Fabiola, sans falbala
Tantôt dévote fervente, tantôt servante ardente de la cause des femmes, la veuve » blanche » du roi Baudouin mène, à plus d’un égard, une vie aux accents shakespeariens. Pieuse, tragique et parfois… comique.
Depuis des mois, elle trotte menue, parcheminée, courbée sur une canne qu’elle ne quitte plus. Bien qu’amaigrie et rapetissée, la reine Fabiola n’a pourtant pas vraiment changé. Très peu frivole, mais toujours assez farfelue, elle reste vêtue comme l’as de pique, arborant des tenues ringardes aux couleurs mal accordées, qu’on dirait choisies au hasard dans une garde-robe plongée constamment dans l’obscurité. Par-dessus ses tailleurs, elle continue à fixer un micmac de bijoux, broches en or, rivières de perles, boucles d’oreilles et pinces à cheveux, censées river son inimitable coiffure, qui appartient certainement, comme l’Atomium et Manneken-Pis, au patrimoine national. Cette coupe laquée, elle ne l’a jamais modifiée depuis ses fiançailles, parce que » Bau « , comme elle l’appelait, aimait ça, la grande mèche frontale ondulante, s’achevant de chaque côté du visage par deux » crolles » en accroche-c£ur… Tout au plus porte-t-elle, à l’occasion, une perruque poivre et sel, pour donner le change. Même comme ça, frêle et ridée, la reine compte encore une armada de fans authentiques. Des compatriotes de tous âges et de toutes conditions, fiers de la trouver » si mignonne « , » merveilleusement adorable » ou » extrêmement profonde » (ce qu’elle est), sous ses dehors de sosotte de 82 printemps…
Grande brune classique, Fabiola n’a pourtant jamais incarné le genre de fille à faire tourner les têtes. En 1960, une seule proposition de mariage lui était parvenue, que la noble dévote espagnole de 32 ans, alors infirmière à ses heures, avait poliment refusée. La visite surprise à Madrid d’une s£ur irlandaise nommée Veronica O’Brian, envoyée par le cardinal Suenens pour lui offrir la main d’un autre fervent esseulé de la planète, le très triste Baudouin Ier, avait finalement bouleversé sa destinée. Le 16 septembre 1960, à l’heure du déjeuner, les auditeurs de la radio nationale belge tombent de leurs chaises : le Premier ministre Gaston Eyskens leur annonce en effet » l’heureuse nouvelle des fiançailles de S.M. le Roi avec Doña Fabiola de Mora y Aragon, fille de feu Don Gonzalo de Mora y Fernandez, marquis de Casa Riera, et de Doña Blanca d’Aragon « . La promise vient d’une famille de supporters de Franco – une » proximité » avec le dictateur qui lui sera souvent reprochée. Lui est le fils aîné de Léopold III et d’Astrid, jeune homme terne, timide et docile, auquel le trône a échu à l’âge de 20 ans. Célébré le 15 décembre, le mariage de raison en devient vite un d’amour. Ces deux-là, qui sont tout sauf glamour, partagent les mêmes hauts principes pour accomplir leurs devoirs : volonté de servir (les humains autant que Dieu) et confiance réciproque aveugle. Fabiola oriente rapidement son action personnelle vers les secteurs de la jeunesse, des moins valides et des moins favorisés. Au palais, elle crée un secrétariat social chargé de répondre aux nombreuses demandes d’aide que la population lui soumet (quelque 10 000 lettres par an, tout au long du règne). En parallèle, elle ne cesse de renforcer sa foi au contact du monde catholique (des charismatiques aux membres de l’Opus Dei, dont elle n’a pourtant jamais admis faire partie) : elle devient vite » la mystique de Laeken « . C’est messe tous les matins, partout et toujours, même au cours des voyages officiels à l’étranger, et jusqu’en Patagonie…
Miséricordieuse et… volubile
