Enigme du Dahlia Noir – Le meurtrier enfin identifié
Qui a tué le Dahlia Noir, à Hollywood, en 1947 ? Le spécialiste des serial killers, Stéphane Bourgoin, a investigué sur l’une des plus grandes énigmes criminelles de l’Histoire, devenue une véritable légende au fil des années. Il identifie un tueur en série qui a commis vingt autres meurtres atroces, à la même époque. Le Vif/L’Express a ouvert, en exclusivité, son livre-enquête impressionnant.
Ames sensibles, s’abstenir ! Vous avez peut-être dévoré le roman de James Ellroy ou adoré le film de Brian De Palma, Le Dahlia Noir. Avec Stéphane Bourgoin, l’incontournable » entomologiste » des serial killers, on quitte la fiction pour entrer de plain-pied dans la réalité sordide du meurtre qui hante l’Amérique depuis plus de soixante ans. Celui d’Elizabeth Short, une jolie provinciale du Massachusetts qui, après la Seconde Guerre mondiale, a débarqué à Hollywood en rêvant de devenir une étoile et qui accédera à l’immortalité en étant torturée, violée, tuée, coupée en deux par un psychopathe. Le Dahlia Noir ou le mythe américain assassiné. Terrassé. Broyé. Humilié.
Mercredi 15 janvier 1947. Los Angeles. Une maman et sa fillette se promènent le long de South Norton Avenue. Dans un terrain vague, à un mètre du trottoir, elles remarquent ce qui, de loin, ressemble à un mannequin en deux morceaux, sectionné à hauteur du bassin, d’une blancheur d’ivoire. De près, la poupée s’avère humaine. C’est Elizabeth Short, 24 ans, atrocement mutilée. Les bras étendus en arc de cercle au-dessus de la tête, le visage lacéré, la bouche fendue d’une oreille à l’autre, un morceau de sein arraché. Les jambes sont écartées dans une position dégradante. Un carré de peau découpé a été enfoncé dans le vagin charcuté. L’autopsie révélera aussi une sodomie post-mortem. Le corps a visiblement été vidé de son sang. Il n’y aucune trace d’hémoglobine dans l’herbe. Et pas la moindre empreinte digitale suspecte.
Difficile d’imaginer spectacle plus monstrueux. L’image du mal absolu. Une image hyper-médiatisée qui traumatisera l’Amérique entière et que Stéphane Bourgoin décrit froidement dans son livre-enquête Qui a tué le Dahlia Noir ? L’énigme enfin résolue (1). Ce Français réservé de 61 ans, au crâne dégarni et grisonnant, ne ménage jamais ses lecteurs. Auteur d’une quarantaine d’ouvrages, il poursuit inlassablement, depuis trente-cinq ans, une quête insolite. Celle de comprendre ce qui se passe dans la tête des tueurs en série. A ce jour, il en a interrogé 77, un record mondial. » Dans 95 % des cas, l’auteur et la victime ne se connaissent pas, explique-t-il. Il faut alors chercher le mobile dans les fantasmes du tueur. » Traduit en quinze langues, son best-seller Serial Killers (Grasset), fourmillant de détails effroyables mais réels sur des crimes odieux, s’est vendu à près d’un million d’exemplaires.
En s’attaquant à l’une des plus grandes affaires non résolues de l’histoire du crime, Bourgoin savait qu’il se lançait dans une aventureuse périlleuse. Comment cet autodidacte, qui ne peut exhiber aucun diplôme, espérait-il résoudre ce que Will Fowler, l’un des premiers journalistes arrivés près du corps du Dahlia Noir, avait fini par décrire comme » un rébus enveloppé dans un mystère à l’intérieur d’une énigme » ? Un mystère si épais qu’une véritable légende s’est construite autour du Dahlia, engendrant les rumeurs et les mystifications les plus folles, encore aujourd’hui.
A l’époque, des centaines de personnes se sont accusées du crime ou ont dénoncé leur propre père. On en a suspecté des dizaines d’autres, médecins, militaires, barmen, chirurgiens, bouchers, mafieux, propriétaires de boîte de nuit, employés de studio de cinéma, ou encore un ami de Man Ray dont les créatures ressemblaient au cadavre de South Norton Avenue. Une ancienne voisine d’Elizabeth Short a même écrit un bouquin dans lequel elle accuse Orson Welles. Selon elle, le réalisateur de Citizen Kane, connu pour son caractère colérique, aurait été suspecté d’une tentative de viol vite étouffée. Pis : pendant la guerre, il avait réalisé pour les militaires des tours de magie où il coupait une femme en deux, trahissant un vieux fantasme… Les enquêteurs, eux, se sont tous cassés les dents sur ce qui est devenu au fil des ans un » cold case « . Officiellement, l’enquête est d’ailleurs toujours ouverte.
