En avant la musak !
Fort de plusieurs hits des années 1980, Ian Raven s’est imposé, sur la scène internationale, dans le registre de la musique instrumentale, dite » d’ascenseur « … Portrait du compositeur, à la faveur de la sortie de Mélodies, son dixième album.
Si vous êtes quadragénaire (et au-delà), n’allez pas chercher Ian Raven sur YouTube. Ou plutôt, si : un petit coup de nostalgie n’a jamais fait de mal à personne. En furetant sur la Toile, pas longtemps, on y découvre donc un jeune homme d’un peu plus de 25 ans, beau comme un ange, libre comme le vent, sautillant devant son clavier, lors d’une émission enregistrée à RTL, au début des années 1980, au rythme de Go As You Please, l’un de ses succès d’alors.
D’un clic ou deux, on tombe ensuite sur d’autres tubes du musicien – Viktor Lazlo susurrant Canoë Rose (1986) ou In the Midnight Sky (1990) –, et on se dit que le temps (celui qui passe, pas celui qu’il fait) est quand même un sacré scélérat. Non que Raven, 53 ans, ait particulièrement vieilli. Au contraire : sa chevelure rase et ses tee-shirts bariolés lui donnent, en permanence, l’air d’un grand gamin narquois. Mais, à l’écoute de ces rengaines, c’est toute une époque qui reflue, celle des clubs de jazz et des pianos-bars bruxellois, où le jeune étudiant en lettres bouclait ses fins de mois, en interprétant joyeusement la plupart des classiques. Puis, plus tard, des compositions personnelles, souvent dépourvues de texte, et qui tournent résolument le dos à la chansonnette.
En 1982, à l’époque où Raven, de son vrai nom Jan Walravens (sa mère est allemande, son père, belge) signe son premier contrat de distribution avec la défunte maison Carrère, son genre de prédilection est déjà » l’instrumental teinté de sonorités ouvertement jazzy « . Les amateurs appellent ça l’ » easy listening « , sans doute parce que ces mélodies aux rythmes de danses de salon, simples et accrocheuses, douces et élégantes, s’écoutent facilement. Dans le domaine de la musique dite » d’ambiance « , même si de nombreuses catégories coexistent (le chill-out, le lounge , l’ambient , le down-tempo…) que seuls les puristes distinguent, une chanson sans parole, pour le profane, c’est juste un air. Parfois sirupeux, parfois capable de nous faire battre la mesure, d’un doigt distrait, sur l’accoudoir du sofa d’un lobby d’hôtel. Mais il y a air et air. Et ceux que Raven composent sortent du lot : en vérité, nous les entendons tous sans les reconnaître, ni même les écouter… » J’ai la chance de tirer ma subsistance d’un genre musical pas évident du tout, d’une musique qui, en tout cas, est rarement classée dans les hit-parades ! » constatait Raven, hôte récent des très beaux studios d’enregistrement ICP, à Ixelles. Après diverses expériences et collaborations pas toujours réussies ( » Il y eut des hauts et des bas « ), le pianiste s’est spécialisé dans la muzak. Le terme est péjoratif dans les pays francophones. Il ne l’est nullement aux Etats-Unis où, depuis des décennies, une compagnie qui porte le même nom mène la danse en matière de fonds sonores et autres ballades aseptisées, censés augmenter le bien-être des individus dans les lieux publics – autant que leurs dispositions à consommer.
