Jodie Devos en pyrotechnie

La vie sourit à la deuxième lauréate du Concours reine Elisabeth 2014. Elle décroche son tout premier rôle-titre à l’Opéra de Liège et sera Rosine dans Le Barbier de Séville de Rossini. Un feu d’artifice d’émotions pour la soprane belge.

Pourquoi elle ? Se doutant que l’intéressée aurait du mal à répondre à cette question, on se tourne d’abord vers Stefano Mazzonis di Pralafera, directeur de l’Opéra de Liège.  » J’ai entendu Jodie Devos plusieurs fois pendant le Concours, explique-t-il. Puis, en tant que lauréate, elle a chanté à plusieurs reprises avec notre orchestre. Je me suis dit qu’il fallait absolument trouver un rôle pour elle. L’opportunité s’est présentée avec Le Barbier de Séville. En principe, le rôle de Rosine a été écrit pour une mezzo, mais il existe aussi une version pour une soprane. Maria Callas l’a chantée. Jodie a une technique extraordinaire, une voix très claire et très perçante. Sa voix « passe ». Il y a des chanteuses qui ont une très belle voix, mais qui « ne passent pas ». Bref, Jodie « crève l’écran », comme on dit au cinéma. De surcroît, elle est très attentive, toujours à l’écoute et très sûre d’elle-même, dans le sens positif du terme.  »

Une vraie Rosine

On rencontre Jodie Devos un samedi soir à l’Opéra de Liège. Elle débarque avec sa valise, en prévision de quinze jours de répétitions. Silhouette menue, pull rayé et jeans, cheveux tirés en arrière, lunettes à monture sévère, elle a l’air d’une grande ado intello. Le glamour, c’est pour la scène. On s’installe au Foyer de l’Opéra de Liège devant un thé.  » J’allais à mon cours de chant quand Stefano Mazzonis m’a appelée personnellement pour me proposer le rôle de Rosine. J’ai été très surprise, mais évidemment ravie et j’ai accepté tout de suite. Je chante peu de Rossini, c’est donc une découverte qui me fait très plaisir. Je travaille depuis huit mois. Comme le rôle de Rosine a été prévu pour une mezzo, je dois changer les cadences. Les ornementations sont également différentes, car plus aiguës voire  » pyrotechniques « , comme un feu d’artifice. Pour me préparer, j’ai beaucoup écouté l’enregistrement avec Beverly Stills, une soprane comme moi. Oui, je sais, on doit éviter d’écouter les versions précédentes car on a tendance à imiter. C’est un défaut de jeunesse. De surcroît, il y a avait l’urgence, j’avais peur de ne pas tout maîtriser. J’ai travaillé aussi avec une coach à Paris, pendant trois journées très intensives. Rosine est un rôle qui me correspond bien. Elle a beaucoup d’humour et beaucoup de caractère. C’est une passionnée, mais aussi un peu boudeuse et un peu vicieuse, elle aime les petites magouilles. C’était mon cas quand j’étais petite, je me suis beaucoup assagie (rires). Cela dit, comme elle, je peux être une vraie boudeuse !  »

Née dans le foie gras

Jodie Devos, née à Libramont en 1988, grandit dans une ferme, dans le village de Laherie où elle vit une enfance  » extraordinaire « . Ses parents sont producteurs de foie gras.  » A l’âge de 6 mois, j’ai changé mon petit Gervais contre le foie gras. Depuis vingt-sept ans, je clame haut et fort que le foie gras de mon père est le meilleur !  » Chez les Devos, on aime la musique et le chant live. La maison ne désemplit jamais. Des amis, notamment le guitariste Quentin Dujardin, sont toujours les bienvenus. On se met autour de la table, on fait la fête, et on chante : de la chanson française et de la variété anglaise. Dès l’âge de 5 ans, Jodie participe aussi à la Semaine chantante de Neufchâteau, stage de chant choral organisé en août, ouvert à tous, de 7 à 77 ans.  » Pendant dix jours, on apprenait dix morceaux, très différents et, le dernier jour, on donnait un concert. C’est là que j’ai chanté mes premiers solos. J’ai participé à ce stage pendant treize ans.  »