Pour comprendre l’entreprise audacieuse de Stéphane Bourgoin, il faut remonter le fil de sa propre histoire. Car, au départ, il y a une obsession. Comme James Ellroy avec son roman. L’écrivain américain s’en est longuement expliqué depuis la sortie de son chef-d’oeuvre, en 1987 : à travers le Dahlia Noir, c’est la perte de sa mère, retrouvée étranglée dans un fossé d’un quartier populaire de Los Angeles, qu’il exorcise. Il avait 10 ans au moment du meurtre qui n’a, lui non plus, jamais été résolu.
» Enfoui dans mon subconscient »
Le scénario est un peu semblable pour Bourgoin. A 23 ans, ce fan de polars et de séries B s’envole pour Los Angeles où il travaille comme factotum pour de petits producteurs hollywoodiens. Il s’amourache d’Eileen, une Américaine de 24 ans. Un jour d’été, dans son appartement, il découvre son corps violé et découpé en morceaux. Deux ans plus tard, il apprendra que dix autres femmes ont été tuées par le même assassin. Il a alors voulu comprendre l’inconcevable en rencontrant des serial killers en prison. Au fil du temps, la catharsis s’est muée en quête de sens. Le meurtrier de sa compagne, lui, finira par être arrêté. Il attend toujours son injection létale, l’Etat de Californie n’exécutant plus les condamnés à mort pour des raisons économiques (les procédures d’appels automatiques, avant les exécutions, coûtent trop cher).
A presque trente ans d’intervalle, Eileen et Elizabeth Short, qui avaient le même âge plein de promesses, ont subi le même sort horrible, le même genre de mutilation, dans la même Cité des Anges. Difficile de considérer que la quête obsessionnelle de Stéphane Bourgoin pour l’affaire du Dahlia Noir est un hasard. Lorsqu’on le lui fait remarquer, il paraît étonné : » C’est la deuxième fois qu’on me le dit en peu de temps, réagit-il. C’était en tout cas totalement enfoui dans mon subconscient. » Par ailleurs, Ellroy et Bourgoin sont amis de longue date. » Depuis 1984, raconte le Français. A l’époque, James venait de publier le premier roman de sa trilogie Lloyd Hopkins. C’était donc avant Le Dahlia Noir. Mais, je m’en souviens maintenant, nous évoquions déjà ensemble le cas Elizabeth Short. »
Depuis plus d’un quart de siècle, le disséqueur de tueurs en série rassemble des archives sur le meurtre du 15 janvier 1947. Il y a une bonne dizaine d’années, fort de son expérience et du réseau de policiers, légistes et magistrats américains qu’il s’est constitué, il décide de mener une vraie investigation. Il n’a ni la pipe ni la casquette à double visière du Sherlock Holmes, mais il en a l’esprit méthodique. » Mon intuition était que le meurtre d’Elizabeth était trop sophistiqué pour être un premier meurtre, explique Stéphane Bourgoin. Il y en avait forcément eu d’autres avant. J’ai alors récolté, pendant plusieurs années, des dizaines de milliers de cold cases américains, commis entre 1925 et 1950. J’ai rempli cinq mille pages de tableaux pour comparer les rituels de mise à mort afin de retrouver des similitudes avec le Dahlia. »
L’échec d’Eliot Ness
Cette gigantesque base de données lui a permis de sélectionner une quarantaine d’affaires. Il en a gardé finalement trois cycles de crimes en série et trois assassinats uniques. Parmi les séries, celle du » Boucher de Cleveland « . Entre 1934 et 1938, dans cette ville du Mid-Ouest des Etats-Unis, le meurtrier, ainsi baptisé pour sa manie de démembrer ses victimes, a tué six femmes et huit hommes. Doté d’une force incroyable, il a, selon les autopsies, décapité ses proies humaines lorsqu’elles étaient encore vivantes et il a été capable de transporter les cadavres sur des pentes raides pour les abandonner sur un terrain à la vue de tous. Ici aussi, plusieurs des quatorze corps ont été drainés de leur sang et soigneusement lavés. » Ce qui est un rituel extrêmement rare chez un tueur en série « , observe Bourgoin. Les rapports légistes notent également des sodomies post-mortem.
