Explosion de couleurs
Albums de BD, documentaires, photographies… Un peu partout, l’heure est à la colorisation. Pour certains, il s’agit de rendre le passé plus vivant et plus proche, pour d’autres, de trouver sa place dans un monde saturé de pixels.
C’est un fait : dans la mémoire, le passé a souvent la saveur du noir et blanc. A l’absence de couleurs des documents d’époque s’ajoute la noblesse et la puissance du noir et blanc, dont les contrastes im – posent naturellement une sorte d’évidence et de gravité. C’est frappant quand l’on feuillette un ouvrage comme Photo icons (éd. Taschen), qui rassemble des clichés qui ont fait date dans l’histoire. Presque toutes les images retenues sont en bichromie. Normal pour celles, signées Nadar ou Dorothea Lange, qui datent d’avant le milieu du xx e siècle et l’arrivée du Kodachrome, mais plus étonnant pour le vol à l’arraché du sabre de Baudouin au Congo belge en 1960 ou pour la rencontre BrejnevWilly Brandt à Bonn en 1973. Dans ces derniers cas, il s’agit d’un parti pris éthique autant qu’esthétique. « Dans le photojournalisme, la démarche est d’informer, de présenter l’actualité, souvent peu réjouissante ; il faut « frap – per » les esprits et, pour cela, le noir et blanc a plus de force », fait remarquer la documentaliste, iconographe et au – teure Sabine Arqué. Cette règle d’or serait-elle battue en brèche ? L’histoire récente (songeons aux attentats du 11 septembre 2001), parce qu’elle est souvent captée par des téléphones portables, se décline plus volontiers en couleurs. Un contexte qui pousse à enluminer le passé. Livres de portraits historiques colorisés – comme La Couleur du temps de Dan Jones paru chez Flammarion l’an passé – et docu – mentaires – la série des Apocalypse, ou plus récemment Les Secrets du tombeau de Toutankhamon ou Décolonisation, du sang et des larmes de Pascal Blanchard – se multiplient. Comme les reliftings d’albums de bande dessinée embléma – tiques, de Gaston Lagaffe à Tintin en passant par Les Cités obscures de Schuiten et Peeters.
Risque de banalisation
Une fièvre chromatique qui n’est pas le fruit du hasard. La vague numérique est passée par là, qui a érigé l’image absolue, parée de millions de nuances, en nouvelle norme. Au point, d’ailleurs, qu’une vision sublimée et trafiquée du réel s’impose dans nos représentations mentales. A l’aune de ces nouveaux standards 4K et autres, tout ce qui n’explose pas de couleurs paraît terne et insipide. L’idée de coloriser des photos noir et blanc n’est pourtant pas neuve. Elle a germé dès l’invention de la photographie dans les années 1830. Cette tradition a persisté mais elle était réservée aux cartes postales. Car la couleur a longtemps été jugée vulgaire, criarde, superficielle, tout juste bonne pour la publicité. Il a fallu le talent de photographes comme Saul Leiter ou Harry Gruyaert pour révéler la magie de la couleur. Cette démarche qui consiste au fond à rendre au passé ses couleurs naturelles provoque certaines réticences. On l’a vu quand l’artiste Marina Amaral a révélé ses portraits de prisonniers d’Auschwitz en 2018. La crainte, c’est que la couleur banalise ce que le noir et blanc sacralise. Avec leurs teintes naturelles, les visages des damnés du camp de la mort nous paraissent en effet plus proches, plus familiers, ce qui les rend aussi plus ordinaires. La couleur est donc une arme à double tranchant. D’où l’intérêt de ne pas en abuser. « Le noir et blanc a encore de beaux jours devant lui, pronostique Sabine Arqué. Certaines images sont trop dures à supporter en couleur… Sur un plan artistique, le noir et blanc, qui s’adresse à un public averti, exprime sa force dans les cadrages, ou le montage lorsqu’il s’agit de cinéma. On voit d’ailleurs bien que des jeunes cinéastes le revisitent. » Comme quoi, les goûts et les couleurs…
Machine à remonter le temps
A cause d’un usage souvent excessif de la couleur, les photos repeintes ont longtemps donné une image caricaturale, voire cheap, du réel. Un maquillage grossier qui cherchait à enjoliver les paysages que les touristes garderaient dans leurs souvenirs. Ce n’est que récemment que la couleur est sortie du purgatoire, et qu’a fait son chemin – notamment grâce aux outils numériques – l’idée qu’on pouvait « réactualiser » le passé sans le trahir. Comme le rappelle Wolfgang Wild en préambule de son livre qui revisite la petite et la grande histoire de la photographie, de 1839 à 1949, « le passé n’est pas petit, délavé, abîmé, voire déchiré – et encore moins en noir et blanc ». C’est donc avec des yeux neufs et souvent ébahis qu’on assiste comme si c’était hier à la pendaison des conspirateurs de l’assassinat de Lincoln, qu’on pose le pied par une belle journée ensoleillée de 1911 en Antarctique ou qu’on s’invite en 1888 sur le chantier de la tour Eiffel, dévoilée ici dans sa robe rouge Venise originale. Frissons garantis.