Animée d’une foi profonde, elle n’est cependant ni fanatique ni intolérante. Beaucoup confirment son enthousiasme permanent, ses dispositions joyeuses, énergiques, résolument optimistes… et son bavardage incessant. En même temps, son attitude à l’égard des membres de sa famille par alliance n’a pas toujours été » exemplaire « . Avec la princesse Lilian, le courant est vite et définitivement rompu : trop de différences éloignent la prima donna d’Argenteuil de la prude épouse (pourtant habillée par Balenciaga) de Baudouin. Plus tard, le clan d’Albert, de Paola et de leurs enfants n’aura pas davantage grâce à ses yeux : ceux-là sont mal élevés, trop futiles, trop volages. Fabiola ne s’enferme pas pour autant dans un personnage de bigote. Elle suit de près l’évolution de la société. Son empathie est sincère : dans les années 1980, à une époque où l’épidémie de sida fait rage autant que peur, elle est sans doute une des premières people à serrer des jeunes séropositifs contre son c£ur (et face à la caméra). Alors, Fabiola souffre-t-elle d’un problème d’image ? Vraisemblablement. Mélange étrange de conservatisme et de modernisme, son caractère, aujourd’hui encore, reste assez difficile à cerner. Grenouille de bénitier, oui. Mais aussi instigatrice très terre à terre d’une Fondation pour la santé mentale. Ecrivaine ascétique de Los doce cuentos maravillosos, douze contes de fées (traduits en 70 langues) à la gloire des miracles de la conversion. Et cheville ouvrière efficace d’un mouvement de » premières dames » décidées à soutenir les femmes les plus déshéritées du tiers-monde : à Genève, en 1992, à la tête d’une délégation de 64 autres épouses de chef d’Etat, Fabiola présidait (baskets aux pieds !) le sommet sur le progrès économique des femmes rurales. Benoît Cardon de Lichtbuer, qui a été son secrétaire pendant dix ans, témoigne que » la Reine a un grand sens de l’humour « . Michel Didisheim, ancien secrétaire particulier d’Albert II, assure que, » dotée d’un fantastique esprit de repartie, elle est aussi terriblement drôle « .
La reine (titre qu’on lui accorde toujours, par courtoisie) a donc beaucoup ri. Et sans doute aussi beaucoup pleuré. Naguère, Fabiola a prudemment livré quelques infos très » perso » : en avril 2008, elle révélait ainsi qu’elle avait subi cinq fausses couches – plus que ce qu’aucun biographe n’avait osé avancer jusque-là. Ce lourd passé obstétrical a certainement constitué la pierre d’achoppement de son existence. Dans les années 1960, ce désir de grossesse a tourné, un temps, à l’obsession, avant que le couple royal, aidé par sa religiosité, ne finisse par accepter son sort comme volonté divine. Ces dernières années, la reine fait montre d’un mode de vie plus relax. Sans se retirer complètement de la scène, Fabiola limite ses sorties, les réservant à des activités religieuses ou à certaines obligations officielles en compagnie d’Albert et Paola. Encore présidente d’honneur de la Fondation Roi Baudouin, elle assiste avec assiduité au concours Reine Elisabeth, qu’elle adore. Il n’est pas rare qu’elle y reçoive d’ailleurs des standing ovations… Il n’empêche. Une nette baisse de régime a pourtant suivi une polémique sur sa dotation. En 2009, à titre de veuve royale, Fabiola devait ainsi toucher de l’Etat quelque 1 594 000 euros. Que peut bien faire une dame pieuse en son château du Stuyvenberg avec un tel pactole ? De mauvais gré, le Palais a consenti à détailler ses dépenses : environ 70 % de la somme sert à rétribuer une vingtaine d’employés. Le reste se décompose en voyages, en visites, en frais d’énergie et d’entretien… Mais la querelle entre ceux défendant le droit de la reine à jouir, vu ses mérites, d’une très confortable retraite, et ceux l’estimant bonne à rien, n’a franchement pas l’air de concerner l’intéressée : insensible aux critiques comme à l’égrènement du sablier du temps, la reine s’en amuse peut-être. On l’a vue, sur YouTube, esquisser de surprenants déhanchements au son de The Magnetism of Pure Gold, un hit du groupe flamand Mint, venu divertir un parterre d’invités à Laeken. La reine est rock, assurément. Victime, l’an dernier, de plusieurs ennuis de santé (thyroïde et pneumonie), puis de menaces de mort (elle serait prise pour la cible d’un arbalétrier !), Fabiola ne redoute aucunement la Faucheuse : elle semble décompter sereinement les heures, voyant approcher chaque jour l’instant d’aller retrouver celui dont, depuis 1993, elle porte en permanence le bracelet-montre au poignet…
Valérie Colin
» Si mignonne » et » extrêmement profonde «
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