Into the wild
Avec Le Grand Jeu, Céline Minard signe un survival montagnard sec et puissant.
C’est peu dire que Céline Minard, 47 ans, détonne dans le paysage littéraire français – celui, en tout cas, qui aime poser des étiquettes. Après, par exemple, le récit d’anticipation (Le Dernier Monde), le roman de sabre moyenâgeux et féministe (Bastard Battle) ou le fantasme de western américain (Faillir être flingué), la romancière franc-tireuse s’aventure cette fois en haute altitude, se hissant de facto ailleurs – un peu comme si elle regardait le reste de la mêlée (ses camarades de la rentrée littéraire, en premier lieu) s’agiter en bas.
Le Grand Jeu est l’histoire d’une narratrice sans histoire et sans nom, silhouette volontariste que Céline Minard se contente de doter d’un plan extravagant : gagner, seule et semble-t-il sans retour, les cimes d’un massif montagneux pour y vivre en ermite, à 3 000 mètres d’altitude (elle habitera un tonneau agrippé à la falaise, doté de hublots et d’une vue à pic sur la vallée). Son but ? Jouer à se mettre hors jeu de la société des hommes. Equipée planifiée, autarcique et raisonnée, le projet de villégiature radicale – être un corps dans l’espace – s’accompagne de la tenue d’un genre de journal (le compte précis des jours et les gémissements romantiques en moins) qui est le livre que le lecteur tient entre les mains.
A la célébration vitaliste et enivrante des grands espaces (moteur de tout ce courant, essentiellement américain, qu’on appelle nature writing), Le Grand Jeu préfère le genre plus âpre (et plus théorique) du survival métaphysique, interrogeant, entre détresse et endurance, l’idée de société. Avec aussi quelques moments de fulgurance poétique alcoolisée et des plages descriptives dans lesquelles s’engouffre violemment la beauté (ces pages puissantes sur la préparation à l’hiver, le déferlement d’un orage nocturne ou les déplacements d’air), le livre invite à une forme d’apaisement sur ce qu’habiter le monde sauvage veut dire. » Il n’y a aucune stabilité, nulle part, l’activité est constante et contrairement à celle des mégapoles, elle n’a aucun rapport avec nous. Ce monde n’est pas fait pour nous, et c’est un immense soulagement. Il n’est pas fait pour nous : on peut donc y vivre – si on y parvient. » Minéral et perçant, Le Grand Jeu est un texte au haut pouvoir nettoyant, qui propose au final cette chose rare : l’expérience d’une forme de pureté.
Le Grand Jeu, par Céline Minard, éd. Rivages, 192 p.
YSALINE PARISIS
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