» J’aime bien être d’accord avec moi «
Acteur, humoriste, chanteur… François Morel est devenu un personnage culte pour toute une génération après sa participation à l’émission de Canal+ Les Deschiens, de Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff. Depuis ce succès, le répertoire de François Morel s’est encore étoffé. Il a entamé une carrière de chanteur avec son spectacle Collection particulière ; il a joué dans plusieurs films grand public (La Nouvelle Guerre des boutons, de Christophe Barratier) ou plus intimistes (Gainsbourg, vie héroïque, de Joann Sfar, HH, Hitler à Hollywood du Belge Frédéric Sojcher) et il a triomphé ce printemps dans la pièce de Molière Le Bourgeois Gentilhomme, au théâtre de la Porte-Saint-Martin, à Paris. Le goût des mots, le goût des autres, François Morel l’exerce aussi à la radio sur France Inter tous les vendredis, en compagnie de l’humoriste Sophia Aram. François Hollande et Valérie Trierweiler l’ont appris à leurs dépens lors d’une récente chronique sur la fameuse » affaire du tweet « …
Le Vif/L’Express : Vous êtes né à Flers, dans l’Orne, mais vous avez grandi à Saint-Georges-des-Groseillers. Voilà un nom qui ouvre la porte à la poésieà
François Morel : C’est un endroit où il ne se passe pas grand-chose. D’où une capacité certaine à y rêver et à s’y ennuyer. J’y suis resté jusqu’à mes 17 ans. Lorsque j’y repense, je me dis que les années d’enfance sont vraiment très formatrices. Gamin, j’ai vu Le Bourgeois Gentilhomme, avec Louis Seigner. Ce fut un choc. A Saint-Georges, j’ai aussi vu un diseur appelé Jean-François Panet. Sur scène, il mêlait des textes de Robert Lamoureux avec des poèmes de Jean Tardieu et d’Obaldia. J’avais 14 ans. Ce soir-là, je me suis dit que je voulais faire comme lui. Depuis, tout ce que j’entreprends n’est jamais très loin de cette soirée, qui mariait la fantaisie et la poésie. Pas de mépris, pas d’a priori. Un heureux mélange des genres. Un souffle populaire, dans le bon sens du terme. Je connais plein de poèmes par c£ur et j’ai l’impression de les avoir entendus là. Comme La Complainte de l’homme exigeant, de Jean Tardieu : » Au milieu de la nuit, il demandait le soleilà »
Dans votre spectacle Les Habits du dimanche, vous dites : » J’aurais pu être acrobate, n’importe quoi sauf adulte. » Pourquoi ?
J’écoutais beaucoup de chansons, comme celle de Brel : » Il nous fallut bien du talent pour être vieux sans être adultes. » Dans ma mythologie, être adulte, c’était renoncer à certains rêves de jeunesse. Rêves que je vis aujourd’hui.
A chaque réponse vous allez citer un poème ou une chanson ?
Ne vous inquiétez pas, il m’arrivera de sécher.
D’où vous vient ce goût des mots ?
J’adorais écrire des rédactions et chercher des mots compliqués dans le dictionnaire. Si je pouvais placer un » dithyrambique » ou un » oxymore « , j’étais content. Aujourd’hui, moins. Il vaut mieux que les mots soient compréhensibles par tout le monde. Et donc trouver le mot juste.
» Oxymore » peut être le mot justeà
Juste. Ce goût des mots vient de Brassens. Par exemple, je ne connaissais pas le mot » callipyge » avant d’écouter Vénus callipyge. Il y a eu aussi Queneau, Marcel Aymé, Alexandre Vialatte, Jules Renard. Depuis que je les connais, j’écris à l’oreille.
Si on regarde votre carrière, l’évolution a été assezà
Lente !
Lente, dans le sens galère ?
Non, jamais. Mais si je me retourne, oui, je trouve que ça a été assez lent.
Est-ce un trait de votre caractère ?
Je suis un peu diesel, c’est vrai. J’évite de marcher sur les pieds des autres, je n’ai pas d’ambition démesurée.
Vous êtes donc très cohérent.
