En boucle
Dans Stanley, Simon Thomas transforme un jeu vidéo en un seul-en-scène virtuose et sans parole où brille Clément Thirion. Un jour sans fin au bureau, entre éclairs gores et humour absurde.
Le jeu vidéo s’appelle The Stanley Parable. Ce « walking simulator » (simulateur de balade) de Davey Wreden et William Pugh, sorti en 2013, met en scène Stanley, un employé de bureau, numéroté 427, dont la routine quotidienne de pressage de boutons sur un ordinateur s’arrête brutalement lorsqu’il ne reçoit plus d’ordre et qu’il se rend compte que tous ses collègues ont disparu. L’ action, vue à la première personne, par les yeux de Stanley, consiste à se déplacer dans le bâtiment vide, sous les commentaires d’une voix off espiègle. Ce jeu, le jeune metteur en scène Simon Thomas, gamer devant l’Eternel, l’a adapté en un brillant seul-en-scène, Stanley (1), qui joue dangereusement avec les nerfs des spectateurs, mais ravit par son inventivité dans la contrainte et sa précision.
Allégorie mélancolique de notre train-train professionnel, Stanley joue efficacement avec les nerfs des spectateurs.
L’idée de cette adaptation a germé il y a six ans déjà, alors que Simon Thomas venait de sortir de l’Insas, à Bruxelles, où il s’est formé à la mise en scène. « J’avais flashé parce que ce jeu est hyperthéâtral, évoque-t-il. Il est surtout basé sur le commentaire d’un narrateur, qui façonne vraiment toute l’aventure. Le jeu se résume à des situations où l’on se retrouve confronté à des choix. » S’il est extrêmement rare que le théâtre puise sa matière première dans le jeu vidéo, cette option singulière n’étonne pas trop quand on sait que Simon Thomas a passé son examen d’entrée à l’Insas en proposant une « maquette » d’adaptation de Calvin et Hobbes, la série BD de Bill Watterson, oeuvre inadaptable s’il en est. » Calvin et Hobbes fait partie des matériaux que j’ai envie de montrer, de travailler, d’utiliser. Des matériaux où il y a souvent une part d’humour, avec quelque chose de très enfantin. C’est Calvin et Hobbes qui m’a donné envie d’écrire des dialogues. »
Au même endroit
Si les deux premiers projets de Simon Thomas et de sa compagnie La Horde Furtive – Shoud I Stay or Should Stay (2017) et Char d’assaut (2019) – recouraient effectivement à la parole, Stanley, récompensé récemment par le prix SACD au festival parisien Impatience, est un spectacle dont le héros ne prononce pas un mot. Car Stanley, seul dans son bureau 427, n’a personne à qui parler. Seules la machine à café et la déchiqueteuse lui disent bonjour de leur voix enregistrée et le téléphone ne délivre que d’interminables messages d’attente. En prime, comme dans un jeu vidéo où à chaque game over on revient au début, chaque séquence de Stanley reprend au même endroit, dans ce bureau aseptisé et sans fenêtre. Un peu à la manière du film Un jour sans fin, de Harold Ramis, où un présentateur météo incarné par Bill Murray était condamné à revivre à l’infini la même journée dans un trou perdu de Pennsylvanie. Sauf qu’ici, tout se passe dans une seule pièce, et que Stanley ne garde pas de mémoire du « restart » précédent.
« Mon premier spectacle rassemblait quatre acteurs dans un espace clos, dont la porte était pourtant ouverte. Dans le deuxième, ils n’étaient plus que deux, coincés dans une boucle où ils n’arrêtaient pas de rentrer d’un côté et sortir de l’autre, avant d’entrer à nouveau par le premier côté. Ici, il n’y a plus qu’un acteur, bloqué dans une sorte de narration qui reprend tout le temps au début », résume Simon Thomas. Ce qui fait de Stanley une sorte d’allégorie mélancolique de notre train-train professionnel, que la pandémie et le confinement ont rendu encore plus solitaire et désincarné.
Une prestation cinq étoiles
L’idée de passer tout un spectacle à regarder un employé de bureau évoluer entre son PC, l’armoire à dossiers et le distributeur de boissons chaudes vous rebute? C’est compréhensible, mais c’est sans compter sur le grain de folie qui anime les multiples variations sur le même thème de Stanley, positionnant subtilement le héros entre le passé de primate de l’humanité et son futur androïde. Et sans compter aussi sur la prestation cinq étoiles de Clément Thirion. Ce dernier assure une performance muette où chaque geste, chaque mimique, chaque regard est calculé pour faire tourner la mécanique du rire, que ce soit sur les silences ou les compositions sonores de Thomas Turine, avec une bonhommie qui rappelle Mister Bean et les personnages de Jacques Tati. « Clément est quelqu’un qui est extrêmement précis corporellement, souligne Simon Thomas. Il a un rapport presque chorégraphique au jeu et ça collait bien au projet. L’ apesanteur, la blague de l’ascenseur ou la séquence à l’envers… Je pense qu’il n’y a personne de mieux casté que lui pour ce genre d’éléments. Il a donné beaucoup de caractère à ce personnage grâce à toute cette corporalité. » On confirme, et on approuve.
(1) Stanley: Small Choice in Rotten Apples, à l’Atelier 210, à Bruxelles, du 19 au 26 mars, au théâtre Le Manège, à Mons, les 29 et 30 mars.
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