Groupe de criminels ?
J’aurais voulu pouvoir dire le plus grand bien de la visite, dimanche 28 mai, de Benoît XVI au camp d’extermination d’Auschwitz-Bir- kenau. J’aurais voulu pouvoir applaudir à cette première prière d’un pape allemand devant le mémorial du camp, dans laquelle il osa, à la différence de ses prédécesseurs, prononcer le mot » Shoah » pour désigner le génocide des juifs, en reconnaître la spécificité et vanter le » Dieu de raison « .
Mais cela ne m’est pas possible. D’abord, parce que ce pape, comme son prédécesseur, a osé, en violation de tout ce qu’enseigne l’Histoire, affirmer que la moitié des victimes de la Shoah étaient mortes parce qu’elles étaient polonaises et non parce qu’elles étaient juives. Ensuite, parce qu’il a affirmé qu’en » anéantissant » le peuple juif le IIIe Reich voulait arracher » les racines sur lesquelles se fonde le christianisme « , comme si le christianisme était la véritable cible de la folie nazie.
Ensuite encore, parce qu’il ne s’est interrogé que sur le silence de Dieu ( » Pourquoi, Seigneur, êtes-vous resté silencieux ? Comment avez-vous pu tolérer tout cela ? « ). Sans rien dire du silence des démocraties qui refusèrent, en juillet 1938, à la conférence d’Evian, l’offre de Hitler de leur envoyer tous les juifs allemands, qui auraient été ainsi épargnés ; ni du silence de l’Eglise, qui ne condamna jamais Hitler, n’envisagea jamais son excommunication et qui, sous prétexte de protéger les catholiques d’Allemagne, laissa mourir des millions de juifs.
Enfin, et surtout, parce que le premier pape allemand a osé affirmer que la Shoah était l’affaire d' » un groupe de criminels » qui avaient » abusé » le peuple allemand pour s’en servir » comme instrument de leur soif de destruction et de domination « . Cette thèse, qui exonère ce peuple de sa responsabilité pour en faire une victime du nazisme, n’est plus défendue par aucun historien. Tous reconnaissent que l’antisémitisme est profondément inscrit dans l’histoire allemande ; que les électeurs connaissaient les projets d’extermination de Hitler lorsqu’ils l’ont porté démocratiquement au pouvoir ; qu’ils ont ensuite très massivement approuvé les mesures antisémites appliquées de 1933 à 1938 ; et que l’immense majorité des juifs assassinés l’ont été par les armes individuelles des soldats et des gendarmes allemands, entre 1940 et 1942, et non par les usines de mort nazies, mises en place ensuite.
Combien de temps faudra-t-il encore aux Eglises pour reconnaître que leur plus haute mission est d’aider l’homme à se débarrasser du désir de faire le mal, qui sourd en chacun de nous ? l
jacques attali
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