Echos de Bécaud

Philippe Cornet Journaliste musique

Généralement rétrogradé derrière la trilogie Brel-Brassens-Ferré, Monsieur 100 000 volts bénéficie, pour le 10e anniversaire de sa mort, d’un best of de ses ouvres ainsi que d’une revisitation de la plus ou moins jeune génération…

Au mitan des années 1950, Gilbert Bécaud (1927- 2001) devient une énorme vedette de la chanson française. Vedette ? Terme compassé qu’on marie volontiers à l’Olympia qu’il arpentera à 33 reprises, incarnation d’ultime chanteur à succès période général de Gaulle. Sans la poésie libertine de Brassens, la mort précoce mythifiant Brel ou les idées soixante-huitardes de Ferré, Bécaud paraît aujourd’hui quelque peu lointain, pour ne pas dire désuet. Malgré la force, voire la virulence du personnage et de ses 400 chansons essentiellement composées avec trois paroliers, dont Pierre Delanoë auteur de Et maintenant et de Nathalie. Pas un hasard qu’EMI ait choisi ces titres-là pour ouvrir une compilation de deux CD tactiquement baptisée Eternel. Parue en 1964, Nathalie est le plus grand moment de Bécaud : en racontant sa rencontre avec son guide (féminin) dans le Moscou  » du chocolat de chez Pouchkine « , l’interprète fait frémir une chanson d’amour qui est aussi une évocation particulièrement bien imagée du Soviet encore suprême…

Extraordinaire succès international

Alors, bien sûr, il y a les classiques ( L’Indifférence, Les Tantes Jeanne, Mes Mains, L’Important, c’est la rose), mais aussi des redécouvertes à faire, tel ce Desesperado daté de 1983 où, sur des cordes tendues, Bécaud se noie dans la mélancolie du bandonéon. A priori, pas vraiment sa tasse de thé – il préférait le brandy – mais une preuve de son grand talent théâtral, vocaliste mettant intégralement son larynx sur la table, si l’on peut dire. Et puis il y a Je t’appartiens : composé avec Delanoë en 1955, ce morceau va devenir dans sa version anglaise Let It Be Me, un extraordinaire succès international , bénéficiant d’au moins trois versions monumentales, celles de Nina Simone, des Everly Brothers et d’Elvis Presley.

L’album de reprises par autrui, Bécaud, et maintenant (Universal), ne pouvait évidemment omettre un tel standard : si Eddy Mitchell le sert honorablement en langue française, le Let It Be Me anglais d’Anggun manque singulièrement de corps. La qualité essentielle de Bécaud était sa façon de jouer ses chansons, d’y mettre de la légèreté colorée ( Le Petit Oiseau de toutes les couleurs), ou alors d’en épouser totalement l’enjeu, voire le drame. C’est ce que tente de faire Hallyday sur Et maintenant, bombardé de violons et de percus exagérément mélos, pour un résultat qui frise la parodie. Bruel comprend que, pour faire aussi bien, il faut faire moins : sa façon presque badine de convoquer Nathalie sur un piano esseulé, de dénuder l’original comme s’il s’agissait d’une vieille chanson juive – presque la même chose, elle est slave – s’avère très réussie.

Pour ce genre d’entreprise, toujours bancale, consistant à revisiter les souvenirs communs à un artiste et son public, le taux d’échec est plutôt bas : Olivia Ruiz et sa voix de souris ne défrisent pas correctement Les Tantes Jeanne, Serge Lama en rajoute inutilement à La Rivière mais Souchon, rétro-langoureux sur Alors raconte, convainc. Tout comme l’Espagnole Luz Casal, absolument délicieuse dans le titre d’ouverture Je reviens te chercher. Bécaud, pas le type le plus facile sur terre, sera content.

CD Bécaud, et maintenant, chez Universal ; double CD Gilbert Bécaud, Eternel, chez EMI.

PHILIPPE CORNET

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