Erik Orsenna Chercheur d’eau

Après le succès de son Voyage aux pays du coton, l’infatigable globe-trotteur poursuit son périple sur les traces de l’or bleu. L’académicien en rapporte un passionnant précis sur ses enjeux mondiaux. Limpide mais inquiétant.

On le croit à Rochefort, il est à Calcutta. On l’annonce au Niger, il a fait un crochet par Casablanca. A 61 ans, Erik Orsenna vibrionne plus que jamais, sans jamais perdre le nord. Economiste, romancier, globe-trotteur, conseiller d’Etat, académicien, navigateur, passeur…, il multiplie les cartes de visite, tisse sa toile, nourrit sans cesse son carnet d’adresses. Et réalise son rêve d’enfant : jouer les Tintin reporter aux quatre coins du monde.

Un rêve qui lui réussit. Son Voyage aux pays du coton, publié en 2006, s’est écoulé à plus de 230 000 exemplaires, toutes éditions confondues. Pas mal, somme toute, pour un traité d’économie mondiale. Mais gageons qu’avec son cru 2008, L’Avenir de l’eau. Petit précis de mondialisation II, le Prix Goncourt 1988 pourrait affoler les compteurs. Quoi, en effet, de plus universel que l’eau ? De plus essentiel ? De plus angoissant ? Bref, de plus grand public, en ces temps de réchauffement planétaire ?

Pour mener sa barque, Orsenna dispose de plusieurs cartes maîtresses, dont celle, non négligeable, de son statut de successeur, de Jacques-Yves Cousteau. Car si, de Buenos Aires à Niamey, on situe mal l’importance de l’Académie française, on y vénère le célèbre commandant. Avec ce sésame au bonnet rouge, Orsenna passe les murailles, pousse les portes, franchit les murs. Le voilà à Singapour devant Tan Gee Paw, l’empereur de l’établissement monopolistique gestionnaire de l’eau de la ville-Etat ; à Sydney, avec un aréopage de savants australiens ; à Pékin, face à Gao Er-kun, le maître d’£uvre actuel du Grand Canal, projet pharaonique commencé cinq cents ans avant notre ère ; ou encore au sud de Tel-Aviv, en compagnie des responsables d’usines de traitement sous haute protection.

Deux ans de pérégrinations, de déserts en deltas, de villes tentaculaires en villages faméliques, pour raconter l’eau, cette molécule omniprésente qui sépare, ronge, attaque, modèle les paysages. Et pour rappeler combien elle se révèle, entre sécheresse, inondations, pollutions et choléra, source à la fois de vie, de mort et de pouvoir. Partout dans le monde, on se débat pour la capter, l’assainir, la distribuer équitablementà Un combat inégal, certes. Plus facile à gagner si vous êtes riche et tempéré, comme l’Europe, que pauvre et tropical, la palme de la malédiction revenant sans conteste au Bangladesh, dont les îles en dérive subissent des moussons de plus en plus dévastatrices – et dont le fleuve nourricier, le Brahmapoutre, suscite la convoitise de ses deux grands voisins, l’Inde et la Chine. Sans parler de la fonte des glaciers de l’Himalaya, spectre fatal aux Bangladais comme à 40 % de la population mondiale.

Pour autant, les pays nantis ne sont pas à l’abri des pépins : l’Australie, en proie à une terrible sécheresse, compte les suicides de ses fermiers, Berlin, en faillite, colmate avec peine les fuites de son réseau, tandis que s’épuisent les réserves du lac Mead, principal fournisseur des hôtels de Las Vegas.

Barrages, réservoirs, digues, dessalementà A ces techniques classiques s’ajoutent aujourd’hui les plus folles recherches sur l’ensemencement des nuages, la captation de l’eau dans les brouillards et la rosée, l’irrigation au goutte à goutte, la création de plantes peu assoiffées, l’utilisation des lombriciens pour filtrer l’eauà Du pain bénit pour un romancier. Grâce à sa plume de conteur, l’auteur de Portrait du Gulf Stream rend limpides les données scientifiques les plus obscures, réconcilie les cancres avec la géographie, les littéraires avec les mécanismes industriels et, bientôt, les internautes avec toutes ce disciplines.

Emporté par son sujet, Orsenna a en effet noirci des milliers de feuillets, puis a coupé, coupé. Restaient encore quelque 600 pages, dont près de 200, non imprimées, vont venir alimenter son site interactif (1) – dont nous publions ci-contre un bref extrait consacré à l’alimentation en eau de la ville de Casablanca. On n’arrête plus Erik Orsenna. A peine sa croisade aquatique achevée, il repartira en janvier sonder la raréfaction des terres arables à travers le monde. Un sujet qui n’est pas près de se tarir, lui non plus. Reste une question : quand notre globe-trotteur trouve-t-il le temps de siéger sous la Coupole ?

(1) www.erik-orsenna.com/blog

Marianne Payot – L’Avenir de l’eau. Petit précis de mondia-lisation II, par Erik Orsenna. Fayard, 4

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