A l’âge de 11 ans, Jodie décide qu’elle fera de la musique son métier. A 16 ans, elle arrive à Ciney et démarre ses premiers cours de chant à l’Académie, avec Françoise Viatour.  » Mon but était de chanter de la variété, du pop et du rock.  » C’est aussi sa première rencontre avec l’opéra car au programme il y a des airs de Mozart et de Puccini. Françoise Viatour sent très vite chez la jeune fille des dispositions exceptionnelles pour le chant classique. Sa capacité de transmettre la passion pour l’opéra est telle que Jodie ne se fait pas longtemps prier pour entamer les études à l’Imep (Institut supérieur de musique et de pédagogie) de Namur. Benoît Giaux et Elise Gäbele, deux chanteurs belges au sommet, la prennent en mains.  » J’ai eu beaucoup de chance de tomber sur eux. Ils sont tous les deux hypergénéreux, m’ont fait confiance et m’ont beaucoup soutenue. Elise est très sensible et sait transmettre cette sensibilité. C’est elle qui m’a poussée vers les tessitures aiguës et vers les vocalises. Son avis compte énormément pour moi. J’ai toujours besoin de son oreille qui est très affûtée. Je suis sa première élève qui débute à l’opéra.  »

Puis, Jodie part au Danemark pour suivre les master classes avec Audrey Hyland de la Royal Academy of Music à Londres. Suit une proposition de parfaire la formation à la prestigieuse école londonienne.  » Cela m’excitait beaucoup de partir à l’aventure. Pendant deux ans, j’ai beaucoup travaillé et j’ai élargi mon répertoire. Nous étions quarante chanteuses et j’ai découvert la concurrence.  » Deux ans plus tard, son Master of Art (avec la plus grande distinction) en poche, elle regagne sa Wallonie natale avec la crainte de ne pas trouver du travail. Mais elle est une battante qui aime anticiper. Elle prépare donc une agrégation à l’Imep et le Concours reine Elisabeth.  » Pour une Belge, le Concours est très important. Il offre une opportunité de se faire connaître et une visibilité énorme. J’avais aussi envie de savoir de quoi j’étais capable. Mon objectif était de me retrouver en demi-finale et je suis très fière de l’avoir terminé comme deuxième lauréate. Le Concours peut également provoquer énormément de choses, ce qui a été mon cas.  »

L’autre bonne nouvelle ? Jodie Devos est sélectionnée par la toute jeune Académie (créée en 2012) de l’Opéra-Comique à Paris pour suivre une formation intensive en 2014-2015. Sur 300 dossiers envoyés, 90 candidats ont été auditionnés et seulement sept ont été acceptés. Les élèves ont pu bénéficier des conseils de Marc Minkowski, célèbre chef d’orchestre et de Jérôme Deschamps, acteur, metteur en scène et directeur de l’Opéra-Comique. Jodie a également été insérée dans deux productions maison : La Chauve-souris de Johan Strauss et Les Mousquetaires au Couvent de Louis Varney.

Un rêve nommé Kaufmann

La saison 2015-2016 s’annonce très prometteuse pour la jeune mariée (elle a épousé en août le guitariste acoustique Nicolas Gaul). On l’entendra à l’opéra de Montpellier, tout d’abord dans L’enfant et les sortilèges de Maurice Ravel en décembre 2015, puis dans Geneviève de Brabant de Jacques Offenbach où elle incarnera Geneviève, en mars 2016. Elle peaufine aussi un projet avec Isabelle Druet (2e lauréate au Concours reine Elisabeth en 2008) et se produira, avec Christophe Rousset et ses Talens Lyriques, au Festival de Potsdam, en Allemagne. Ses ambitions ? Continuer dans la même voie.  » Je n’ai pas de grandes ambitions. Je veux juste chanter et être aussi bonne que Natalie Dessay, Diana Damrau ou Patricia Petitbon qui me servent de modèles.  » Son rêve ? Chanter avec Jonas Kaufmann. Voix cuivrée, amplitude phénoménale et physique de tombeur… A 45 ans, le Bavarois est le meilleur ténor du monde et le chanteur le plus excitant du moment !

Le Barbier de Séville, à l’Opéra de Liège. Les 18 octobre (15 heures), 20, 22 et 24 octobre (20 heures). www.operaliege.be

Par Barbara Witkowska

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