Déflation ?
Chaque fois qu’une nation a dominé la planète, un même scénario s’est reproduit : après un temps d’effort, elle s’est mise à compter sur les surplus extorqués aux peuples soumis pour financer ses dépenses, y compris la protection qu’elle leur accorde. Jusqu’à ce que des vassaux se rebellent, provoquant l’épuisement de l’empire dans la défense de sa suprématie et entraînant le monde dans une crise globale, suivie par l’émergence d’un nouvel empire.
Les Etats-Unis sont menacés d’un tel destin : leur déficit extérieur augmente démesurément et l’épargne de l’Asie pourrait un jour trouver un meilleur placement que les bons du Trésor américain. Celui-ci serait alors contraint de vendre à bas prix certains de ses actifs pour rembourser ses dettes, entraînant vers le bas toutes les valeurs patrimoniales du monde, et provoquant une déflation. Ce processus a déjà commencé. Pour des raisons diverses ont baissé massivement les prix des actions, de certaines matières premières, des objets de grande consommation (produits en série en Chine, où le coût du travail est 20 fois inférieur à celui pratiqué en Occident) et le cours du dollar. En cas de crise, l’immobilier s’ajoutera à cette liste, engendrant un ralentissement brutal de la consommation américaine.
L’économie mondiale perdrait alors son principal moteur, au moment où la Chine (qui représente aujourd’hui 15 % de la croissance de la planète et 60 % de l’expansion des exportations) est menacée d’un durable ralentissement, pour cause de SRAS.
Si un tel scénario se produisait, aucune politique monétaire ne réussirait à relancer la croissance. La réaction probable des Européens serait alors de se lancer eux aussi dans des dévaluations et du protectionnisme, entraînant le monde dans une spirale déflationniste, dont le Japon fournit le premier exemple. Et l’Allemagne, le second.
Les Américains et les Européens peuvent encore éviter ce scénario catastrophe, qui s’est produit si souvent dans l’Histoire, en travaillant ensemble à une réduction coordonnée de leurs déséquilibres. Les uns en s’attelant à une remise en ordre de leurs déficits qui ne passe pas par une dévaluation massive du dollar. Les autres en osant une amélioration de leur compétitivité qui ne passe pas par du protectionnisme. Pour y parvenir, les uns comme les autres devraient se focaliser sur la remise en état de leurs économies intérieures, de leurs systèmes financiers et de leurs services publics. Et d’abord de l’éducation et de la santé, seuls secteurs capables de porter la croissance interne sans nécessairement porter ombrage à la compétitivité externe.
Il reste aux Américains à prendre conscience qu’ils n’ont plus les moyens de régenter seuls le monde ; aux Européens à réaliser que leur avenir dépend de leur capacité à investir efficacement dans le capital humain. Et aux deux réunis à admettre qu’il est de leur intérêt d’aider les pays du Sud à devenir des acteurs significatifs de la croissance mondiale : jamais l’économie, le social et la géopolitique n’ont été aussi interdépendants.
Jacques Attali
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