» Je suis outré qu’on parle de gare pharaonique ! «
Elio Di Rupo défend bec et ongles le projet de la gare et répond point par point aux critiques. Mais il reste assez prudent vis-à-vis du MR et de la ministre Galant en particulier. Pour lui, rien n’est trop beau pour les Montois. Entretien sans concession.
Le Vif/L’Express : La nouvelle échéance pour la fin des travaux de la gare de Mons, c’est 2018. On s’est longtemps accroché à la date de 2015, tant à la Ville qu’à la SNCB. C’était de la naïveté ?
Elio Di Rupo : On ne s’est pas accroché. On l’espérait. C’est vrai qu’on y croyait, à l’époque. Mais on ne connaissait pas encore tous les délais nécessaires, notamment pour la destruction de l’ancienne gare. Et puis, surtout, il y a eu de nombreux recours de quelques citoyens – en tout cas supposés tels – qui ont retardé le début du chantier d’au moins un an et demi.
Selon vous, pourquoi ce projet a-t-il suscité autant de recours ?
Vous savez, lorsqu’on a construit la tour Eiffel, il y a eu des manifestations à Paris de gens qui étaient contre ce projet…
Mais vous, vous sembliez sûr de l’assentiment de la population. Lors d’un conseil communal de 2011, vous disiez que vous n’auriez même pas besoin de passer par la procédure DAR…
Les gens qui sont contre ce projet ne constituent que 1 % des Montois. C’est vrai que le projet initial a évolué, mais pour de bonnes raisons. Plus nous regardions les plans, plus nous nous apercevions – enfin, la SNCB et l’architecte – que le seul moyen sérieux de construire cette gare était de la centrer avec la passerelle par rapport à la place Léopold.
2018 sera l’année des prochaines élections communales. Si la gare n’est pas terminée, cela ne risque-t-il pas de vous pénaliser ?
Cela n’a rien à voir ! C’est ridicule (il s’énerve) ! Construire une gare dure des années. Qu’est-ce que l’échéance électorale vient faire là-dedans ?
Cela n’aura aucune influence ?
Aucune. Les élections sont indépendantes du chantier. Personne n’a jamais demandé à la SNCB de se hâter pour des élections. En quoi la gare serait-elle un enjeu électoral ? Elle est un enjeu pour les générations futures, pas pour un scrutin.
Jacqueline Galant remet en question la politique des grandes gares. A la Chambre, elle s’est appesantie sur le chantier de Mons. Est-ce dirigé contre vous ?
J’espère que non. Il n’y a pas de raison. Madame Galant a une responsabilité nationale. Elle doit gérer les conséquences de la politique du gouvernement MR/N-VA qui a décidé de couper de manière drastique, excessive selon moi, dans les subventions de la SNCB. Mais les chantiers entamés doivent être terminés et ne pas souffrir d’une conjoncture politique.
Après le renversement de majorité à Lens, la commune d’Isabelle Galant, vous avez affirmé n’avoir subi aucune pression de sa soeur Jacqueline. Or, Laurence Lelong, du PS de Lens, nous a dit (Le Vif/L’Express du 1er mai dernier) avoir reçu des coups de téléphone de très hautes personnalités de son parti…
Oui, ça c’est autre chose. Je pense que la déstabilisation de la majorité à Lens n’était pas nécessaire. Cela relève de ma responsabilité politique de président de parti.
Vous avez donc personnellement contacté Laurence Lelong à ce sujet ?
Ecoutez, il s’agit d’affaires internes au Parti socialiste. Je ne vais pas vous révéler à qui je téléphone. Tout ce que je peux vous dire, c’est que, pour moi, il s’agit d’une affaire qui pouvait être conclue autrement. Maintenant, je respecte l’autonomie locale. C’est fait, c’est fait. Cela dit, qu’est-ce que Lens a à voir avec la gare de Mons ? Je ne vois aucun lien.
Sauf peut-être pour Jacqueline Galant, qui semblait très concernée par ce qui s’est passé à Lens.
Je peux le comprendre. Mais, je le répète, cela n’a rien à voir avec la gare de Mons.
