GARE À LA TENAILLE !
C’est de Paul Valery dans le texte mais c’aurait pu être de Mathusalem, Néfertiti, Staline ou Juncker : » La politique est l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde. » A cet égard, la frondedu parlement wallon contre le Ceta aura été jubilatoire pour deux raisons. Elle aura d’abord permis d’offrir au monde, pantois, une neuvième merveille : le compromis à la belge, ce tour de passe-passe arachnéen, futé, bluffant et impénétrable. Le » non mais » sudiste aura surtout permis de briser les pratiques obscures des têtes d’oeuf de la Commission. Même Lutgen, le président de l’aimable CDH, s’en est arraché les gonds (il y a des voix à ne plus perdre…), les qualifiant de » délinquants politiques « . Prenez ça dans la truffe, mes Lords, et espérons, au passage, que cela déteindra… sur les pratiques belgo-belges…
Pour cette raison formidablement oxygénante, on aurait aimé qu’adversaires etpartisans du grand négoce transatlantique se réjouissent de la ruade des Wallons. Inimaginable ? Pourtant, il est bon, sain et bêtement naturel que les élus de la nation (des Régions et Communautés…) se mêlent, comme le prévoit la Constitution, de ce qui nous regarde plutôt que de faire entendre à nos oreilles le chant de leurs reflux gastriques comme s’il s’agissait d’arguments idéologiques. Puis de décider de l’essentiel, comme l’Europe, en tapinois.
Charles Michel aurait dû justifier ce sursaut démocratique à la face du monde. Las, on l’a entendu dénoncer la » radicalisation » des Wallons. Tiens : le chef du gouvernement fédéral ne serait pas le Premier ministre de tout le monde ? Et son parti n’aurait pas voté la réforme de l’article 167 de la Constitution en 1993 ? Quoi ! Ce fin politique qui tourne toujours dix-sept fois (disette, écrivait malicieusement Boris Vian) sa langue dans la bouche, lui l’homme le plus millimétré, le plus calibré, le plus contrôlé qui soit, userait par hasard d’un mot aussi lourd de sens, de menace et de mépris en cette année de tueries aveugles ? Dit crûment, Michel a fait honte à sa fonction de garant des institutions.
Evidemment à la parade comme l’oiseau lyre (il y a des voix à récupérer à gauche…), Di Rupo, quant à lui, aurait pu nous renseigner utilement sur les auteurs et surtout la nature des » pressions invraisemblables » subies par » Magnette et lui-même » dans les marchandages avec Kafka Europa. Dit (toujours en passant…), on espère que le président à vie du PS aura les mêmes exigences de clarté et de transparence dans les affaires moins excitantes du pays. Et… sa propre succession. Par contre, on s’empressera de rire (à défaut d’en hurler) des déclarations de la N-VA pour qui, comme toujours, la Wallonie » fait honte à la Flandre, à la Belgique, à l’Europe et au Canada « . Honte ? C’est grande joie d’entendre des séparatistes s’inquiéter d’un pays qu’ils tiennent déjà pour mort, au point d’envisager au grand jour une alliance avec les néofascistes du Vlaams Blok/Belang pour donner le coup de grâce au royaume (1).
C’est donc plié ? Oh non. Mais au risque d’être pris en tenaille entre des nationalistes méprisants, boulimiques, prêts à toutes les aventures pour décrocher une patrie et des euro-technocrates déconnectés du réel, cherchant de façon chafouine et autoritaire à se refaire une légitimité, il faudra assurément fronder de façon plus convaincante, plus musclée et plus crédible que ces dernières semaines.
(1) www.bit.ly/2ehDGhr
Journaliste et écrivain
luc delfosse
On aurait aimé que les adversaires autant que les partisans du grand négoce transatlantique se réjouissent de la ruade des Wallons
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