Faut-il jeter votre facture de télédistribution?

Techniquement, rien ne vous empêcherait de regarder la télévision sur Internet. De plus en plus le font d’ailleurs déjà, au bureau ou sur leur tablette. Sur YouTube ou ailleurs. Est-ce la mort programmée du modèle de télédistribution actuel ?

Une vingtaine d’euros par mois. C’est ce que paient une majorité de Belges chaque mois pour accéder à la TV numérique (location du décodeur incluse). Certes, la facture se fait proportionnellement plus douce si on ajoute à la TV, l’Internet et la téléphonie dans l’un des nombreux  » packs « . Mais au final, le consommateur peut aussi se dire qu’il paie trois fois pour l’utilisation d’un même câble, qu’il soit ADSL ou coaxial. Pourrait-il faire l’économie du poste  » télédistribution  » ? Théoriquement, oui. Aux Etats-Unis, le temps passé devant la TV stagne, alors que celui consacré à regarder des films ou des vidéos sur Internet a augmenté de plus de 30 %. Le dernier livre vert de la Commission européenne sur le paysage audiovisuel nous apprend que plus de la moitié des foyers de l’UE devraient être équipés de télévisions directement connectables à l’Internet (smart TV ou web TV) d’ici 2016, avec par conséquent une explosion des services de vidéo à la demande (VOD). Au profit des opérateurs existants, qui proposent désormais tous un catalogue de films à la demande, mais aussi, et surtout, de nouveaux entrants. On dénombre déjà plus de 300 fournisseurs de services VOD dans l’UE, misant sur une convergence entre la TV et l’Internet. La distribution de contenus directement sur l’Internet se limite pour l’heure essentiellement à des films mais rien n’empêche de nouveaux acteurs dits  » over the top  » (OTT) de signer des accords avec des chaînes de TV linéaires. En Flandre, WeePeeTV permet par exemple de regarder la VRT ou la BBC directement sur le Web. Aux Etats-Unis, le géant du streaming légal sur le Web Netflix a secoué le landerneau médiatique il y a quelques mois en produisant lui-même la série à succès House of Cards.

Les chaînes hyperprudentes

Et chez vous ? A l’exception de quelques sites de VOD comme DVDPost ou UniversCiné, la concurrence pour Belgacom et Voo est pour le moins amorphe. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel nous a confirmé qu’il n’y avait pas eu la moindre déclaration de nouveaux acteurs ces derniers mois. La petitesse et la complexité du marché belge, multilingue de surcroît, n’en fait qu’une proie secondaire pour des géants américains style Netflix. Le marché est en outre bien verrouillé tant par les câblo-opérateurs, qui rechignent dans la pratique à ouvrir leurs réseaux à la concurrence (alors que la loi les y oblige pourtant), que des chaînes elles-mêmes qui, échaudées par le recul des recettes publicitaires, n’explorent les nouveaux modes de diffusion qu’avec une prudence de Sioux. En Flandre, la convergence entre le Web et la TV a pris une tournure plus concrète avec le lancement par les principales chaînes de la plateforme Stievie permettant de regarder la TV (en direct ou en différé) sur une tablette ou un smartphone. Soit à peu près ce que proposent déjà Belgacom, Voo ou Telenet avec leurs offres TV Partout, VooMotion ou Yelo, sauf qu’il ne faut pas être abonné à un  » pack « , mais qu’il faut tout de même une connexion Internet (sans fil). Ce mélange des genres crée un climat de suspicion, notamment du côté des annonceurs, car si la TV sur Internet offre de nouvelles possibilités d’interaction, elle permet aussi de  » sauter  » les pubs.

L’Internet ouvre en fait la porte à une consommation télévisuelle à la carte, plus active. On ne paierait plus que pour ce que l’on regarde réellement. Une mort du mass media ? Voo ne le croit pas.  » Les chaînes linéaires (NDLR : RTBF, RTL-TVI, TF1, etc.) restent incontournables pour la plupart des gens et elles génèrent du lien social. Le client veut du bon divertissement, un large choix de chaînes, une bonne qualité technique et des tarifs corrects « , argue Patrick Blocry, directeur de la communication de Voo. A propos des tarifs, que pense le câblo- opérateur de l’offre agressive de Snow (KPN), qui propose une vingtaine de chaînes, en plus d’Internet et de la téléphonique fixe, pour 40 euros ?  » Nous ne croyons pas à une segmentation à outrance pour gagner quelques euros.  »

L’OTT, un marché de niche ?

En tant qu’ex-directeur de Telenet puis de Numéricable et actuel directeur adjoint de l’entreprise de télévision sur Internet WeePee, Pascal Dormal connaît bien les deux mondes. Il concède que les Belgacom et Voo ont un atout énorme : ils possèdent à la fois les réseaux et l’interface (le décodeur) et ont donc les leviers pour garder la main sur la majorité de leurs abonnés. Ils ont aussi des moyens financiers qui leur permettent de négocier avec les fournisseurs de contenus (même si Belgacom rétorquera qu’elle a moins de poids que Google/YouTube face aux studios hollywoodiens).  » L’avenir de la télédistribution dépend en fait de la capacité des opérateurs télécoms à innover, sur le plan de l’ergonomie des applications, de la simplicité d’emploi des décodeurs, de la capacité d’enregistrement et de rattrapage des programmes, etc.  » L’objectif de WeePee n’est pas de concurrencer les opérateurs existants mais de leur proposer des solutions technologiques.  » Nous considérons la télévision  » over the top  » sur l’Internet comme complémentaire à l’offre des opérateurs, qui pourront ajouter des contenus à destination de communautés spécifiques, turque ou congolaise par exemple. Parallèlement, certains opérateurs mobiles européens font déjà appel à nous pour proposer de la TV sur smartphone ou tablette.  »

A ce stade, la télévision sur le Web est donc loin de constituer une véritable menace pour les opérateurs historiques. Ce serait même plutôt une opportunité pour eux, à la condition de ne pas perdre un consommateur plutôt fidèle, mais pas dupe pour autant. Il est tellement facile de comparer les tarifs sur le Web, et louer un film (légalement bien entendu…) se fait en quelques clics de souris. Ou de télécommande.

OLIVIER FABES

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