Duras, dit-elle

Marianne Payot Journaliste

Vingt-cinq ans après, paraît enfin en français le livre d’entretiens de l’auteur de L’Amant avec une journaliste italienne. Florilège.

La Passion suspendue, par Marguerite Duras, entretiens avec Leopoldina Pallotta della Torre. Trad. de l’italien par René de Ceccatty. Seuil, 190 p.

Vive la pugnacité ! En  » harcelant  » Marguerite Duras, Leopoldina Pallotta della Torre finit par obtenir son interview : en 1987, à 73 ans, l’auteur de L’Amant reçoit la journaliste de La Stampa rue Saint-Benoît à Paris, dans sa chambre poussiéreuse et passablement encombrée, le  » timide et diligent  » Yann Andréa veillant dans la pièce d’à côté. Leopoldina fera son miel de ces conversations dans un livre (La Passione sospesa) publié en 1989, aujourd’hui quasi introuvable. Jusqu’à ce que l’éditeur-traducteur René de Ceccatty en déniche un exemplaire, débusque son auteur et en publie la traduction française. Où l’on retrouve le fameux ton durassien, traitant de sa jeunesse, de l’écriture, du cinéma, de théâtre, de Mai 68, de l’affaire Christine Villemin… On s’amuse de sa vanité d' » enfant terrible de la littérature « , on s’offusque, on applaudit. Florilège.

Alcool :  » Transfigure les fantômes de la solitude… J’ai repris et arrêté trois fois jusqu’à maintenant… Depuis, sept ans ont passé et pourtant je sais que je pourrais recommencer, dès demain.  »

Amant (L’) :  » Son corps chinois ne me plaisait pas, mais il faisait jouir le mien. […] J’aimais, de cet homme, son amour de moi et cet érotisme-là […].  »

Dieu :  » Je doute qu’il soit possible de ne pas croire du tout. Ce serait comme enlever tout sens, toute éternité aux grandes passions de notre vie. Tout deviendrait une fin en soi, et privé de conséquences. Et on ne peut pas exclure que ce soit précisément ça, l’avenir de l’humanité.  »

Ecriture :  » A 11 ans, je vivais en Cochinchine, 30 degrés à l’ombre, tous les jours. J’écrivais des poèmes… J’écris pour me vulgariser, pour me massacrer, et ensuite pour m’enlever de l’importance… Je ne parviens à me libérer de moi que dans deux cas : par l’idée du suicide et par celle d’écrire.  »

Ecriture masculine :  » Par écriture masculine, j’entends celle qui est trop alourdie par l’idée. Proust, Stendhal, Melville, Rousseau n’ont pas de sexe.  »

Ecrivains contemporains :  » Ils sont envieux… Aucun d’entre eux n’écrira jamais un livre comme Le Ravissementde Lol V. Stein.  »

Foot :  » Il déchaîne chez le joueur – et peut-être chez le spectateur – ce fort sentiment d’humanité, cette vérité un peu enfantine qui m’émeut chez les hommes, maintenant encore.  »

Frère aîné :  » Un voyou, sans scrupule, sans remords, peut-être même sans aucun sentiment. Autoritaire, il nous faisait peur. […] C’est de là, je crois, que provient cette méfiance que j’ai toujours éprouvée envers les hommes.  »

Hommes (ses) :  » Ils voulaient que je m’occupe du ménage, de la cuisine et, si vraiment je devais écrire des livres, que je le fasse par intermittence, comme une activité clandestine.  »

Homosexualité :  » Est, comme la mort, l’unique domaine exclusif de Dieu, celui sur lequel ni l’homme, ni la psychanalyse, ni la raison ne peuvent intervenir. L’impossibilité de la procréation même, du reste, rapproche beaucoup l’homosexualité de la mort.  »

Mère (sa) :  » Exubérante, folle, comme seules les mères savent l’être […] Sa folie m’a marquée à jamais. Son pessimisme aussi.  »

PC :  » M’inscrire, c’était me reconnaître dans le destin du Parti et me délester du mien.  »

Sartre :  » Est la raison du si regrettable retard culturel et politique de la France.  »

Tchekhov :  » La grandeur de Tchekhov : des textes jamais saturés, tout comme les miens, où l’action est suspendue, laissée dans son inachèvement. Une sorte de musique du silence.  »

MARIANNE PAYOT

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