Trop, non ? C’est énervant. Au théâtre, tout s’est bien passé, je trouve. Mais si j’avais voulu construire une carrière au cinéma, j’aurais dû dégainer plus vite. Cela dit, mes rêves existaient davantage sur la scène. J’ai aussi toujours eu le sentiment qu’être au second plan serait l’histoire de ma vie. Je savais que mon physique n’allait pas me propulser immédiatement sur le devant de la scène. Mais je savais aussi être un vin de garde.
Un vin de garde plus fruité que robusteà
Je pense être assez robuste tout de même. Il faut l’être pour durer dans ce métier. J’ai mis beaucoup de temps à me dire que j’étais fait pour la scène, je trouvais cette posture trop audacieuse. Je ne me sentais pas prêt. Tout a vraiment commencé lorsque j’ai travaillé avec Jérôme Deschamps. Je me suis rendu compte que je participais à des spectacles que je serais allé voir si j’étais spectateur. Je rejoignais le désir et la réalité. Ecrire à Jérôme Deschamps mon envie d’appartenir à sa troupe a été mon acte fondateur. Je me sentais acteur comique, mais le comique n’était pas très bien considéré dans le théâtre qui pense. Jérôme, lui, avait l’exigence du théâtre et n’hésitait pas à être drôle. Mine de rien, c’était polémique. Des spectateurs partaient. L’aventure a duré une grosse dizaine d’années. Le souvenir est ambivalent : le bonheur de participer à des spectacles formidables, d’un côté ; de l’autre, le sentiment d’être dans un carcan et de ne pas m’exprimer totalement. Mais, bon, c’était confortable.
Et puis, il y a eu la période Deschiens, sur Canal +.
On se lançait le matin, on improvisait toute la journée et j’aurais bien été incapable de dire ce qu’on avait raconté.
Dans ces années 1990, les Deschiens et les Nuls ont, chacun à leur manière, dépoussiéré l’humour. Comment l’analysez-vous ?
Mmmouaisà Je réfléchis, pardon. On avait le sentiment d’être en rupture avec ce qui se faisait. Un truc brut, ancré sur la vie. On se moquait de tout le monde. Il serait condescendant de dire qu’on n’a pas le droit de se moquer des pauvres ou des homos. Le rire est libérateur. Il n’y avait aucun mépris. Et puis les Deschiens sont morts de leur belle mort. Il faut savoir passer à autre chose. Je voulais être comédien et me retrouver dans les bras d’Ornella Muti.
Ce qui vous est arrivé dans Un couple épatant, de Lucas Belvaux. Et alors ?
Ses bras sont accueillants. Mais je vous rassure : quand on embrasse Ornella Muti, même sur la bouche, devant une équipe de 30 personnes, c’est moins excitant que dans l’intimité. J’ai juste demandé au réalisateur de continuer à tourner, mais je n’étais pas si fier que çaà
Si on vous définit comme touche-à-tout sympathique, vous prenez ?
Oui, je prends. Touche-à-tout, c’est mal vu mais c’est ce que j’aime faire. C’est ma force et ma faiblesse.
C’est aussi ce que dit Alain Delon quand on lui demande s’il n’en a pas marre de jouer des rôles de vrais mecsà
J’ai une anecdote sur lui, rapportée par Anne Bourgeois, que j’ai rencontrée lorsqu’elle mettait en scène Les Diablogues. Elle était avec Delon et me voit passer. On ne se connaissait pas à l’époque et elle dit à Delon qu’elle m’aimait beaucoup. Et lui de répondre : » Vous êtes avec Alain Delon et vous me dites que vous adorez François Morel ! » C’est drôle, non ?
Revenons au touche-à-toutà
On peut me définir ainsi depuis que je passe à France Inter, comme chroniqueur, le vendredi matin, car c’est un exercice vraiment à part. J’aime être sur scène et j’aime écrire. Conséquence : je fais du théâtre et de la radio.
Qu’est-ce qui vous pousse à passer de l’un à l’autre ?
Les échecs successifsà Plus sérieusement : l’envie, la curiosité. Si personne ne me faisait travailler, je continuerais à jouer mes propres textes. J’ai heureusement la chance que Catherine Hiegel m’ait proposé Le Bourgeois Gentilhomme (au théâtre de la Porte-Saint-Martin à Paris) . Je ne suis plus un perdreau de l’année et je me suis dit que je pouvais le jouer aujourd’hui. J’apprécie la vie quand elle est surprenante. Sur le plan personnel, je préfère les longues histoires, donc j’aime quand ça bouge sur le plan professionnel. Je ne refais pas ma vie sentimentale tous les trois ans.
