Faire ami-ami avec l’arthrose
L’arthrose, une banale usure de l’articulation, n’est pas censée être douloureuse. Mais alors, pourquoi les hanches, les genoux, les épaules nous gênent-ils tant, passé un certain âge ? Voici des pistes pour faire la paix avec son corps
Ils entrent dans le cabinet de consultation, sortent leurs clichés radiologiques et disent : Voyez, Docteur, à cause de mon arthrose, j’ai mal partout. Soulagez-moi ! » Ce que le Pr Thierry Appelboom, chef du service de rhumatologie de l’hôpital Erasme (à Bruxelles), a envie de dire à ces patients-là, c’est que l’arthrose ne peut provoquer des » douleurs partout « . Plus fort encore : en soi, elle n’est même pas douloureuse, sinon, éventuellement, en certains points précis et à certains moments, lors de crises. Cette affection de l’appareil locomoteur a beau être la plus fréquente au monde, elle garde encore bien des mystères. Néanmoins, dans une grande majorité de cas, elle devrait et pourrait être prise en charge de manière à soulager avec efficacité ceux qui s’en plaignent.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’arthrose n’est pas une de ces » nouvelles maladies de civilisation » qui font la Une des journaux. » On en trouve des traces jusqu’au néolitique, remarque le rhumatologue qui est, par ailleurs, président du Musée de la médecine (à l’hôpital Erasme). La momie précolombienne du célèbre Rascar Capac, popularisé par Tintin, en porte des signes. » Le grand nombre d’autopsies réalisées sur des soldats américains morts au Vietnam ont également montré que, dès 25 ans, l’arthrose pouvait déjà être présente. On sait, cependant, que ses manifestations douloureuses débutent après la cinquantaine, et qu’elles touchent légèrement davantage les femmes que les hommes.
Causes multiples
Mais d’où vient cette usure de nos articulations et, donc du cartilage, suivie d’une réaction de réparation osseuse inappropriée ? Et pourquoi, surtout, apparaît-elle vers la cinquantaine ? Certains chercheurs incriminent un phénomène inflammatoire local ou général, mais cela ne s’avère pas exact pour tous les malades. En revanche, plusieurs autres causes, parfois cumulées, ont été clairement identifiées. Ainsi, l’arthrose peut s’expliquer par un » vice architectural » avec, par exemple, des genoux en parenthèses ou, au contraire, tournés vers l’intérieur, ce qui provoque une usure spécifique de certains points d’appui de l’articulation. Les accidents, et leurs traumatismes divers, sont également des sources fréquentes d’installation d’arthrose, tout comme un usage exagéré de l’articulation : les grands sportifs ne diront pas le contraire. L’obésité et l’excès de poids participent également à cette affection, en particulier pour les genoux. Une ménopause précoce influence sa survenue. Enfin, une tendance familiale à l’arthrose ne peut être niée.
Des articulations usées et qui se sont souvent mal réparées et mal régénérées ne suffisent pourtant pas à faire porter sur l’arthrose tous les maux de la terre. Parmi les 50 à 60 ans, de 30 à 40 % de personnes présentent à la radiographie des signes de cette affection. Mais toutes sont bien loin d’en souffrir ! Parmi diverses grandes études, une a été menée sur des infirmières de cet âge-là. Parmi celles chez qui on décelait des signes d’arthrose, curieusement, un tiers seulement se plaignaient de douleurs, s’exprimant d’ailleurs de manière fort différente. » Cela s’explique assez facilement, explique le Pr Appelboom. Chez un patient qui souffre d’arthrose, il est essentiel de déterminer avec exactitude ce qui provoque vraiment la sensation de douleur. En effet, cette dernière peut naître, par exemple, du cartilage abîmé, de microfractures de l’os situé juste en dessous, de contractures musculaires, de lésions méniscales, etc. »
La douleur n’est donc pas la même pour tous et elle peut évoluer ou disparaître plus vite chez certains que chez d’autres. Pourquoi, dès lors, s’attaquer de manière trop générale à l’arthrose si, par exemple dans un genou, c’est le manchon synovial gonflé qui pose problème ? En revanche, quand une lésion pas trop profonde de l’articulation semble en cause, diverses stratégies permettent encore d’aider le patient. Avant tout, elles ont pour but de lever la douleur puis d’empêcher l’aggravation de la maladie. Parfois, elles donnent aussi l’espoir d’une réparation.