Pour le MR, dont les positions sur de la gare de Mons sont différentes en fonction des niveaux de pouvoir, la situation ne vous paraît-elle pas schizophrénique ?
Je ne veux porter aucun jugement sur le MR à cet égard.
Tout de même, le MR montois soutient le projet depuis le début. Aujourd’hui, Jacqueline Galant remet en cause les gares pharaoniques comme celle de Mons.
Mais enfin ! Pourquoi pharaonique (il hausse la voix) ? Je suis outré qu’on utilise ce terme juste parce que c’est un grand architecte international qui dessine la future gare. Calatrava veut en faire une oeuvre originale. Pourquoi les Montois n’auraient-ils pas droit au beau ? Le projet montois répond à la conception des gares contemporaines, comme à Anvers ou à New York. Ces gares, construites pour cinquante à cent ans, sont des lieux de vie, indépendamment des trains. Ce ne sont pas que des boîtes à chaussures.
Santiago Calatrava est un architecte que vous appréciez particulièrement ?
S’il n’avait pas été retenu, on aurait travaillé avec un autre. Mais il est tout de même classé dans les dix meilleurs architectes contemporains. Il a des chantiers partout dans le monde, notamment à New York Ground Zero. Outre l’architecture, il est ingénieur, sculpteur et philosophe. C’est un artiste entier, comme Daniel Libeskind. Ces hommes sont tout à fait singuliers, ils dépassent le commun des mortels.
Calatrava est très controversé…
Oh oui, tous ses projets sont controversés, comme pour tous les grands artistes. Ce fut le cas du pont qu’il a conçu à Venise. Mais il a finalement gagné le procès que lui faisait la Cour des comptes italienne.
A Oviedo, en Espagne, il a été condamné à payer 3 millions d’euros pour l’effondrement des marches du palais des congrès.
Je ne connais pas cette affaire. De toute façon, le chantier de Mons n’a rien de pharaonique. Cela m’agace au plus haut point que l’on qualifie ainsi ce projet. Le directeur d’Eurogare, Monsieur Bourlard, est attentif à chaque budget, à chaque procédure de marché public. Il n’y a là rien de pharaonique.
76 000 euros pour une appli smartphone avec la gare en hologramme, 72 000 euros pour la rampe lumineuse de la passerelle provisoire, 36 000 euros pour une animation lumineuse… Ces dépenses d’Eurogare dans le cadre de Mons 2015, cela fait beaucoup d’argent, non ?
Où est le scandale ? Nous sommes tout de même capitale européenne de la culture ! Pourquoi, quand il s’agit de Mons, estime-t-on que c’est trop cher ? Qu’aurions-nous fait aux dieux pour ne pas mériter autant que les autres capitales de la culture ?
Le budget de la gare de Mons n’en paraît pas moins démesuré aux yeux de beaucoup : 253 millions d’euros. A Namur, c’est 32 millions, alors que la gare accueille deux fois plus de voyageurs.
Liège-Guillemins a coûté 500 millions d’euros. Et puis, pourquoi limiter la comparaison à la Wallonie ? La gare d’Anvers a coûté plus d’un milliard, soit quatre fois plus cher que ce que coûtera celle de Mons. A-t-on entendu des protestations sur ce qu’on a dépensé à Anvers ?
La gare de Mons est plus critiquée que les autres ?
C’est le moins qu’on puisse dire.
Pourquoi ? Parce que le bourgmestre s’appelle Elio Di Rupo ?
J’imagine que ça y contribue. Cela amuse un certain nombre de personnes. Mais il ne s’agit pas de la gare de Di Rupo. C’est la gare de la SNCB à Mons, ville dont Di Rupo est bourgmestre.
La politique des grandes gares date d’une autre époque. Depuis lors, la crise est passée par là…
Ah, non, arrêtez ! Le gouvernement MR – N-VA est passé par là. Il veut faire des économies sur l’entreprise publique au nom d’une idéologie. Mon gouvernement a demandé des efforts à la SNCB, mais c’était des efforts mesurés. Ce sont des choix politiques.
Propos recueillis par Thierry Denoël
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