Johnny qui ?
Et dire que Johnny Halliday avait, dans un premier temps, refusé de jouer dans le film de Laurent Tuel ! La star en instance de naturalisation belge s’était en effet donné pour principe de ne pas tourner dans des films touchant au domaine musical. Une lecture attentive du scénario l’a heureusement fait changer d’avis, pour le plus grand plaisir de spectateurs qui seront nombreux à quitter Jean-Philippe, un large sourire aux lèvres.
Car il va plaire, et beaucoup, ce film au déroulement tortueux mais plein d’astuce, au style visuel sans éclat mais aux gags nombreux et vraiment drôles. L’idée de départ du scénariste Christophe Turpin nous emmène aux confins de la comédie et de la science-fiction, comme si l’univers de Podium et celui de La Quatrième Dimension s’épousaient en d’improbables mais réjouissantes noces. Le héros du film se prénomme Fabrice, et mène une vie assez morne de cadre moyen passant de la routine du bureau à celle d’un foyer où son épouse se fait aussi discrète que sa fille adolescente se veut indifférente et rebelle. Seule lumière dans cette pénombre existentielle : l’adoration portée par Fabrice à son idole, Johnny Hallyday. Une pièce de la maison est consacrée aux souvenirs » hallydéens » rassemblés depuis l’adolescence, une collection dont notre homme est fier ( » C’est la plus importante du département ! « ) et qui représente ses rêves de fan aussi motivé qu’en ses jeunes années. Un soir qu’il rentre tard, avec un verre dans le nez, et qu’il reprend à tue-tête dans la rue les succès de son chanteur fétiche, le poing vengeur d’un voisin furieux d’avoir été réveillé va d’un coup transformer sa vie. Car, quand il se réveillera sur son lit d’hôpital, en bonne santé physique, c’est à un crash mental d’une violence inouïe que Fabrice se verra exposé. Dans le monde dans lequel il évolue désormais, et qui présente par ailleurs toutes les apparences de la normalité, personne ne connaît Johnny Hallyday ! On ne trouve même pas trace d’un seul de ses disques dans les magasins, et la quête du fan catastrophé pour dénicher le moindre signe d’existence de son idole se révélera vaine. Quant à sa collection, elle a aussi disparu, remplacée par une autre… de canettes de bière.
Un mémorable tandem
Comment une idée viendra au désespéré Fabrice, comment il s’efforcera de rendre justice à celui qui reste son héros, dans la dimension où Jean-Philippe Smet n’est jamais devenu star, le film nous le narre sur un mode plus que plaisant. Le tandem d’interprètes réunis pour l’occasion se révèle épatant, avec un Johnny minéral, impénétrable, tout de pure présence (avec une de ces gueules !), et un Luchini qui, lui, tourne autour en vibrionnant comme à son habitude mais sur un mode constamment inspiré. Les deux hommes s’étaient croisés voici vingt ans déjà, sur le tournage de l’excellente comédie noire de Costa-Gavras Conseil de famille. Le contraste physique de leurs jeux offre un résultat extrêmement savoureux, avec ses décalages hilarants et quelques moments d’unisson presque émouvants.
Et, quand le scénario riche en rebondissements autorise Jean-Philippe à (re)devenir Johnny, même le moins fan et le plus sceptique des spectateurs ne pourra que ressentir la part de grandeur d’un artiste dont on comprend, de manière palpable, comment il a pu rester au sommet depuis son avènement au début des années 1960. Le frisson qui nous parcourt l’échine à ce moment n’étant par ailleurs pas le dernier, car Jean-Philippe nous réserve encore une » chute » aussi astucieuse et rigolote que son idée de départ. De quoi quitter la projection heureux d’avoir été diverti de manière aussi complice.
Louis Danvers
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