C’est une information. La routine d’un côté, la surprise de l’autre.
Ce n’est pas la routine, c’est la construction.
Revenons à ce Bourgeoisà, qui a un succès fou. Ce qui a semblé vous surprendre ?
J’avais peur d’être ridicule. Et que ma petite notoriété soit insuffisante pour remplir la salle. Mais Molière + Hiegel + moi, ça a l’air d’être cohérent. J’aime que le bon théâtre soit populaire. C’est un spectacle intelligent, généreux, bien pensé. Je peux continuer à faire le touche-à-tout sympathique sans énerver les gens.
Vous savez donc maintenant que votre notoriété est importanteà
C’est plaisant. Et encourageant. Mais je suis dans le mouvement, pas dans la contemplation de moi. Quand j’écris une chronique radio, par exemple, je suis content quand elle fait débat ou quand elle suscite de la polémique mais, une fois qu’elle est finie, je pense à la suivante.
Ces chroniques du vendredi sont devenues un rendez-vousà
J’ai même été plusieurs fois cité dans Le Monde comme faisant partie du débat public. Ce qui m’a fait plaisir. J’ai beau être touche-à-tout sympathique, comme vous dites, j’essaie d’être exigeant. Je vise haut, en fait. Quand je pense chronique, je tends plus vers Vialatte que vers Lagaf’. L’exercice me permet aussi de savoir ce que je pense sur tel ou tel sujet. J’aime bien être d’accord avec moi. Aragon disait : » Je ne sais penser qu’un stylo à la main. » C’est pas mal, non ?
Vous êtes de gauche. Prendre position, est-ce quelque chose qui s’assume facilement ?
Je ne pense pas l’avoir déjà dit.
Ça clignote un peu de partout dans vos chroniques, quand même !… Vous démentez ?
Non, mais je fais attention à ne pas braquer les gens qui ne voteraient pas comme moi. C’est même ainsi que j’avais envisagé les choses au début de cet exercice à la radio. Je voulais être désarmant d’humour, de gentillesse et d’incongruité plutôt que d’être dans le militantisme forcené. Je dis cela et, en même temps, j’ai des accès de colère et des » ferme ta gueule » extrêmement agressifs et frontaux. Je dois avoir une mauvaise maîtrise de mon instrument. Mais j’aime surprendre. Au risque de décevoir l’auditoire. Comme lorsque j’ai défendu le terme » mademoiselle « .
Le principe du » ferme ta gueule » où, comme un cri du c£ur, vous attaquez une personnalité, il s’entend plus fortement que l' » enculé » de Didier Porte adressé au président de la Républiqueà
Il faut compter sur la musicalité du texte. En étant prétentieux, même quand j’insulte, j’essaie de le faire avec style. J’avais écrit un » ferme ta gueule » sur Luc Ferry lorsqu’il avait dénoncé les prétendus agissements d’un ministre dans une affaire de pédophilie au Maroc. C’était effectivement un cri du c£ur. J’en ai ensuite écrit un sur Nadine Morano. Je n’ai pas mesuré l’agressivité du truc. Je ne regrette pas, mais je ne m’attendais pas à ce que cette chronique ait autant d’effet.
Et vous pourriez lancer : » Ferme ta gueule, François Hollande » ?
S’il dit une connerie, oui. J’ai une sensibilité de gauche mais je ne suis pas encarté. Je prends la parole parce qu’on me la donne, qu’on me paie pour ça, et je trouve très agréable de pouvoir dire ce que je pense. Mais je n’appellerais jamais à voter pour quelqu’un. Ce n’est pas le rôle d’un artiste. Qui serais-je pour conseiller aux gens de voter comme moi ? Donner son avis, c’est déjà bien.
Peut-on rire de tout ?
Oui, quand ce n’est pas sous-tendu par une mauvaise pensée.
La réponse est toujours restrictive : oui, maisà Mais pas avec tout le monde, mais pas tout le tempsà
Bon alors, on peut rire de tout, mais on n’est pas obligé.
PROPOS RECUEILLIS PAR ERIC LIBIOT
» J’ai mis du temps à me dire que j’étais fait pour la scène, je trouvais cette posture trop audacieuse «
» En étant prétentieux, même quand j’insulte, j’essaie de le faire avec style «
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