Enfants uniques
L’humoriste Jean-Louis Fournier parle de ses deux fils, handicapés. Une remarquable leçon de vie, sans mélo ni pathos.
Jean-Louis Fournier n’a rien d’un bleu. A 69 ans, l’ancien réalisateur attitré de Pierre Desproges a déjà aligné une multitude d’ouvrages. Plus de 20 livres alertes, facétieux, divertissants, avec toujours cet humour noir, cette science de la provocation qui caractérisent l’équipée de La Minute nécessaire de M. Cyclopède. L’inventeur avant l’heure de manuels pour les nuls (autour de la grammaire, des sciences nat, des maths, du Code de la route, etc.) aurait pu être, selon ses propres dires, instituteur. De ces instits adorés par leurs élèves, qui vous font décliner le verbe péter au subjonctif imparfait, calculer le poids du cerveau d’un imbécile ou encore partager la chienne de vie d’un oiseau qui a le vertige. Finalement, il a opté pour » amuseur public « . Un amuseur qui vient d’effectuer l’exercice le plus difficile de sa carrière : un livre-hommage à Mathieu et Thomas, ses deux enfants handicapés, ou plutôt, préfère dire l’auteur, » pas comme les autres « .
» Je suis biodégradable, vous savez, et je me suis dit que c’était le moment de faire le point sur mes relations avec eux, confie Jean-Louis Fournier. J’ai été très dur avec Mathieu et Thomas, j’ai souvent eu envie de les jeter par la fenêtre. Avec ce récit, je me rends compte que je les ai toujours bien aimés. » Avant d’en arriver là, le réalisateur-écrivain a dû trouver le juste ton. Il lui a fallu un an pour composer ce subtil équilibre » entre tendresse et tristesse, sans tomber dans le pathos ni faire du Hara-Kiri « . Un an pour réussir à raconter la vie avec deux petits oiseaux déplumés, deux gamins cabossés avec de la paille dans la tête. C’était il y a un peu plus de trente ans. Deux tuiles, coup sur coup, sont tombées sur la tête de Jean-Louis et de sa femme. Mathieu, handicapé physique et moteur profond, qui n’émettra jamais un mot jusqu’à son départ vers d’autres cieux, à 15 ans ; Thomas, le » surdoué « , blondinet faussement prometteur, qui alterne depuis des lustres les » Où on va, papa ? » avec les » fites » (frites), les deux seules expressions qu’il connaît.
Résultat : une copie parfaite, où pointent un soupçon de culpabilité ( » Pardon de vous avoir loupés « ), un rien d’agacement (l’obligation d’avoir » le physique de l’emploi, de prendre l’air malheureux « ), pas mal de regrets (ne pas les avoir conduits au musée, au concert, etc.), et surtout une bonne dose d’humour : » Seule façon de survivre quand on figure au Top 50 des désespérés. » Au final, une belle leçon de vie, qui renvoie au chapitre des anecdotes les petits désagréments de tous les jours. Respect, monsieur Fournier !
Où on va, papa ?, par Jean-Louis Fournier. Stock, 155 p.
Marianne Payot
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