En mai, tonte à l’arrêt : comment les friches et terrils sont devenus des mines d’or pour la nature
Témoins du passé industriel, les friches gagnent peu à peu leurs galons de milieux naturels d’exception. Exemple sur le site du Martinet, à Charleroi, où la biodiversité a reconquis deux grands terrils.
Subitement, la terre devient noire comme le visage d’un mineur à un kilomètre de profondeur, tandis que l’horizon se découpe en deux monticules verdoyants. Les terrils du site du Martinet, à Monceau-sur-Sambre, attestent la capacité de la nature à reprendre inévitablement ses droits sur les vestiges d’un passé industriel écrasant. Passé le décor de l’ancienne salle des machines et de celle des pendus, réinvestie par la Manufacture urbaine en tant que brasserie, il ne reste plus rien du gigantesque triage lavoir central (TLC), jadis le plus grand bâtiment minier de Wallonie. L’herbe s’immisce entre ce qu’il reste des rails et des dalles de béton déformées çà et là par les racines des arbres. Après 250 ans d’histoire de minage, les puits d’extraction du Martinet ferment définitivement en 1967. Le TLC, en 1979. Rapidement, certaines sociétés tentent d’y exploiter le schiste et ce qu’il reste de charbon. Mais elles se heurtent à une opposition farouche du comité de quartier. Qui finit par gagner son combat, bien des années plus tard: en 1999, la Ville de Charleroi acquiert le site, en vue d’en faire une réserve naturelle.
Dans l’esprit de certains, les terrils sont encore perçus comme des terrains vagues sans grand intérêt. Mais c’est complètement faux.
Désormais, les cinquante hectares du site profitent à des usages multiples. Economiques, avec sa brasserie, sa boulangerie, sa ferme et l’expérimentation d’un projet de production de biomasse. Touristiques et sportifs, puisque la Boucle noire (22 km) et le sentier des Terrils (GR 412), un itinéraire de 279 kilomètres, passent par ses sentiers pentus. Récréatifs et culturels, comme le prouvent les nombreuses activités organisées par l’asbl Charleroi Nature (Chana), notamment avec des écoles et des entreprises. Scientifiques, enfin, vu l’intérêt croissant des chercheurs et naturalistes pour ces biotopes singuliers. Aujourd’hui, c’est bien le respect de la faune et de la flore en présence qui constitue le fil rouge de la valorisation des lieux. «Voici cent ans, le terril était un tas de roches, il n’y avait pas un seul arbre, souligne Emilien Burlet, chargé de projets chez Chana. Si on y observe aujourd’hui une biodiversité toute particulière, c’est précisément parce qu’il s’agit d’un milieu en pleine mutation. On y retrouve tous les stades de la végétalisation et de la colonisation d’un sol nu par plusieurs espèces.»
Biodiversité versus plantes invasives
Plus de cinquante ans après la fin de leur exploitation, les terrils du Martinet sont à présent recouverts d’une forêt peuplée, entre autres, de bouleaux, de chênes, de hêtres, de châtaigniers. A leur base, une mare permanente abrite trois des quatre espèces de tritons présentes en Wallonie, les zones humides temporaires hébergeant, elles, le crapaud calamite, une espèce typique des terrils. Tout au long du parcours sillonnant un relief culminant à 215 mètres d’altitude, les chants omniprésents des oiseaux témoignent, eux aussi, de la richesse du site sur le plan de la biodiversité. En revanche, comme sur d’autres terrils, Charleroi Nature tente de contrer la prolifération du buddleia, ou arbre à papillons, une plante invasive enivrant ces derniers plutôt que de soutenir leur rôle de pollinisateurs.
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A l’inverse d’autres milieux naturels, l’intérêt pour la biodiversité des terrils est relativement récent. A partir des années 2000, c’est principalement la succession de programmes transfrontaliers Interreg, associant la Belgique à la France ou l’ Allemagne, qui a permis d’étoffer les connaissances à leur égard. Baptisé «Destination terrils», le dernier a pris fin en mars 2022. «Sur l’axe minier wallon, de Dour à Blegny, on compte 542 terrils historiques, dont environ 300 sont toujours en place, commente Johanna Martens, chargée de mission à l’asbl Ardenne & Gaume, partenaire de la plupart des programmes Interreg. Par endroits, l’intérêt croissant du grand public pour les terrils a provoqué une surfréquentation. Le dernier programme visait donc à mener une étude sur la valorisation des terrils dédiée à un tourisme durable. Dans ce contexte, notre rôle consistait à apporter notre expertise de naturalistes pour créer des cartes de sensibilité, exploitables par les opérateurs de terrain.» Ainsi documentés, les promeneurs connaissent les zones à éviter, qu’elles soient investies par certaines espèces ou sujettes aux fumerolles, suggérant que le terril est encore en combustion.
À l’huile de coude
Grâce aux précieux inventaires effectués ces vingt dernières années, la biodiversité présente sur les terrils a pratiquement livré tous ses secrets. Mais le travail n’est pas fini pour autant. A l’exception de quelques sites rendus inaccessibles par leurs propriétaires privés, naturalistes et opérateurs essaient de préserver et de valoriser au mieux ces espaces au bénéfice de la nature. Garder des zones humides, déboiser ou débroussailler les milieux encore ouverts, entretenir les chemins de promenade… Telles sont les autres missions d’un acteur comme Charleroi Nature, qui peut compter sur l’huile de coude de bénévoles, d’élèves ou d’entreprises de la région pour les gérer autant que possible. «Tous les terrils délaissés tendent à devenir des forêts, résume Emilien Burlet. Ils se végétalisent d’abord par le nord, puis progressivement par le sud. En revanche, si on intervient à un moment intermédiaire dans ce processus, on peut préserver des zones humides et conserver une richesse florale sur les prairies encore très rocheuses.»
A terme, Ardenne & Gaume aimerait voir émerger une entité rassemblant tous les acteurs des terrils autour de la table, à l’image des contrats de rivières. «Dans l’esprit de certains, les terrils sont encore perçus comme des terrains vagues sans grand intérêt, relève Johanna Martens. Mais c’est complètement faux.» L’ élaboration d’un potentiel projet «Life» spécifique, permettant de capter des subsides cofinancés par l’Europe, pourrait aussi y accélérer considérablement les opérations de préservation et de restauration de la biodiversité.
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