l’histoire du porno américain par ceux qui l’ont fait n’est pas le choix évident de l’été. Pas plus que de l’automne d’ailleurs. Mais la facture du livre, sa manière de naviguer entre une réalité plus glauque que glamour et les mécanismes associant sexe et commerce, n’est pas loin d’être fascinante. Paru aux Etats-Unis en 2005, l’ouvrage chronique un demi-siècle de pornographie américaine : son origine, ses modes et rites, ses canaux, ses personnages. Il est le résultat de sept ans de travail de Legs McNeil et Jennifer Osborne, avec la collaboration de Peter Pavia. McNeil est déjà le coauteur d’un livre très remarqué sur l’histoire du punk (1) où il appliquait la même méthode littéraire : une fois le chapitre segmenté par thème, celui-ci est décortiqué par un entrelacement d’extraits d’interviews d’intervenants divers qui se complètent, s’illustrent et, parfois, se contredisent.

L’affaire débute sous forme de prologue avec Les films de charme de la période 1950-1968 : le puritanisme américain cadenasse toute image un peu trop graphique des parties intimes, a fortiori de tout sexe en érection. Comme dit John Waters, cinéaste de la marge,  » il a fallu beaucoup, beaucoup de temps pour pouvoir montrer des poils pubiens, alors il fallait vraiment utiliser son imagination « . Les films passent dans les salles burlesques et les nudie-cuties se tournent en une journée. Des contingents de jeunes femmes pensent encore – sérieusement – que le X américain, qui devient légal en 1969, n’est qu’une étape vers le vrai cinéma hollywoodien. La sortie de Deep Throat, à l’été 1972, est en quelque sorte l’officialisation de la pornographie grand public aux Etats-Unis : l’improbable synopsis – le clitoris de l’actrice est situé dans sa bouche… – n’est évidemment qu’un prétexte vaseux aux multiples scènes de fellation, rendant le film internationalement célèbre. Gorge profonde essaime dans la culture populaire, jusqu’au Watergate où l’informateur s’est choisi ce délicat pseudo. Le film fait un tel carton – 100 millions de dollars de recettes pour 40 000 dollars d’investissement – que les accointances mafieuses contrôlant les bénéfices ne comptent pas l’argent : ils le pèsent… Plus tard, après avoir tourné une suite, Linda Lovelace, Deep Throat en personne, affirmera avoir été forcée à faire du porno par son amant, Chuck Traynor. C’est sans aucun doute l’un des chapitres les plus intéressants et les plus représentatifs du bouquin que la descente au c£ur du tournage de ce film-étalon. Avec son parrain new-yorkais qui a avancé les fonds (Butchie Peraino), son journaliste du magazine Screw (2) qui crie au chef-d’£uvre (Al Goldstein), son agent du FBI dépassé par les événements (Bill Kelly), sans oublier son improbable couple Lovelace et Traynor, voilà un casting d’enfer pour décortiquer  » 59 minutes de copulation orale « …

(1) Please Kill Me, avec Gillian McCain, également paru chez Allia. Une transposition scénique du livre sera présentée au Théâtre 140, du 24 au 27 janvier 2012, www.theatre140.be

(2) Baiser, en anglais.

The Other Hollywood, aux éditions Allia.

PHILIPPE CORNET

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