Dénonciation et délation

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J’ai vu un conducteur de bus qui lisait son journal en conduisant. Je l’ai dénoncé à qui de droit. Suis-je un délateur ?

Jean Spiroux, Seilles

Le Petit Robert définit la délation comme une  » dénonciation inspirée par des motifs méprisables « . La dénonciation, en laissant de côté d’autres significations, consiste à faire connaître une action cachée et que son auteur tient à garder telle. Indiscutablement, notre correspondant a commis une dénonciation. Et de s’angoisser : cette dénonciation est-elle une délation ? Autrement dit, a-t-il agi pour un motif méprisable ? Qui sera juge : la société, le groupe au sein duquel on vit ou soi-même ?

Si je calque mon jugement sur autre que moi, j’avoue ma subordination sociale. Je ne suis pas un être moral, mais un être  » moralisé « . Il n’empêche, comment imaginer que, pour chaque action que je suis amené à entreprendre, je n’en réfère qu’à moi-même ? Mon indépendance est problématique. Cette subordination relative, ou si l’on préfère concédée, reste le ciment indispensable à l’existence de toute communauté. Comment mettre ensemble des gens qui n’ont d’autres critères de comportement que ce qu’ils tirent d’eux-mêmes seulement ? Ces lois communes permettent à la collectivité d’exister. En deçà, il n’y a qu’un agrégat de volontés solitaires.

Autrement dit, pour que la dénonciation soit délation, il faut qu’elle soit mue par autre chose qu’une loi, une règle (voire une coutume) nécessaire à la vie commune. Bref, la frontière entre dénonciation et délation reste malaisée. Pour une raison précise. Toutes les lois nécessaires à l’existence de la société ne sont pas pour autant admises jusque dans leur complément civique : la dénonciation. Si l’Etat a besoin de l’impôt, dénoncer, pour autant, untel que je sais fraudeur n’est pas évident. Je ne suis pas un  » citoyen universel « , ma liberté de dénoncer ou pas exprime le droit de l’individu de n’être pas le gendarme de l’autre… et qui en attend la pareille. Dénoncer et le proclamer, c’est comme renoncer à mon intimité d’individu ; sauf si, en dénonçant et prêt à en faire l’aveu, je voyais précisément dans les faits dénoncés une atteinte à l’individu (son intégrité physique, sa dignité) que je considère comme plus grave que les accrocs infligés à l’ordre social. C’est pourquoi je suis prêt à dénoncer qui menace de tuer ses passagers parce qu’il lit en conduisant, mais je me sentirai  » méprisable  » en dénonçant le fraudeur fiscal. A l’Etat d’être plus vigilant. A chacun de faire sa religion, c’est-à-dire de décider ce qui est délation û donc méprisable û et ce qui est une dénonciation assumée. Jean Nousse

jeannousse@wanadoo.be

P.G. Jacobs, Baulers

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