A l’époque, Eliot Ness lui-même a pisté le meurtrier. Mais le flic légendaire a appliqué les mêmes méthodes musclées que pour les gangs mafieux de Chicago. Il a ordonné des rafles systématiques des vagabonds et la destruction de leurs cabanes de fortune. Il a entrepris des fouilles illégales de toutes les habitations dans un périmètre de 26 000 kilomètres carrés pour tenter de découvrir le laboratoire où le » boucher » découpait ses victimes. Cleveland n’est pas Chicago. Un serial killer n’est pas un parrain de la mafia. Les pistes d’Eliot Ness se sont avérées toutes foireuses. La légende en prend un coup…
Outre le serial killer de Cleveland, Stéphane Bourgoin a identifié les mêmes rituels et modes opératoires dans quatre autres meurtres à New Castle (proche de Cleveland), entre 1925 et 1940. Par ailleurs, il retient, dans sa liste, deux assassinats uniques, l’un à Los Angeles en 1944, l’autre à Indianapolis en 1943. Bref, en tout, vingt-et-une victimes pouvant être attribuées au même tueur.
Pour confondre ce dernier, il reprend les écrits d’un chroniqueur iconoclaste de Hollywood, John Gilmore. Lequel a recueilli, d’abord sans le savoir, les confidences du meurtrier d’Elizabeth Short. Suite à une apparition dans une émission télé sur le Dahlia Noir, en 1970, le journaliste gonzo a été approché par un homme qui lui révéla connaître l’assassin et lui rapporta les confessions de celui-ci sur le crime en lui montrant des objets ayant appartenu à Elizabeth. Il apparut finalement à Gilmore que le confident et le criminel ne faisaient qu’un.
Il s’agit d’un certain Jack Wilson, un homme costaud et de grande taille, au casier judiciaire très lourd. Il collectionne 55 arrestations dans de nombreux Etats américains, pour vols, braquages, alcoolisme, agressions sexuelles, sodomie (condamnée, à l’époque)… » Les arrestations pour comportement déviant étaient les plus nombreuses « , note Bourgoin. Wilson est aussi connu pour avoir fréquenté des boîtes de travestis et de transsexuels. Pour mener sa vie criminelle, il a changé maintes fois d’identité et aimait se déguiser. Il est mort en 1982, dans une chambre d’hôtel à Los Angeles, où il résidait depuis quatre ans, à cause d’une cigarette mal éteinte.
Comme de nombreux serial killers, il était nomade. Ses différents lieux et dates de résidence correspondent à ceux des crimes répertoriés par le spécialiste français. Mais l’individu était soigneux et ne laissait jamais d’empreinte digitale sur les lieux ou les corps de ses crimes. Autre indice intéressant : à Cleveland, dans les années 1930, une informatrice anonyme avait prévenu la police qu’un certain Jack Wilson, travaillant dans un marché à viandes, se baladait toujours armé d’un couteau à grande lame. Les hommes d’Eliot Ness étaient trop occupés à chasser les vagabonds…
Grâce à ses contacts au FBI, Bourgoin a réussi à mettre la main sur le rapport du médecin légiste du 16 janvier 1947, qu’il publie intégralement dans son livre. Il a comparé les conclusions de l’autopsie d’Elizabeth Short avec les confidences recueillies par Gilmore en 1970. Tout concorde. Or, ce rapport avait été tenu secret, jusqu’ici, par la justice californienne, car, à l’époque, la presse avait littéralement confisqué l’enquête en en divulguant de nombreux éléments. Notamment, le Los Angeles Herald-Examiner de William R. Hearst (qui inspira le personnage de Citizen Kane). Lors d’une édition spéciale sur le Dahlia Noir en 1947, ce quotidien a réalisé la deuxième meilleure vente de tous les temps de la presse américaine !
Soixante-sept ans après le crime, Stéphane Bourgoin a- t-il démasqué le tueur d’Elizabeth Short ? » Je ne prétends pas détenir la vérité absolue « , sourit-il. Son hypothèse a néanmoins été validée par trois éminents profilers de la célèbre unité de Quantico au FBI. Ecrit dans un style chirurgical – on a l’impression, par moment, de lire un rapport de police -, son livre est bourré de détails explicites dont nous ne révélons, ici, qu’une infime partie. Si Bourgoin a vu juste, il aura rendu enfin justice à une jeune femme de 24 ans qui, outre la célébrité, rêvait surtout de rencontrer l’âme soeur à Los Angeles et qui a croisé le mal incarné. En s’approchant de la vérité, il rend à la légende du Dahlia un peu de son humanité.
(1) Qui a tué le Dahlia Noir ? L’énigme enfin résolue, par Stéphane Bourgoin, éd Ring, 495 p., 150 photos. L’auteur publie aussi une nouvelle édition du Livre Rouge de Jack L’Eventreur, éd. Points Crime.
Par Thierry Denoël
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