En fait, arthrose et douleurs évoluent par poussées et rémissions. La souffrance est un des meilleurs témoins de la progression de la maladie. C’est donc bien vers elle que des efforts doivent être dirigés, car l’évolution de l’arthrose est loin d’être inexorable. » Pour les deux tiers des personnes concernées et suivies sur une durée de dix ans, la situation reste stable ou presque, souligne le rhumatologue. Pour les autres, il s’agit d’enrayer la progression de la maladie. »
Première règle : la thérapie de base de la douleur, c’est le repos ! Il permet de calmer, de soulager, d’apaiser une articulation trop sollicitée et il lui donne le temps de cicatriser. » De 70 à 80 % d’activités physiques en moins, pendant environ quarante-huit heures, entraînent généralement une amélioration des symptômes « , précise le spécialiste. Si ces derniers persistent, place aux traitements antidouleur classiques. Le paracétamol vient en premier, du moins si la peine n’est pas excessive. En l’absence de résultats, ou si la douleur ne cède pas au repos ou qu’un dérouillage est nécessaire à chaque réveil, ou que l’articulation donne une sensation de lancement durant la nuit, on fera appel aux anti-inflammatoires, des antidouleurs plus puissants, et efficaces sur la douleur et la congestion, tout en tenant compte de leurs risques d’effets indésirables.
» Outre certaines indications particulières, la règle d’or, c’est de les prendre à la dose la plus faible et pendant la période la plus courte possible, pourtant suffisante pour la grande majorité des malades, conseille le rhumatologue. Consommées avec prudence, ces molécules aident à restaurer une bonne qualité de vie. En revanche, elles n’ont pas de rôle préventif. Sans doute est-ce d’ailleurs préférable car la douleur ne doit jamais être masquée. En effet, le meilleur conseil que l’on puisse donner aux patients pour éviter les poussées douloureuses, c’est de ne pas forcer. En effet, dès qu’on dépasse le seuil d’alerte qu’est la souffrance, l’articulation risque de s’abîmer. »
De nouvelles armes
Des applications locales d’anti-inflammatoires peuvent également être prescrites, surtout chez les personnes âgées. De même, les techniques de médecine physique (application de chaleur, électrostimulation des muscles, massages décontracturants, mobilisations pour réharmoniser les articulations déformées…) sont d’un bénéfice non négligeable avec quasi aucun effet indésirable. Enfin, pour l’arthrose du genou, l’acupuncture a également démontré des effets bénéfiques. Beaucoup de patients sont également aidés par la mésothérapie.
Lorsque la maladie provoque des symptômes et semble progresser, divers traitements peuvent encore être proposés. Le lavage articulaire, destiné à éliminer les débris de cartilage, semble un peu abandonné, en dépit d’un certain effet décongestionnant. En revanche, connue depuis une vingtaine d’années, la glucosamine (une molécule extraite de la carapace de crustacés comme les crevettes), de préférence en association avec d’autres agents potentiellement protecteurs du cartilage, pourrait avoir une certaine efficacité. Cet alicament diminue la douleur et améliore la qualité de vie. Il fait aussi l’objet d’études quant à sa possible capacité de régénérer le cartilage.
Lorsque le cartilage est abîmé, l’injection d’un lubrifiant articulaire (l’acide hyaluronique) permet aux articulations de mieux glisser l’une sur l’autre. Il aide les cellules du cartilage à se régénérer et il piège les molécules de l’inflammation présentes dans la cavité articulaire, avec un bénéfice qui semble durer au-delà de six mois. D’autres mesures sont possibles mais elles relèvent alors de la chirurgie. Par arthroscopie – un examen peu agressif souvent réalisé sous anesthésie péridurale, lorsque les lésions ne sont pas trop importantes – les chirurgiens parviennent à réparer, à découper les zones abîmées et à leur donner une forme plus harmonieuse. Chez les moins de 40 ans, des greffes de cartilage peuvent être réalisées par injections. Enfin, quand il n’y a plus d’autre choix, l’organe usé doit parfois être remplacé par une prothèse.
» En collaboration avec le malade bien conseillé et informé des différentes modalités thérapeutiques, médicamenteuses ou non, notre objectif consiste à apporter un soulagement, à améliorer la qualité de vie et à freiner la progression de la maladie, précise le Pr Appelboom. Depuis peu, pour mieux cibler cette progression, des marqueurs de l’usure, du renouvellement du cartilage et de la congestion de l’articulation ont été mis au point. Dans un avenir proche, ils permettront d’identifier dans le sang ou dans les urines les poussées d’arthrose. Des valeurs anormales seront le signal de mesures ou de traitements plus agressifs à entamer. » En attendant la généralisation de ces armes de détection massive, jeunes et moins jeunes peuvent continuer à faire de l’exercice physique : sous un seuil douloureux, l’activité stimule les mécano-récepteurs du cartilage, ce qui ne peut être que bénéfique. Bouger mais sans souffrir : voilà aussi une des clés pour ne pas se plaindre, un jour, de crises d’arthrose.
P. G.
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