Echenoz, taupe secret
Des barbouzes d’opérette expédient une jeune Française en mission séduction en Corée du Nord. Une merveilleuse parodie de roman d’espionnage.
Difficile d’imaginer plus beau cadeau de début d’année. Envoyée spéciale, le quinzième roman du virtuose Echenoz, est un joyau pur, un enchantement de tous les instants, un monument d’humour, un hymne à la langue française. Pas une phrase qui ne vous tire un sourire, une métaphore qui ne vous ravisse, un mot qui ne sonne juste. Quatre ans après 14, la folie de la Grande Guerre en accéléré, Jean Echenoz nous livre une heureuse fantaisie sous forme de vrai-faux roman d’espionnage, version Pieds nickelés.
Paris, la Creuse, la Corée du Nord… Ce triptyque original, qui sent bon son contre- espionnage, constitue le terrain de jeu des héros d’un Echenoz qui aurait malicieusement revêtu les tweeds de John le Carré, Ian Fleming ou Blake Edwards. Le grand ordonnateur – il en faut bien un – est un certain Bourgeaud, général en bout de course, qui monte en douce quelques opérations » pour ne pas perdre la main. Pour s’occuper. Pour la France « . Sa dernière lubie ? Envoyer une jeune femme plutôt jolie, docile – voire un rien innocente – et inconnue des réseaux, séduire l’un des conseillers de Kim Jong-un afin de déstabiliser le régime de Pyongyang. Rien que cela. Paul Objat, le lieutenant chargé de la mission, organise le kidnapping de Constance, épouse du fortuné Lou Tausk, compositeur en mal d’inspiration, dont le fait de gloire est d’avoir créé un tube planétaire, Excessif. Pourquoi Constance ? Car elle fut, il y a une quinzaine d’années, la première interprète du fameux succès, dont les hautes sphères du pouvoir nord- coréen se passent la version originale en boucle. Elémentaire…
Tribulations au pays du leader suprême
Kidnapping de Constance, donc, mise au vert dans la Creuse sous le contrôle de Jean-Pierre et Christian, deux branquignols aussi maladroits qu’attentionnés, demande de rançon. Mais Lou Tausk tarde à réagir ( » après tout ce qu’elle m’a coûté « ), et le syndrome de la Creuse – un mixte de ceux de Stockholm et de Lima – s’empare de Constance (plongée avec délectation dans le dictionnaire encyclopédique Quillet) et de ses gardiens. Il est temps d’expédier la jeune femme, jugée opérationnelle, au nord du 38e parallèle. Morceaux d’anthologie que ces tribulations au pays du leader suprême, décrit avec le même art que les quartiers et les stations du métro parisien. Quant à la fuite par la DMZ (la » demilitarized zone « ), glacis entre les deux Corées devenu paradis animalier, elle restera dans les annales du récit d’évasion.
Mais, au fond, peu importe l’histoire. Echenoz pourrait nous conter les pérégrinations d’un ver de terre ou les rêveries d’un paysan de Nouvelle- Guinée que l’on serait pareillement aux anges.
Envoyée spéciale, par Jean Echenoz, Editions de Minuit, 318 p.
Marianne Payot
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