Peinture fraîche
Prépublié en noir et blanc entre 1931 et 1932 dans Le Petit Vingtième, Tintin en Amérique sera colorisé lors de sa sortie en album en 1946. Aujourd’hui, il bénéficie d’un relifting chromatique complet, comme avant lui Tintin au pays des Soviets et Tintin au Congo. Une recolorisation parmi d’autres (songeons à Gaston Lagaffe, intégralement restauré par Jannin en 2017) qui prouve que l’enjeu dépasse le seul noir et blanc. Il s’agit aussi dans certains cas d’adapter une oeuvre aux canons esthétiques actuels. Exit donc les tons pâles et les couleurs pures, place à des palettes plus vives et plus chaudes, entre orange brûlé, bleu nuit et rouge kodachrome pour la chemise du reporter à la houppe. Le résultat (lire aussi page 80) caresse l’oeil dans le sens du cil, d’autant que les traits noirs originaux très contrastés ont été conservés, et, avec eux, la puissance graphique de Hergé. Tintin en Amérique, par Hergé, éd. Moulinsart, 124 p
Peinture fraîche
Prépublié en noir et blanc entre 1931 et 1932 dans Le Petit Vingtième, Tintin en Amérique sera colorisé lors de sa sortie en album en 1946. Aujourd’hui, il bénéficie d’un relifting chromatique complet, comme avant lui Tintin au pays des Soviets et Tintin au Congo. Une recolorisation parmi d’autres (songeons à Gaston Lagaffe, intégralement restauré par Jannin en 2017) qui prouve que l’enjeu dépasse le seul noir et blanc. Il s’agit aussi dans certains cas d’adapter une oeuvre aux canons esthétiques actuels. Exit donc les tons pâles et les couleurs pures, place à des palettes plus vives et plus chaudes, entre orange brûlé, bleu nuit et rouge kodachrome pour la chemise du reporter à la houppe. Le résultat (lire aussi page 80) caresse l’oeil dans le sens du cil, d’autant que les traits noirs originaux très contrastés ont été conservés, et, avec eux, la puissance graphique de Hergé. Tintin en Amérique, par Hergé, éd. Moulinsart, 124 p
Peinture fraîche
Prépublié en noir et blanc entre 1931 et 1932 dans Le Petit Vingtième, Tintin en Amérique sera colorisé lors de sa sortie en album en 1946. Aujourd’hui, il bénéficie d’un relifting chromatique complet, comme avant lui Tintin au pays des Soviets et Tintin au Congo. Une recolorisation parmi d’autres (songeons à Gaston Lagaffe, intégralement restauré par Jannin en 2017) qui prouve que l’enjeu dépasse le seul noir et blanc. Il s’agit aussi dans certains cas d’adapter une oeuvre aux canons esthétiques actuels. Exit donc les tons pâles et les couleurs pures, place à des palettes plus vives et plus chaudes, entre orange brûlé, bleu nuit et rouge kodachrome pour la chemise du reporter à la houppe. Le résultat (lire aussi page 80) caresse l’oeil dans le sens du cil, d’autant que les traits noirs originaux très contrastés ont été conservés, et, avec eux, la puissance graphique de Hergé. Tintin en Amérique, par Hergé, éd. Moulinsart, 124 p
Peinture fraîche
Prépublié en noir et blanc entre 1931 et 1932 dans Le Petit Vingtième, Tintin en Amérique sera colorisé lors de sa sortie en album en 1946. Aujourd’hui, il bénéficie d’un relifting chromatique complet, comme avant lui Tintin au pays des Soviets et Tintin au Congo. Une recolorisation parmi d’autres (songeons à Gaston Lagaffe, intégralement restauré par Jannin en 2017) qui prouve que l’enjeu dépasse le seul noir et blanc. Il s’agit aussi dans certains cas d’adapter une oeuvre aux canons esthétiques actuels. Exit donc les tons pâles et les couleurs pures, place à des palettes plus vives et plus chaudes, entre orange brûlé, bleu nuit et rouge kodachrome pour la chemise du reporter à la houppe. Le résultat (lire aussi page 80) caresse l’oeil dans le sens du cil, d’autant que les traits noirs originaux très contrastés ont été conservés, et, avec eux, la puissance graphique de Hergé. Tintin en Amérique, par Hergé, éd. Moulinsart, 124 p
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