Familles, je vous ai

Son objectif photo fixe nos familles. Classiques. Reconstituées. Monoparen-tales. Adoptives. Issues d’insémination. Homoparentales. Changeantes. A travers le regard de cette gynécologue photo-graphe, une question clé : que sont nos familles devenues ?

Des femmes, des hommes et des enfants. En apparence, le Dr Marie Kroll, gynécologue et photographe, ne change rien à cet ordre. Mais, en réalité, les images de ces trois acteurs qu’elle saisit sur papier révèlent un grand, un immense désordre. Le nôtre. Celui de nos métamorphoses parentales et familiales…

Il y a vingt ans, vingt années seulement, le service du Pr Francine Gillot-de Vries, psychologue au service de psychologie du développement de l’ULB (Bruxelles), avait consacré une journée d’études aux nouvelles parentalités liées au désir d’enfant  » à tout prix  » : un thème incontournable face à l’émergence des grossesses dues aux procréations médicalement assistées. En septembre dernier, un colloque organisé par cette même équipe se fixait sobrement comme (vaste) sujet d’étude les  » parentalités d’aujourd’hui « . Des photographies du Dr Marie Kroll y figuraient et c’est en compagnie du Pr Francine Gillot-de Vries que la gynécologue souhaite expliciter son travail. D’autres photos avaient, également, été exposées aux célébrations des 20 ans de procréation assistée du centre universitaire Saint-Pierre, à Bruxelles. Autant d’images pour rappeler que, désormais, les familles nucléaires concurrencent les monoparentales, les séparées, les recomposées, les homosexuelles ou les adoptives.

Sur ses photos, les enfants ont toujours une gueule d’enfant. Le Dr Marie Kroll ne se situe pas dans la lignée de la célébrissime Anne Geddes  » et ses images de bébés sur peau de lion, qui sont dans l’esthétisme mais ne font passer aucun message « . Etudiante en médecine, à l’heure de midi, elle attrapait son appareil, mettait un casque et montait sur les grues des chantiers des rues voisines pour mitrailler. Devenue gynéco, elle n’a jamais lâché l’appareil. Peut-être parce qu’il lui permet de s’arrêter, de prendre du recul. Ou de réfléchir à la responsabilité des médecins qui, par des  » actes techniques « , presque magiques, bouleversent des couples ou le destin de personnes seules en leur  » donnant  » un enfant.

 » Les équipes médicales baignent au sein d’un climat revendicatif imposé par les parents potentiels :  » J’y ai droit « , disent-ils « , constate la gynécologue. Leurs demandes sont souvent écoutées, d’autant que les soucis de rentabilité du service ne peuvent être écartés.  » Pourtant, il est important de continuer à remettre en question nos gestes médicaux et de nous demander sans cesse, pour chaque cas, ce que deviendra l’enfant « , souligne-t-elle, persuadée que, en matière de famille, nous allons vite, très vite. Trop ?

 » La multiplication des co-géniteurs et des co-parents, qu’elle soit due aux techniques médicales ou aux foyers recomposés, a généré une foule de situations atypiques, avec la prise en compte d’autres liens de filiation que le seul lien biologique « , constate le Pr Francine Gillot-de Vries. Ainsi, Anne (prénom d’emprunt) élève toute la semaine, avec son compagnon, l’enfant de son ex-conjoint. Ce bébé est né d’une rencontre de passage. Le (futur) père ignorait tout de sa venue. Peu de temps avant l’accouchement, la mère biologique a prévenu le géniteur en lui donnant le choix : soit il prenait en charge le nouveau-né, soit elle l’abandonnait…

Depuis des années, nos familles et leurs bébés font  » la joie  » des chercheurs en psychologie. Depuis les premières naissances in vitro, leurs études passent à la loupe le désir d’enfant, ses avatars dus à la stérilité, la monoparentalité, le poids des interactions des relations mère-enfant dans les premières semaines de vie… Parallèlement, autour des générations, les tabous tombent peu à peu. Celui du secret n’a pas résisté aux assauts quand les effets pathogènes du silence ont été soulignés. Les psychologues l’ont assuré : l’enfant doit savoir d’où il vient et où il va.  » Il y a une vingtaine d’années, nous expliquions déjà que l’adoption ou l’insémination par donneur n’excluait pas de raconter le désir d’enfant et comment il pouvait faire naître la rencontre entre un couple et un enfant né d’autres parents « , raconte Francine Gillot-de Vries.

Autour du thème de l’homoparentalité, plus récent, deux grandes thèses s’opposent encore. Certains spécialistes remarquent qu’aucune difficulté spécifique n’est relevée chez les enfants de tels couples. Nulle donnée n’indique par ailleurs que les femmes ou les hommes homosexuels seraient moins aptes à être parents que les autres. L’important serait donc qu’une naissance résulte du choix de deux adultes d’avoir un enfant et ayant un projet pour lui. D’autres psychiatres et psychologues se déclarent plus circonspects. Ils invoquent la nécessité pour l’enfant d’avoir, au sein de sa famille, une double référence maternelle et paternelle, afin de construire son identité. Ce problème se poserait particulièrement quand le discours parental sous-entend le rejet de l’autre ou le déni de la différence des sexes. Quand le père est inexistant, comme dans certaines familles monoparentales, le problème est tout différent, disent ces experts, car il n’y a pas eu, au départ, le refus d’une paternité. Autre écueil : tous les tabous ne sont pas tombés et les enfants de couples homosexuels sont souvent confrontés à des moqueries ou à des insultes qui peuvent influencer négativement leur propre image et celle de leurs parents.

Les expériences de mère porteuse sont loin également de faire l’unanimité. Des études ont montré que les candidates à un tel statut étaient souvent des femmes dépressives, en attente d’être elles-mêmes adoptées affectivement, déçues si l’anonymat est obligatoire envers les familles pour lesquelles elles font un geste  » altruiste « .  » D’autre part, quand, par exemple, une femme porte le bébé de sa propre fille et devient ainsi à la fois la mère et la grand-mère de l’enfant, quel sera le modèle de filiation de ce dernier ? » interroge Francine Gillot-de Vries.

Certaines recherches relèvent également que les jeunes nés grâce à une procréation médicament assistée ont davantage de problèmes de sommeil, d’alimentation et font l’objet de plus de consultations médicales que les autres. Le résultat de parents surprotecteurs face à un enfant si précieux ?

 » Il existe un décalage entre les développements  » technologiques  » de la médecine et ce que nous savons de leurs répercussions sur les enfants que nous aidons à mettre au monde, insiste le Dr Marie Kroll. Voilà pourquoi je plaide pour que davantage d’études soient réalisées sur ces adultes en demande d’enfants et sur ces derniers, qui sont parfois les prothèses, les réparateurs de souffrances diverses.  » En attendant, elle les accompagne et les suit de son regard de photographe. Dès qu’elle aura le temps, elle  » s’attaquera  » aux grands-parents. Pour embrasser entièrement nos nouvelles familles ?

Texte : Pascale Gruber

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire