Extension du domaine de la lutte
L’auteur de l’attaque au hachoir devant l’ancien siège de Charlie Hebdo se réclame du fondateur d’un mouvement pakistanais, a priori, non violent. Inquiétant pour la prévention antiterroriste.
Cinq attentats islamistes ont été perpétrés en France depuis le début de 2020. Le plus symboliquement marquant a ciblé le vendredi 25 septembre le bâtiment que son auteur imaginait encore abriter la rédaction de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo alors que ses journalistes travaillent dans un lieu secret depuis l’attaque meurtrière du 7 janvier 2015 perpétrée par Saïd et Chérif Kouachi. Tous ces attentats ont été commis par des individus isolés – ce qui n’exclut pas un soutien logistique et idéologique – à l’aide d’armes blanches, à l’exception d’une voiture qui a été utilisée, le 27 avril dernier, dans la ville de Colombes (Hauts-de-Seine, à l’ouest de Paris) par un individu pour percuter des motards de police en train d’opérer un contrôle. Un couteau a néanmoins été découvert dans son véhicule.
L’absence de signe de radicalisation et l’usage d’armes blanches expliquent la difficulté croissante de prévenir ces attaques.
Hormis l’auteur d’une tentative d’agression contre d’autres policiers le 5 janvier 2020 dans le quartier de Borny à Metz qui était fiché S, les responsables de ces actes n’étaient pas connus des services de renseignement français pour radicalisation islamiste. Leurs gestes n’ont d’ailleurs pas donné lieu à des revendications, préparées ou opportunistes, de la part des frères ennemis du djihadisme, Al-Qaeda et l’Etat islamique.
Un parcours d’intégration
Ces constats expliquent la difficulté pour les services de sécurité européens de prévenir des attaques qui se distinguent par leur » spontanéité » des opérations d’envergure orchestrées entre 2012 (les tueries de Montauban et Toulouse par Mohammed Merah) et 2016 (les attentats de Bruxelles consécutifs à ceux de Paris). Or, si celle contre l’ancien siège de Charlie Hebdo ne l’a pas été (deux employés ont été blessés), elles peuvent aussi être meurtrières. Le 3 janvier 2020, Nathan C., un converti, a tué un promeneur dans le parc des Hautes-Bruyères à Villejuif, au sud de Paris. Le samedi 4 avril, Abdallah A.-O., un réfugié soudanais, a assassiné deux personnes lors d’un périple macabre dans des commerces de Romans-sur-Isère, dans la Drôme.
Or, le CV de l’agresseur de la rue Nicolas-Appert à Paris le 25 septembre a de quoi perturber un peu plus encore les profilers censés déceler des prédispositions au passage à l’acte criminel. En provenance du Pakistan, Zaheer Hassan M. a débarqué en France le 31 juillet 2018 en compagnie de deux frères. Né, selon ses dires contestés (il a reconnu après son arrestation être âgé de 25 ans), le 10 août 2002 à Mandi Bahauddin dans le Pendjab, il a bénéficié, comme mineur d’âge, de l’Aide sociale à l’enfance. Sorti de ce régime récemment, il excipait d’une promesse d’embauche comme peintre dans une entreprise du bâtiment de Seine-et-Marne pour briguer une régularisation qu’il aurait vraisemblablement obtenue. Bref, il semblait avoir franchi les étapes d’un parcours d’intégration. Seul écart connu : il avait fait l’objet d’un rappel à la loi après avoir été interpellé en possession d’un tournevis par la police ferroviaire d’Ile-de-France.
Un référent qui pose question
Autre caractéristique plus inhabituelle encore qui interpelle dans le chef de Zaheer Hassan M. : dans une vidéo expliquant son attaque d’une représentation de Charlie Hebdo en plein procès contre les logisticiens présumés des attentats de 2015, il la justifie par la republication, le 2 septembre, des caricatures de Mahomet par l’hebdomadaire et, surtout, il la revendique au nom d’un mollah pakistanais qui n’est pas connu pour être un extrémiste. Ilyas Attar Qadri Razvi Ziaee est le fondateur du mouvement Dawat-e-Islami, qui prône le soufisme, vision mystique de l’islam, et se réclame de l’école hanafite (Barelvi au Pakistan) considérée comme la moins radicale des quatre doctrines principales de l’islam et opposée à la plus rigoriste, le hanbalisme, dont les wahhabites saoudiens sont de fidèles représentants.
Le Pakistan, le » pays des purs » fondé après la chute de l’Empire britannique sur la base d’une séparation confessionnelle avec l’Inde majoritairement hindouiste, est un foyer de radicalité islamiste. Il avait été à la pointe de la contestation du livre Les Versets sataniques de l’écrivain britannique d’origine indienne Salman Rushdie, supposé blasphémer le prophète Mahomet. Il a encore été le théâtre de manifestations hostiles à la France après la republication des dessins de Mahomet par Charlie Hebdo. Se revendiquer d’un » islam modéré » au Pakistan est donc relatif. Il n’empêche que l’auteur d’une attaque terroriste en Europe se réfère à un dignitaire religieux adepte du soufisme et que cela risque d’étendre le champ d’investigation des policiers censés débusquer les terroristes en puissance alors qu’ils sont essentiellement concentrés aujourd’hui sur les influences salafistes, inspirées du wahhabisme, susceptibles de provoquer des passages à l’acte.
Une lutte sur plusieurs fronts
Dans le livre qu’il vient de publier intitulé Les Silencieux. Ne nous trompons pas, les salafistes menacent la République (Plon, 370 p.), celui qui fut le responsable de la sécurité de Charlie Hebdo après les attentats de 2015, Eric Delbecque, dresse un panorama de la menace islamiste actuelle. » Notre ennemi, écrit-il, est à la fois une force territorialisée (Daech en Syrie), un réseau avec des « agents » répandus sur toute la planète, et une machine idéologique, de propagande, qui permet de pousser à l’acte des personnes radicalisées, soit déjà impliquées dans le milieu délinquant et criminel, soit perturbées psychologiquement (voire les deux). Il faut donc combattre nos adversaires militairement (mais pas forcément directement), tout en développant une politique de sécurité intérieure très largement inédite, mêlant prévention et préparation des citoyens, anticipation, opérations de police régulières et adaptation permanente de la réponse judiciaire. » Les enseignements de la nouvelle attaque contre l’hebdomadaire satirique français risquent de compliquer un peu plus encore une lutte antiterroriste, rendue déjà fébrile par la perspective de sortie de prison prochaine de dizaines de djihadistes.
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