En quête d’innocence
Devenue célèbre grâce à un tableau de Vermeer, Tracy Chevalier a retrouvé l’inspiration chez William Blake. Rencontre
Ni perles ni joyaux de la Couronne. Même pas une petite licorne en pendentif. Tracy Chevalier, la dame aux millions d’exemplaires de La Jeune Fille à la perle, n’a, semble-t-il, rien modifié à son existence d’avant la renommée. Avec sa tenue sage, sa coupe d’institutrice et sa tasse de thé, la plus anglaise des romancières respire la simplicité. A peine avoue-t-elle, dans le salon très victorien de son hôtel parisien, avoir acquis une petite maison dans le Dorset et essayer dorénavant les vêtements dans les boutiques sans en regarder le prix.
Tracy Chevalier, 44 ans, a la bougeotte. Après Paris, ce sera l’Italie, puis les Etats-Unisà Une tournée motivée par la publication tous azimuts de son cinquième roman, L’Innocence (Burning Bright, dans le texte). Un roman historique, bien sûr, situé, cette fois, dans le Londres de la fin du xviiie siècle. Elle a dû se plonger dans les récits d’époque, reconstituer le quartier de Lambeth, métamorphosé depuis l’arrivée du chemin de fer et les bombardements de la Seconde Guerre mondiale – seul le brouillard n’a pas changé – lire des dizaines de biographies consacrées au poète et peintre William Blake – l’un de ses héros – s’imprégner des spectacles magiques de Philip Astley, l’inventeur du cirque moderne – un autre de ses protagonistes – comprendre les grandes lignes de la Terreur et, même, façonner des boutons sophistiqués du côté de Piddle Valley, dans le Dorset. » J’adore apprendre et enquêter « , explique-t-elle dans un français plus que correct – elle est restée très simple, vous dit-on.
Ms Chevalier est une femme de devoir(s). Pour imaginer la vie de La Jeune Fille à la perle, le roman inspiré du fameux tableau de Vermeer, traduit en 35 langues, qui l’a propulsée dans la catégorie des méga-sellers, elle avait pris des cours de peinture et s’est fait fort, depuis, d’admirer » live « , d’Amsterdam à Vienne et de Dresde à Berlin, les 36 toiles du maître hollandais. Tracy est aussi une – bonne – mère de famille qui accomplit, deux fois par jour, le trajet jusqu’à l’école de son petit Jacob.
Tracy Chevalier est au mitan de sa vie… anglaise. Débarquée pour six mois de Washington, sa ville natale, à l’âge de 22 ans, l’Américaine (son père est d’origine suisse) n’a plus jamais quitté les bords de la Tamise. Elle y a trouvé un mari, l’inspiration et, enfin, dit-elle, la sérénité. Pour avoir aussi connu les affres de l’écrivain couvert de succès ( » On m’a reproché, avec Le Récital des anges, de m’être éloignée de La Jeune Fille à la perle, puis, avec La Dame à la licorne, de m’en être trop rapprochée « ), elle se sent aujourd’hui apaisée.
» Mes quatre premiers romans étaient des livres de l’adolescence, confie-t-elle drôlement, celui-ci est un ouvrage d’adulte. Pour la première fois, j’ai écrit à la troisième personne. A cette occasion, j’ai relu Flaubert, afin de voir comment le maître procédait. »
L’innocence et l’expérience, telles sont, d’ailleurs, à l’ombre de William Blake, les lignes fortes de son dernier roman. Un roman fort plaisant, qui joue avec les contraires et conte l’apprentissage de la vie. Le prochain, une histoire de fossiles de dinosaures, est déjà en route. Pour cela, Ms Chevalier va bientôt faire des fouilles dans le sud de l’Angleterre. Toujours pas d’introspection en vue. Mais qui s’en plaindrait ? l
L’Innocence, par Tracy Chevalier. Trad. de l’anglais par Marie-Odile Fortier-Masek. Quai Voltaire, 396 p.
Marianne Payot
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