Joseph Pagano (UMons) : « Un plan de relance fédéral aurait tout son sens »
Pour Joseph Pagano, professeur de finances publiques à l’UMons, l’évolution de l’épidémie confirme la thèse d’une crise économique sans précédent. Il suggère un cofinancement fédéral des plans de relance régionaux, à l’image de l’aide européenne.
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La persistance de l’épidémie de Covid-19 a fait mentir les perspectives économiques évoquées en mars et avril derniers. Que peut-on dire aujourd’hui de cette crise, malgré les incertitudes qui demeurent ?
Quand on regarde les publications les plus récentes sur le sujet, la situation est en effet plus grave que ce qu’on avait imaginé au départ. On parle maintenant d’un recul du PIB belge de 10 à 11% en 2020. Les gens n’imaginent pas ce que cela implique. C’est du jamais-vu. Même la crise de 1929, pour ce qu’on en sait vu que l’appareil statistique n’existait pas à l’époque, n’a pas atteint durant sa première année les reculs observés aujourd’hui. La crise de 2008, elle, a engendré un recul du PIB en Belgique de 2 à 3% la première année. On est donc face à une catastrophe économique pratiquement sans précédent. Pour connaître une trajectoire en V ou même en Nike, comme cela avait été évoqué au départ (NDLR: dans le premier cas, l’effondrement est rapide mais la reprise aussi, dans le second la chute est brutale et suivie d’une reprise lente, à l’image de la courbe du logo Nike), il faudrait que l’économie retrouve son niveau d’avant-crise pour 2021. Or, je ne pense pas qu’on pourra remettre le cours de notre économie dans son lit normal d’ici là. D’autant qu’elle dépend d’autres régions du monde, où la situation est encore bien plus grave.
Le plan de relance de la Commission européenne est une révolution copernicienne. Ces 750 milliards d’euros ne seront certainement pas de trop.
Cette crise peut-elle pénaliser davantage l’une des trois Régions du pays ?
Bien sûr, il y a des différences régionales et sectorielles. Mais le choc est tellement énorme qu’il affecte tout le monde plus ou moins de la même façon. D’une Région à l’autre, ces disparités affectent la première ou la deuxième décimale dans le pire des cas.
La crise ne fait-elle tout de même pas planer un plus grand risque sur les entreprises wallonnes, en moyenne plus petites et moins capitalisées que les flamandes?
Quelle que soit la Région, il faut malheureusement s’attendre à un déferlement de faillites dans les prochains mois. Pour les petits commerces ou les petites entreprises industrielles, il n’est pas possible de réaliser des chiffres d’affaires aussi faibles sans que leur santé soit gravement mise en danger. Le droit passerelle permet aux indépendants de tenir pendant un certain temps, mais ce n’est pas suffisant : pour les entreprises, un système de prêts est très utile afin d’assurer la trésorerie, puisqu’à un moment, elles n’auront plus d’argent en caisse. Avec, toutefois, le risque élevé pour les prêteurs de ne plus revoir l’argent octroyé en cas de faillite. Si le privé pouvait apporter sa contribution, ce serait une excellente chose. Rappelons que l’Etat et les Régions vont déjà très, très loin dans les aides accordées. Cela dit, il faut aussi à tout prix éviter de mettre en danger la solvabilité des banques. La crise n’en serait que plus catastrophique.
Les mesures de soutien des autorités publiques assurent-elles le bon équilibre entre l’urgence de la situation et la préservation de leur propre trajectoire budgétaire ?
Jusqu’ici, il y avait une faible tendance au désendettement en Belgique. En 2018 et 2019, la dette était repassée à un ratio inférieur à 100% du PIB. Avec la crise, les pronostics annoncent une dette publique de 120% du PIB à la fin de cette année. Un tel plongeon en un an, c’est aussi inédit. Accepter un tel déficit, comme le font d’ailleurs tous les pays européens, c’est évidemment un choix. Ont-ils raison de le faire ? Nous verrons, mais je pense que oui. Si la crise de 1929 s’est amplifiée dans les années qui ont suivi, c’est parce que les autorités publiques n’avaient pas les politiques que l’on connaît aujourd’hui. Nous ne pourrons de toute façon pas éviter le plongeon de cette année de crise. En revanche, on peut éviter qu’elle dure trois ou quatre ans de plus. A cet égard, c’est quand même la toute première fois que les Etats, la Banque centrale européenne et la Commission européenne sont sur la même longueur d’onde. Le plan de relance de la Commission est une révolution copernicienne. L’Union européenne a certes été poussée très opportunément par la France et l’Allemagne en ce sens, mais tout le monde s’accorde à dire que la priorité est d’arrêter l’incendie, au prix de centaines de milliards d’euros. Il faut donc applaudir ce que fait la Commission européenne d’Ursula von der Leyen. Ces 750 milliards d’euros, répartis sur toute l’Europe et sur cinq ans, ne seront certainement pas de trop.
Les Régions n’ont jamais disposé d’autant de leviers économiques qu’aujourd’hui. Leurs plans de relance sont-ils pour autant devenus plus déterminants que l’action du fédéral ?
L’action des Régions aujourd’hui est plus déterminante que par le passé. Face à une situation comme celle que l’on traverse, il faut des plans de sauvetage. Mais plus ce plan de sauvetage est centralisé, mieux c’est. Un plan européen est mieux qu’un plan belge. Et un plan belge est mieux qu’un plan flamand, wallon ou bruxellois. Car vous avez d’une part un effet de taille, et d’autre part des effets de fuite : une partie de la relance financée par la Wallonie aura des effets en Flandre, en France, en Allemagne etc. Mais la réalité belge est plus nuancée : un plan régional est a priori moins efficace qu’un plan national, à moins que l’on ne parvienne pas à s’entendre à l’échelle fédérale sur ce qu’il faut faire. L’avantage des Régions, c’est de pouvoir agir vite, compte tenu de leur homogénéité et de leurs spécificités sectorielles.
Un plan de relance belge a-t-il dès lors du sens, compte tenu de ces spécificités ?
Oui, parce que ces différences entre Régions ne sont tout de même pas apocalyptiques, encore moins face au choc actuel. Tant les aides aux entreprises que les infrastructures sont régionalisées. Mais si on avait un gouvernement de plein exercice avec une majorité équilibrée, rien n’empêcherait qu’il se mette d’accord sur un cofinancement fédéral des plans de relance mis en oeuvre par les Régions, comme le fait la Commission européenne. Il faut bien comprendre qu’en relançant l’économie, le premier gagnant est l’Etat fédéral. C’est lui qui touche les cotisations de sécurité sociale à chaque fois que l’on crée un emploi. Ce n’est pas idiot de penser qu’il y a un intérêt commun des acteurs économiques, à savoir les Régions et l’Etat, pour que la relance fonctionne bien.
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