Hébron, capitale de l’absurde

Dans cette grande ville du sud de la Cisjordanie, quelque 150 000 Palestiniens vivent tout près de 600 colons juifs, barricadés sous la protection de 2 500 soldats israéliens. Autant dire que la cohabitation n’est pas harmonieuse entre les Arabes et ces ultrareligieux souvent fanatiques et violents, qui s’érigent en gardiens des lieux sacrés du judaïsme. Bienvenue à  » H2 « , zone de non-droit

Yehonatan Menachem saisit son livre de prières et court rejoindre trois amis qui l’attendent à la sortie de la colonie juive de Kiryat Arba, fondée en 1971 aux abords de la ville d’Hébron (al-Khalil, en arabe), dans le sud de la Cisjordanie. Prier, le jour du shabbat, au tombeau des Patriarches, dans le centre d’Hébron, est devenu pour ces jeunes de 14 ans un véritable rituel, mais surtout une attitude hautement politique. Pomme de discorde entre les colons israéliens et les Palestiniens, le tombeau des Patriarches est érigé à l’endroit où, selon la Bible, Abraham s’est installé pour la première fois sur la terre d’Israël et où il fut enterré avec sa femme, Sara, et ses enfants. C’est donc un lieu saint revendiqué par les trois religions du Livre.

Yehonatan et ses amis doivent emprunter une route bordée de maisons palestiniennes avant de rejoindre le centre d’Hébron.  » Cette route est assez dangereuse. Plusieurs membres influents de la communauté essaient maintenant de la sécuriser, mais les Arabes ne veulent pas partir, alors ça prend du temps.  »

Mosquée et synagogue côte à côte

Arrivé au tombeau des Patriarches, Yehonatan se dirige directement vers la salle où se trouve le mausolée d’Abraham, protégé par une lourde grille en fer forgé. A quelques mètres de là, à l’autre extrémité de la tombe, Mohammed Salhab récite une sourate du Coran. Le tombeau des Patriarches abrite, à la fois, une synagogue et une mosquée, séparées l’une de l’autre par un épais mur de béton. Le lieu est ainsi divisé depuis le 25 février 1994, quand Baruch Goldstein, un juif extrémiste originaire de Kiryat Arba, a tiré à l’arme automatique sur la foule en prière, tuant 29 Palestiniens et en blessant 125.

La prière terminée, Mohammed franchit les portiques détecteurs de métaux et les contrôles militaires qui séparent la mosquée d’Abraham de la vieille ville d’Hébron. Les rues étroites de la médina arabe sont quasi désertes. Les souks de naguère, hauts en couleur et aux parfums d’épices, ont cédé la place à de lourdes portes en acier verrouillées par de solides cadenas, et sur lesquelles ont été placardés des posters commémorant les martyrs palestiniens.

Seul lieu où des colons israéliens se sont installés au c£ur même d’une cité palestinienne, la ville d’Hébron a également été divisée en deux zones aux statuts différents. Elles ont été définies par le protocole d’Hébron, signé en 1997 dans le cadre des accords d’Oslo. La zone H1, passée sous le contrôle de l’Autorité palestinienne en janvier 1997, est habitée par 120 000 Palestiniens. La zone H2, où se trouve le centre économique, historique et religieux de la ville, reste soumise à l’autorité militaire israélienne. Quelque 45 000 Palestiniens et 600 colons israéliens y résident. Ces derniers sont en grande majorité des nationalistes ultrareligieux, répartis en quatre quartiers  » bunkers  » : Avraham Avinou, Beit Romano, Beit Hadassah et Tel Roumeida.

Projectiles à la récré

2500 soldats israéliens sont chargés de protéger les colons. Pour que ces derniers puissent circuler librement et en sécurité, de nombreuses rues de la vieille ville ont été barrées par de hauts grillages et un mur qui empêchent l’accès des Palestiniens aux quartiers où résident les colons. 850 magasins palestiniens situés dans les rues avoisinantes ont été forcés de fermer leurs portes, et leurs propriétaires se sont exilés dans la zone de H1.

 » Nous avons des problèmes avec les colons tous les jours « , s’indigne Nabil Al-Halabi, marchand de la vieille ville.  » Il y a une école dans la colonie, ici, au-dessus de mon magasin. A chaque récréation, nous sommes la cible de projectiles en tout genre. En général, ce sont des pierres ou des bidons vides, mais parfois ils lancent aussi de l’eau chlorée.  » Certains tronçons de cette rue ont d’ailleurs été couverts de grillages, où s’amoncellent toutes sortes de détritus provenant des maisons qui la dominent.

Ces logements font partie du quartier de Beit Hadassah, premier foyer juif établi en 1980, au sein même de la ville d’Hébron.  » Une nuit, un groupe de femmes et d’enfants ont investi l’une des maisons du quartier, au nez et à la barbe des soldats stationnés aux alentours « , se souvient Chaya Weissfisch, l’une des pionnières de la communauté juive d’Hébron. Malgré les tentatives du gouvernement israélien pour les déloger, les colons ont eu gain de cause lorsque six religieux juifs furent tués dans une embuscade par des Palestiniens. Le Premier ministre de l’époque, Menahem Begin, a alors autorisé les maris à rejoindre leurs familles et à s’installer définitivement.

La vie en cage

 » Depuis, d’autres familles sont venues s’installer dans les environs, reprend Chaya Weissfisch. J’espère qu’Hébron pourra un jour s’étendre comme Jérusalem.  » Entendant les propos tenus par sa mère, Tzipi Schniersen ajoute sèchement :  » Ça ne se fera sûrement pas avec Ehud Olmert ! Ces laïques au pouvoir sont prêts à donner aux Arabes tout ce pour quoi nous nous sommes battus.  » A deux reprises, Tzipi Schniersen et sa famille ont été évacués, manu militari, des maisons qu’ils occupaient près de la vieille ville.

Mohammed Salhab, qui habite à quelques mètres des maisons évacuées, ne croit pas une seconde à l’éventualité d’un retrait israélien. Selon lui, la valeur symbolique et religieuse d’Hébron, mais aussi la complexité de l’enchevêtrement des zones de H1 et H2, ne le permettront jamais.  » Ma famille et moi vivons véritablement barricadés, raconte-t-il, résigné. Nous avons dû condamner la plupart de nos fenêtres pour éviter les projectiles des colons. Et je ne sors jamais après 22 heures, de peur que l’armée ne m’arrête.  »

Des associations palestiniennes, tel le Comité de réhabilitation, restaurent les maisons de la vieille ville et offrent l’eau, l’électricité et quelques sacs de farine aux familles qui acceptent de vivre dans ce quartier . Malgré cela, Mohammed reconnaît que, s’il en avait les moyens, il aurait depuis longtemps quitté la zone de H2.  » Notre sécurité finira par passer avant la cause palestinienne.  » l `

Photos : Cédric Gerbehaye – Texte : Eve Sabbagh.

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