» Ecrire de la musique instrumentale et en vivre, on est peut-être dix, en Europe, à pouvoir se le permettre… « , estime Raven, qui ne réalise pas des thèmes sur commande, mais produit uniquement ce qui lui plaît [il insiste]. Distribué par le groupe français Mood Media (le principal concurrent de Muzak), le compositeur voit ses £uvres aujourd’hui diffusées partout dans le monde. Couloirs d’hôtels japonais, galeries commerciales israéliennes, grandes surfaces néerlandaises, casinos allemands, stations de métro, salles de sport ou d’attente, ascenseurs, lignes des standards téléphoniques, etc. En Belgique aussi. Quand vous choisirez vos prochains pamplemousses, chez Delhaize, pensez-y : il y a fort à parier que vos oreilles baignent dans du Raven. Plus de 250 de ses morceaux instrumentaux figurent en effet au catalogue de la Société (française) des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem). Depuis des années, Mood Media les propage en Belgique. » Le plus ancien titre encore toujours programmé, çà et là, date de 1982. «
Mystère de l’inspiration : quand Raven crée du neuf, parier sur le succès de tel morceau plutôt qu’un autre reste vain. » Je suis parfois surpris. Tel titre que je croyais extra ne marche pas. Inversement, d’autres, qui pour moi ne sont pas les meilleurs, » tournent » beaucoup plus… C’est étrange. » Que la durée de vie d’un morceau semble éternelle n’empêche pas Raven de composer inlassablement. Son dixième album, Mélodies (17 nouvelles plages) vient de sortir, simultanément en CD et sur iTunes. Avant, Raven avait (entre autres) aussi rédigé et mis en musique un conte pour enfants en allemand ( Das arme Schwein), traîné Lou Deprijck en justice (pour l’exploitation abusive de ses £uvres) et… franchi l’Atlantique.
Relax et ludique
Gagnant, en 2003, de la Green Card Lottery (la loterie organisée par le gouvernement américain, qui permet chaque année à 50 000 immigrants de vivre et travailler sur le territoire des Etats-Unis), Raven a depuis lors pris ses aises en Floride. C’est là qu’il compose, dans la touffeur d’un quartier verdoyant de Miami, où il suffit d’ouvrir un poste de radio pour tomber sur des chaînes consacrées exclusivement à l' » easy listening « . » Dans les pays anglo-saxons, tradition du jazz et héritage des grands orchestres, les big bands, sont encore très vivants. » Sans rien demander à personne, Raven a souvent reçu les honneurs des playlists américaines. » Servez les margaritas, car il y a du monde nocturne dans ce mix ! » s’enflammait encore récemment un programmateur de Live 235FM, à propos de Swinging to Key Largo, un morceau enjoué, au savant va-et-vient entre le piano et l’orgue, qui tourne en boucle sur les ondes floridiennes (et même, jusqu’en Arizona), tandis que My Me, l’un des titres de l’album Pepper Groove Creations, était, lui, finaliste en 2007 de l’ISC, la principale compétition internationale de composition musicale, dont le jury compte des géants tels Peter Gabriel, Tom Waits ou Robbie Williams.
Ces quatre dernières années, Raven a fabriqué plus de cent morceaux à Miami, certaines pistes de guitare et de batterie étant enregistrées à distance, à Los Angeles et à Bruxelles, avant d’être mixées en Floride. Comment ? » Je m’installe au piano, j’ai une idée par rapport à des pièces de puzzle, je travaille l’arrangement, la structure, j’introduis des harmonies. Ou, méthode inverse, je teste des sons sur l’ordinateur, j’obtiens une ambiance, j’enregistre un calque que je fais rejouer ensuite par de vrais instruments… En général, il faut compter une à deux semaines par morceau. «
Inlassable créatif, méticuleux et confiant, Raven mijote d’autres projets, dont un album de musiques instrumentales… pour enfants. Du fond sonore léger et jovial, il en faut en effet dans tous les programmes télé pour jeunes, mais aussi dans les audio-livres et les jouets qui font du bruit ! La maquette, déjà testée sur des 5-7 ans, en a fait pleurer de rire plus d’un. » J’ai aussi envie de créer de la musique de Noël instrumentale. » Surprenant, le pari n’en est pas simple pour autant : car sans rappeler les airs connus, et sans l’aide des paroles traditionnelles qui évoquent traîneaux, rennes, hottes et bottes rouges, comment faire entendre à l’auditeur que c’est bien le moment de décorer le sapin ?
Mélodies, par Ian Raven, sous forme de CD et dans le commerce en ligne.
VALéRIE COLIN
« j’ai aussi envie de créer de la musique de noël instrumentale »
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