Inondations, un an après : l’indispensable changement de décor pour la reconstruction
Les inondations de juillet 2021 ont mis en lumière les faiblesses d’un territoire peu résilient face aux catastrophes naturelles. Où et comment (re)construire ? Que faire des zones inondables ? Particulièrement touché, le bassin versant de la Vesdre livre ses premières réponses.
« L’effet de serre accentuera les deux extrêmes du cycle hydrologique, c’est-à-dire qu’il y aura plus d’épisodes de pluies extrêmement abondantes et plus de sécheresses prononcées.» Tirée du premier rapport du Giec (le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), cette phrase a trente-deux ans. Les inondations que la Wallonie a subies l’été dernier étaient, certes, inédites par leur ampleur. Mais certainement pas inconcevables, si l’on se réfère à la probabilité croissante et annoncée de connaître de telles catastrophes naturelles. «A travers huit modèles basés sur les enseignements du Giec, les simulations des climatologues montrent que l’on risque de revivre un voire deux événements pluvieux similaires d’ici à 2050, souligne Joël Privot, architecte et urbaniste à l’ULiège. Il y a urgence à mener une réflexion à l’échelle de nos bassins versants.»
« On ne pourra pas évacuer toute la population vivant dans les fonds de vallée. Mais par endroits, il faudra bien préconiser des interventions sur le bâti. »
Les habitants comme les experts n’auront jamais d’autre choix que de composer avec l’imprévisibilité. Au hasard des nuages et des quantités de précipitations, une même zone peut réagir d’une manière totalement différente d’un épisode à l’autre. Mais la résilience territoriale, l’une des pierres angulaires de l’adaptation aux changements climatiques, sera cruciale pour éviter le scénario du pire. Elle suppose de revoir l’affectation de certains espaces verts, de limiter l’artificialisation croissante des sols ou encore d’élargir le lit des cours d’eau par endroits. Bref, de composer avec les aléas de la nature, plutôt que de chercher vainement – et coûteusement – à la modeler.
Chaudfontaine, Trooz, Olne, Pepinster, Verviers, Eupen… De toutes les régions touchées par la catastrophe, c’est la vallée de la Vesdre qui a connu le plus lourd bilan humain – 24 morts sur les 39. Le Service public de Wallonie y a par ailleurs recensé près de 21 000 bâtiments abîmés ou démolis. En février dernier, le ministre wallon de l’Aménagement du territoire, Willy Borsus, a de ce fait mandaté le consortium Paola Vigano – ULiège afin de réaliser un schéma stratégique à l’échelle de ce bassin versant, d’une superficie de 700 kilomètres carrés. «Nous avons d’abord réalisé un diagnostic de tout ce qui a posé problème, au terme duquel le cabinet Paola Vigano a cartographié tous les potentiels, poursuit Joël Privot, membre de l’équipe de l’ULiège. A présent, la question est de savoir lesquels il faut activer.»
Plusieurs leviers face aux inondations
Ces potentiels constituent en effet l’ensemble des leviers que la Wallonie et les communes pourraient utiliser afin de minimiser les conséquences de précipitations extrêmes à l’avenir. «Par exemple, si on estime qu’il y a un potentiel dans la réactivation des tourbières par la suppression d’épicéas, c’est la Région wallonne qui devra négocier avec les propriétaires des zones concernées», précise l’urbaniste. Une certitude, confirmée par le diagnostic: le bassin versant de la Vesdre ne dispose pas de ressources assez fortes pour miser sur une solution unique. Ainsi, se contenter de construire des barrages ne serait pas suffisant, pas plus que se limiter à réactiver les tourbières ou à revoir les seules pratiques agricoles et forestières. «Il y a plein de petits leviers diffus et simultanés», résume Joël Privot. La résilience future de la vallée de la Vesdre passera donc par l’addition de plusieurs stratégies.
« Si une commune est confrontée à des inondations après avoir fait fi des recommandations, elle s’expose à des poursuites au civil. »
Logiquement, la réflexion intègre le bâti futur et existant. Où (re)construire, compte tenu des risques d’inondations? «L’urbanisation de fond de vallée s’est développée dès 1800 environ, puis elle a gagné les plateaux dans les années 1950 et 1960, retrace-t-il. Il est évident que l’on ne va pas pouvoir évacuer toute la population vivant dans les fonds de vallée. Cela n’aurait pas de sens: où mettrait-on ces dizaines de milliers de personnes? Les déplacer vers les plateaux reviendrait à accroître l’artificialisation et les ruissellements d’eau. Mais par endroits, il faudra sans doute préconiser des interventions sur le bâti.»
La délicate mission visant à identifier les bâtiments précis à raser, notamment en vue d’aménager des zones d’expansion des cours d’eau, n’incombe pas à l’équipe du plan stratégique, mais plutôt au programme de (re)développement de quartiers durables. Celui-ci doit identifier les pistes de solution à l’échelle de onze quartiers dans les neuf communes les plus sinistrées de Wallonie. Comme ces deux projets menés en parallèle n’ont pas de valeur légale, rien ne contraint les communes à s’y conformer. «En revanche, notre plan stratégique a plus qu’une valeur morale, souligne Joël Privot. Cela veut dire que si une commune est confrontée à des inondations après avoir fait fi des recommandations, elle s’expose à des poursuites au civil, pour ne pas avoir agi en faisant preuve de bon sens. Avec le plan stratégique et le programme des quartiers durables, plus personne ne pourra dire: “Je ne savais pas.”.»
Si elle est mise en œuvre avec ambition, la résilience territoriale se traduira par un changement de décor significatif de certains lieux de vie. «A Verviers, par exemple, nos collègues travaillant sur le masterplan proposent de laisser plus de place à la rivière en supprimant de grands parkings dans le centre, de changer totalement la physionomie des berges et de créer des parcs urbains susceptibles de jouer ponctuellement le rôle de zones submersibles», conclut Joël Privot. Loin d’être l’apanage des experts, cette réflexion associe les habitants concernés, appelés dans les prochains mois à faire part de leurs propositions avant la finalisation du schéma stratégique du bassin versant de la Vesdre, prévue pour janvier 2023. A terme, le défi wallon sera de reproduire ce travail inédit dans chacun des 25 bassins versants du sud du pays.
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